Raymond Klock : J’ac­cuse !

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J’ac­cuse le Centre de réforme d’avoir sous-estimé, négligé la gravité de ma bles­sure en 1946. Le Centre de réforme est respon­sable des méde­cins qu’il emploie pour exami­ner les bles­sés de guerre.

Ma première convo­ca­tion fut une vraie catas­trophe. J’ai déposé mon livret de solde (Sold­buch), ma seule pièce d’iden­tité que je possé­dais pour rentrer au foyer en 1945. Dans ce docu­ment était préci­sée la nature de ma bles­sure 31B et l’énu­mé­ra­tion des diffé­rents hôpi­taux où j’avais séjourné du 5.1.1945 au 11.5.1945. Ce Sold­buch avait été fourni par la Waffen-SS.
Dès le début de la visite, j’ai constaté que le méde­cin m’était hostile. Il aurait dû être sérieux, honnête et surtout neutre poli­tique­ment.
Une commis­sion d’of­fi­ciers siégeait en même temps.
Le méde­cin qui devait s’oc­cu­per de moi regarda à peine le livret et s’ex­prima ainsi : « Frac­ture des deux os de la jambe droite, cela vaut 9 à 9,5% », excluant de ce fait toute pension d’in­va­li­dité ! Un offi­cier se leva et protesta éner­gique­ment : « Donnez au moins 10% à cet homme! ».

Si le méde­cin avait examiné ma jambe, il aurait vu, d’une part, la bosse au mollet provoquée par une mauvaise recti­fi­ca­tion en 1945 de la frac­ture du péroné et, d’autre part, le genou enflé et donc plus gros que celui de gauche.

Une perte de pension

L’at­tri­bu­tion de cette pension de 10% dura trois ans, du 13.10.1946 au 14.10.1949. Puis elle fut pure­ment et simple­ment suppri­mée. Le méde­cin, qui n’avait pas voulu m’ac­cor­der la pension en 1946, était encore en fonc­tion au Centre de réforme à ce moment-là, put ainsi accom­plir sa vengeance en me suppri­mant tota­le­ment ma pension, mais pas mes douleurs. Un « super patriote », sans doute…

Entre-temps, je fus convoqué à la gendar­me­rie de Drulin­gen, devant le chef Goda, bien connu pour son franc-parler. Que de paroles haineuses ! Les mêmes que j’avais déjà dû entendre lors d’in­ter­ro­ga­toires à Suza, en Italie, et à Saint-Jean-de-Maurienne avant mon retour dans mes foyers. Les ques­tions idiotes pleu­vaient ; il aurait fallu se rensei­gner sur le sort des incor­po­rés de force dans la Waffen-SS de toutes natio­na­li­tés, sur la stricte et sévère disci­pline, le devoir d’obéis­sance aveugle et, surtout, nos respon­sa­bi­li­tés envers nos parents en cas de déser­tion. Ce chef vint même dans l’ate­lier de mon père et lui repro­cha de ne pas four­nir assez de lait ! Il inspecta même l’étable, c’était encore le temps du ration­ne­ment… et tout cela à cause de mon affec­ta­tion forcée à la Waffen-SS.

Une période mili­taire

En 1951, je dus effec­tuer une période mili­taire au Génie à Metz, lais­sant au foyer un père inva­lide et un oncle âgé. La voisine fut mise à contri­bu­tion pour traire nos trois vaches.
Ces trois semaines furent une dure épreuve physique pour ma jambe qui n’était pas encore guérie : je commençais à boiter et, lors de la marche de parade, on me mit au milieu des rangs pour cacher ce handi­cap!

J’au­rais dû à ce moment-là me faire exami­ner sérieu­se­ment, mais la situa­tion fami­liale était préoc­cu­pante et mon retour au domi­cile une néces­sité vitale pour ma famille.

A mon retour, j’ai repris les acti­vi­tés fami­liales, une petite culture en plus de la menui­se­rie. C’était la coutume des arti­sans de la campagne. Derrière la char­rue, sur les mottes de terre pendant les semences, le travail était fati­guant, de même derrière les machines à l’ate­lier ou sur les chan­tiers.

Trente années passèrent avec des douleurs passa­gères, puis de plus en plus vives et quoti­diennes. Et j’étais toujours exclu des bles­sés de guerre.
Après un arrêt de travail de plusieurs jours, je fis faire des radio­gra­phies à mon compte pour faire évaluer les séquelles de mes bles­sures. Un ami inva­lide envoya un cour­rier aux archives mili­taires de Berlin, la WAST, qui me commu­niqua des rensei­gne­ments précis concer­nant ma frac­ture.
Cette démarche aurait dû être réali­sée dès le départ par le Centre de réforme, théo­rique­ment compé­tant en la matière.

De nouvelles démarches et une ampu­ta­tion ?

Nous étions en 1976 et je repris ms démarches. Ces Messieurs du Centre de réforme furent sûre­ment surpris que ce nazi, ce Boche de 1946, se mani­feste à nouveau ! Leur réflexion dura quatre années, avant de se déci­der à m’at­tri­buer une inva­li­dité défi­ni­tive de 20%.
Heureu­se­ment, le méde­cin de 1946 n’était plus en fonc­tion !

Pour mémoire, j’avais subi en mars 1945 une lourde inter­ven­tion et, trois mois après, les radio­gra­phies montraient une frac­ture non conso­li­dée. On décida d’une nouvelle inter­ven­tion: un morceau de plâtre fut scié, on me plaça une brique sous la jambe, quatre hommes me tinrent ferme­ment, une infir­mière me prit dans ses bras et le docteur fit craquer le tibia pour le remettre en place, en aggra­vant le genum varum ! Des bandes plâtrées furent mises en place et l’opé­ra­tion brutal et très doulou­reuse s’acheva.
Le résul­tat fut que, 10 jours plus tard, j’avais une superbe infec­tion. Le plâtre fut enlevé, dévoi­lant une jambe dans un piteux état, amai­grie, avec quatre plaies ouvertes, dégou­li­nantes de pus et déga­geant une odeur fétide. Je possède d’ailleurs un docu­ment du Centre de réforme datant de 1946 et qui mentionne « quatre cica­trices face posté­rieure du mollet infé­rieur, 10% non impu­tables ».

Une « bande de Boches »

Les trois méde­cins qui exami­nèrent ma jambe optèrent pour l’am­pu­ta­tion. Mais un phar­ma­cien l’exa­mina de plus près, la nettoya et confec­tionna une pommade marron qu’il appliqua trois fois par jour. Ainsi, grâce à sa téna­cité, il sauva ma jambe.
Ce phar­ma­cien était présent lors de la recti­fi­ca­tion de 1945 et me parlait pour apai­ser ma peur. Il était origi­naire de Sarre­bruck et je garde un souve­nir respec­tueux de cet homme.

Le Centre de réforme devrait être un soutien pour les bles­sés de guerre et je le trouve d’une rigueur extrême pour certaines personnes. Lors de la convo­ca­tion en 1946, la salle d’at­tente était pleine. Quelques-uns avaient encore des panse­ments. L’air deve­nait lourd, irres­pi­rable. On atten­dait le méde­cin qui venait à son gré, tard, mais, à midi, toute « cette bande de Boches » était dehors !

Dans mon cas person­nel, j’ai été pris pour un nazi. Pour­tant, ma justi­fi­ca­tion, mon Sold­buch, aurait dû suffire : je n’étais pas un volon­taire, je n’avais pas le tatouage du groupe sanguin et ma famille n’avait aucune tendance nazie, bien au contraire.

Un injuste trai­te­ment

Aujourd’­hui, ces méde­cins se basent sur mon genum varum aggravé par la recti­fi­ca­tion de 1945. Ils calculent en degrés au lieu de pour­cen­tages. Leurs déci­sions sont ridi­cules, voire honteuses au regard des 30 années où j’ai été exclu de toute pension, me spoliant – ainsi que ma famille – d’une indem­nité juste et méri­tée.

Depuis 1960, l’Al­le­magne indem­nise tous les volon­taires des pays euro­péens ayant combattu dans son camp et qui ont été bles­sés ! Moi-même, je suis inter­venu pour faire obte­nir cette pension à une veuve de mon village dont le fils, engagé volon­taire, est tombé en Russie. Depuis la Talstrasse de Sarre­bruck sont envoyées vers la France et toutes nos anciennes colo­nies des pensions aux anciens volon­taires français bles­sés.

A l’in­verse, les Malgré-Nous de la classe 1926 étaient plus de 4000 hommes affec­tés d’of­fice dans la Waffen-SS, sans aucune protes­ta­tion publique de la part du gouver­ne­ment de Vichy qui nous avait dépouillé de notre patrie en nous aban­don­nant à l’Al­le­magne natio­nale-socia­liste.

Les Malgré-Nous appar­tiennent à une géné­ra­tion sacri­fiée, perdue. Dans quelques années, les derniers survi­vants auront cessé d’exis­ter et la page sur la tragique histoire des incor­po­rés de force sera tour­née à jamais.

Raymond Klock,
ancien incor­poré de force dans la divi­sion « Reichsfüh­rer-SS »

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