MAEDER Joseph

Commentaire (0) Actualité, Les incorporés de force face à leur destin, Témoignages

 

Sur le front de l’Ouest, les liens qui se tissèrent entre les Incor­po­rés de Force et les Normands (les premiers ont toujours pris l’ini­tia­tive de contac­ter les seconds) étaient toujours d’es­prit patrio­tique pour les Mosel­lans et les Alsa­ciens. Les Normands le comprirent très vite, car l’af­flic­tion se lisait dans les regards de ces Français sous l’uni­forme nazi. A la ques­tion : Vous ne vous méfiiez donc pas ?. Leurs approches auraient pu être un piège? Madame Andrée Leconte, née Duval a répondu :  » Leurs misères se voyaient dans leur regard, nous avons l’ha­bi­tude, car à la ferme, si une bête est malade, cela se voit dans ses yeux ». Que ceux qui l’ignorent le sachent , pour les Normands, les incor­po­rés de force étaient réduits à l’état animal. Leurs souf­frances physiques et morales devaient être immenses pour que le patrio­tisme et le courage asso­ciés, leur donnent la force de prendre les risques liés à l’éva­sion.

Une évasion d’in­cor­poré de force était un acte sans pareil de résis­tance au nazisme. Curieu­se­ment, c’est en propos lauda­tifs et justes que seules, les entrées de résis­tants dans les maquis, ou aussi les actions non orga­ni­sées, indi­vi­duelles, donc isolées, sont portées à la connais­sance de la popu­la­tion par l’His­toire de France.

Il est injuste et donc déplo­rable ( je pense honteux) que de nos « poli­tiques » ne disent rien, sur les actes de résis­tance qui honorent les Mosel­lans et les Alsa­ciens, alors qu’ils étaient sous l’uni­forme nazi. Il ne faut surtout pas igno­rer celles et ceux ,qui en Alsace-Moselle, résis­tèrent et furent dépor­tés dans le 3ème Reich. Chaque évasion d’in­cor­poré de force était un acte de Résis­tance tant pour l’ai­dant que pour l’aidé.

Mais, il y eut aussi, des évasions collec­tives d’ini­tia­tives indi­vi­duelles. Par un pur hasard, nous avons eu la connais­sance de l’une d’elles. La voici racon­tée à grands traits.

Il y a quelques années déjà, nous avons reçu, ici en Norman­die, un cour­rier d’Al­sace. L’au­teur était Joseph MAEDER. Il avait lu dans la Presse alsa­cienne, l’exis­tence de la SNIFAM. Il nous tres­sait pour cela des couronnes de féli­ci­ta­tions. Bien qu’ir­ré­gu­liers, nos échanges épis­to­laires ont duré. Ils ont duré jusqu’à la fin de l’an­née 2017. C’est à cette époque que Joseph et son épouse Alice sont venus en Norman­die pour vivre près de leur fils Guy, retraité de la Marine Natio­nale.

Joseph et son fils ont accepté notre invi­ta­tion. Dès le début du repas, Joseph nous a dit qu’il igno­rait le nom de la commune normande dans laquelle il fut mis au milieu des combats. Il savait seule­ment – pour l’avoir appris en Angle­terre – le nom du hameau : le » VALTRU. »

Heureuse coïn­ci­dence, nous connais­sons ce village et par consé­quent le nom de la commune : Grain­ville-sur-Odon.

Grain­ville-sur-Odon fut un des lieux où se dérou­lèrent de sanglants combats de » l’OPÉRATION EPSOM * ». Selon nos recherches 21 incor­po­rés de force furent tués à Grain­ville. Pendant les repos, des contacts exis­taient entre les incor­po­rés de force et les Normands. Un ami habi­tant le »VALTRU » disait, il y a de cela plus de 30 ans: « Un alsa­cien du nom de Walter était pour nous un vrai père de famille ».

Avec Joseph et Guy Maeder, nous nous sommes rendus au « VALTRU » Nous y atten­daient des membres de l’As­so­cia­tion » COTE 112″ **. Cette rencontre fut très émou­vante pour tous et surtout pour Joseph.

Joseph avait été nommé Sergent et chef d’une escouade de 10 ou 13 incor­po­rés de force: des Serbes, des Polo­nais, des Belges, un Luxem­bour­geois. Aucun Français.

Joseph arri­vait de Russie. Il y fut blessé . Après 4 ou 5 jours sur le sol de France, dans la nuit du 17 juillet 1944, il entraina tous ses compa­gnons dans les lignes britan­niques. Ils furent très rapi­de­ment mena­cés et faits prison­niers. A leur grand éton­ne­ment, les Anglais consta­tèrent que ce soldat alle­mand s’ex­pri­mait en français. Ils allèrent cher­cher un capi­taine parlant lui aussi français.

Voici la conver­sa­tion racon­tée à grands traits:

  • Le capi­taine anglais : Vous êtes alle­mand et vous parlez français ??
  • Joseph : Vous êtes anglais et vous parlez français ??
  • Le capi­taine anglais : je suis un Français né en Alsace, j’ai fui l’an­nexion et rejoint l’An­gle­terre en 1940.
  • Joseph : je suis un Français né en Alsace et incor­poré de force dans la Wehr­macht. Nos deux Alsa­ciens étaient de la même région du Haut-Rhin. La diffé­rence d’âge était probante.

Les Britan­niques bais­sèrent leurs armes. Les incor­po­rés de force avaient déjà déposé les leurs. Tous frater­ni­sèrent. Ces faits eurent lieu en pleine nuit au château de Missy, commune limi­trophe de Grain­ville-sur –Odon.

Un climat de franche amitié et même de frater­nité très rapi­de­ment s’éta­blit, les réjouis­sances égale­ment. Le « calva » du châte­lain fut plus qu’ho­noré.

Le lende­main en dépit des vapeurs d’al­cool, Joseph et ses compa­gnons furent embarqués à bord d’un          » Liberty Ship », ils furent débarqués en Angle­terre où leur séjour leur fut agréable.

Emmené en Ecosse, Joseph y resta prison­nier. Le 10 novembre 1944, remis aux auto­ri­tés françaises, il s’en­ga­gea dans le bataillon Alsace-Moselle et affecté à Camber­ley. De Londres, il revint à Paris à L’École Mili­taire en décembre 1944. De là, il alla près de Narbonne et retrouva la vie civile, en janvier 1945.

De tels faits méritent consi­dé­ra­tion. Voilà pourquoi,  » l ASSOCIATION COTE 112″ ** a invité Joseph à s’ex­pri­mer lors de la céré­mo­nie commé­mo­ra­tive du 8 juillet 2018. Incor­poré de force, il était physique­ment chez les nazis mais comme pour tous les autres, ses idéaux étaient pour la France. Les propos de Joseph émurent, surprirent et éton­nèrent. Bref beau­coup de personnes apprirent en la décou­vrant la « réalité » alsa­cienne et mosel­lane.

Une séna­trice, des élus locaux, des anciens combat­tants, une soixan­taine de porte drapeaux soit envi­ron 200 personnes ont applaudi Joseph, chez qui l’émo­tion était très visible. Elle l’était encore au cours de conver­sa­tions qui suivirent le vin d’hon­neur.

Le 20 juillet, des membres de l’ASSOCIATION COTE 112″ **ont emmené Joseph et son fils Guy au château de Missy. Nous étions présents. Les actuels proprié­taires Monsieur et Madame de SAINT -MARTIN nous ont fort bien reçus. Ils ont exprimé beau­coup de consi­dé­ra­tion à Joseph. Une dame, fillette en 1944 et témoin des combats, a apporté des préci­sions. Joseph a reconnu les douves et les abords du château. Il a égale­ment décrit l’ac­cès au sous-sol et les bois envi­ron­nants.

Cette enri­chis­sante rencontre pour l’His­toire s’est terminé dans un restau­rant à Évrecy. La recon­nais­sance due aux incor­po­rés de force a fort bien été expri­mée.

Joseph est né le 17 mars 1924 à Soultz ( Haut-Rhin). Il fut incor­poré de force le 15 octobre 1942. Il fut blessé le 28 octobre 1943 près de Krie­sino (Russie) .Il a toujours des éclats dans la jambe gauche.

Les faits de guerre de Joseph, après 74 ans sont enfin connus. Il est à la fois heureux, ému et étonné que de ses compa­triotes normands lui expriment cette modeste consi­dé­ra­tion et leurs remer­cie­ments.

Justice serait faite si l’His­toire des Incor­po­rés de Force était natio­na­le­ment donc offi­ciel­le­ment racon­tée.

 

Jean BÉZARD

 

*OPÉRATION EPSOM : Les attaques des alliés contre Caen furent un échec. Le Géné­ral Mont­go­mery décide et orga­nise le contour­ne­ment des défenses alle­mandes par l’Ouest pour attaquer la ville par le Sud. Près de 80000 hommes sont enga­gés dans ces combats. Il était prévu que la seconde armée britan­nique traverse l’Odon et l’Orne. Les combats eurent lieu du 26 juin au 1er juillet . il y avait des Écos­sais, des Cana­diens et des Anglais. Tactique­ment l’of­fen­sive EPSOM a échoué. Le dernier obus tomba sur la ville de Caen le 9 août.

 

**LA COTE 112 » est le nom donné à une colline située à une dizaine de km à l’ouest de Caen. Sur cette colline, les nazis avaient installé un poste d’ob­ser­va­tion et de comman­de­ment. Pour prendre cette colline, les combats furent atroces. Dix fois la posi­tion fut reprise et perdue. Il y eut près de 2000 morts.

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