La diffu­sion d’“Une divi­sion SS en France” ravive les plaies de l’Al­sace-Lorraine

Commentaire (1) Revue de presse

 

Un docu­men­taire suscite de vives critiques de la part de descen­dants de “malgré-nous”, enrô­lés de force d’Al­sace-Moselle dans la divi­sion SS Das Reich. Son réali­sa­teur Michaël Prazan s’ex­plique.

Le 4 mars dernier, deux jours après la diffu­sion, sur France 3, d’Une divi­sion SS en France, Das Reich de Michaël Prazan, j’ai reçu d’une lectrice (Marie-Laure de Cazotte, histo­rienne de l’art et roman­cière) un message indi­gné. Non par ma critique – une fois n’est pas coutume –, mais par le trai­te­ment réservé dans le docu­men­taire aux « malgré-nous », ces Alsa­ciens-Lorrains incor­po­rés de force dans l’Ar­mée alle­mande et dont certains se retrou­vèrent dans la Das Reich, divi­sion blin­dée respon­sable, entre autres crimes, des massacres de Tulle et d’Ora­dour-sur-Glane. Comme je le fais géné­ra­le­ment en pareil cas, j’ai convenu avec elle de trans­mettre son mail à Michaël Prazan, qui a pris soin de lui répondre.

« J’ai pensé que ça s’ar­rê­te­rai là, me confie aujourd’­hui le docu­men­ta­riste, auteur en 2009 d’un film de réfé­rence sur les Einsatz­grup­pen. Mais, peu après, j’ai commencé à rece­voir dans ma messa­ge­rie person­nelle des messages émanant de personnes dont un membre de la famille avait été incor­poré de force. Des mails de reproches dans lesquels figu­raient notam­ment les argu­ments de ce message que vous m’avez trans­mis [édité le 5 mars sur un site dédié aux malgré-nous], mais égale­ment des mails d’in­sulte. » Quinze jours après la diffu­sion du film, une lettre ouverte était adres­sée au Minis­tère de la Défense, deman­dant à Jean-Yves Le Drian d’exer­cer son auto­rité « afin que ce docu­men­taire soit corrigé ».

Des critiques adres­sées à Michaël Prazan dans son évoca­tion, il en est deux qui retiennent plus parti­cu­liè­re­ment l’at­ten­tion. La première porte sur la ques­tion du nombre d’Al­sa­ciens-Lorrains incor­po­rés dans la Das Reich. « Pas moins de 6000 », avance le commen­taire du docu­men­taire qu’on a pu voir sur France 3, et revoir sur Arte le 21 avril. Chiffre possi­ble­ment exces­sif, recon­naît aujourd’­hui le réali­sa­teur, mais auquel on ne saurait substi­tuer un chiffre fiable. « Les docu­ments qui permet­traient de l’éta­blir ont très vrai­sem­bla­ble­ment disparu, brûlés avec tant d’autres au moment de la bataille de Berlin, explique-t-il. De sorte qu’on ne peut faire que des extra­po­la­tions, des suppo­si­tions et des recou­pe­ments. La seule chose que l’on sache est qu’il y a eu 130 000 Alsa­ciens et Mosel­lans enga­gés de force. Beau­coup ont été versés dans la Wehr­macht sur le front de l’Est ; les autres dans la Waffen SS et (surtout en 1944, via la classe de 1926) dans la divi­sion Das Reich. »

Le « chiffre » de « pas moins de 6000 » Alsa­ciens-Lorrains incor­po­rés dans la Das Reich, avancé d’une manière par trop affir­ma­tive, ne sort pour­tant pas de nulle part, comme le souligne Chris­tian Ingrao, réfé­rent histo­rique du film. Il « découle » d’une décla­ra­tion du colo­nel Albert Stück­ler, Premier offi­cier d’état-major, en charge des affaires d’in­ten­dance, d’éco­no­mie et de ressources humaines de la Divi­sion, selon laquelle chacune des compa­gnies d’in­fan­te­ries de la divi­sion comp­tait au mini­mum 40 Alsa­ciens-Lorrains. Multi­pliez par 40 les 39 compa­gnies exis­tantes : on obtient un mini­mum de 1560 Alsa­ciens-Lorrains. « Si l’on accepte ensuite – ce qui, je vous l’ac­corde, ne va pas de soi, ni dans un sens ni dans l’autre, relève l’his­to­rien – que les Alsa­ciens-Lorrains ont été incor­po­rés de façon égale dans les diffé­rentes compo­santes de la Divi­sion, on peut partir du fait que la divi­sion compte pratique­ment 19200 hommes et que le tiers d’entre eux seraient dans cette hypo­thèse issus de ces terri­toires incor­po­rés au Reich, ce qui ferait dans cette hypo­thèse 6400 d’entre eux. C’est ce chiffre extra­polé qui est à l’ori­gine du comp­tage maxi­mum avancé par Michaël Prazan dans le film. » Et d’ajou­ter : « De l’ef­fec­tif mini­mum [1560] et de l’ef­fec­tif maxi­mum [plus de 6000], aucun ne peut être tenu pour sûr. Tous deux sont des extra­po­la­tions. Ainsi va la recherche histo­rique et il va bien falloir que les gens s’y fassent. »

Dans la version du docu­men­taire diffu­sée sur Arte, la prudence a conduit Michaël Prazan à trans­for­mer le « pas moins de 6000 » en un « 1000 à 2000 » pas forcé­ment plus juste, mais tout du moins plus vrai­sem­blable. Seule modi­fi­ca­tion appor­tée au film, qui ne devrait pas plus satis­faire ses détrac­teurs, pour qui il « ranime des douleurs anciennes et choque consi­dé­ra­ble­ment les mémoires ».

La seconde critique prédo­mi­nante de ces détrac­teurs tient à la place que le docu­men­taire accorde à l’Al­sa­cien incor­poré de force Elimar Schnei­der, seul à avoir chro­niqué au jour le jour son passage dans la Das Reich. Raison pour laquelle Michaël Prazan a choisi de se concen­trer sur sa personne et son parcours, plutôt que sur ceux d’un Hongrois ou d’un Alle­mand. « J’ai utilisé ses écrits mais, à aucun moment, je ne le juge. Marie-Laure de Cazotte peut bien invoquer « l’in­croyable courage dont il a fait preuve lors de l’af­faire de Tulle en sauvant deux hommes de la pendai­son » – ce que je mentionne dans le film, en produi­sant un certi­fi­cat -, je ne peux pas voir en lui un héros après avoir vu (et monté) l’in­ter­view qu’il a donnée en 1982 à France Télé­vi­sions, et dans laquelle il fait l’apo­lo­gie de la Waffen SS. »

Quant à l’im­pres­sion de satis­fac­tion, voire de conten­te­ment déga­gée par la repré­sen­ta­tion du recru­te­ment des malgré-nous que d’au­cuns reprochent au docu­men­taire, elle tient au carac­tère propa­gan­diste des seules images tour­nées sur le sujet et que le montage utilise. « Je ne nie pas le drame des malgré-nous, insiste Michaël Prazan. Mais quelque chose m’a choqué dans les mails que j’ai reçus et dans les réac­tions indi­gnés après la première diffu­sion du film : aucun ne fait mention des victimes de la Das Reich à Oradour-sur-Glane. Quitte à entre­te­nir une mémoire victi­maire, on peut avoir une pensée pour ces femmes et ces enfants brûlés vif dans une église le 10 juin 1944. »

Pour les commen­taires accom­pa­gnant l’ar­ticle : [http://tele­vi­sion.tele­rama.fr/tele­vi­sion/la-diffu­sion-d-une-divi­sion-ss-en-france-ravive-les-plaies-de-l-alsace-lorraine,125516.php

 >http://tele­vi­sion.tele­rama.fr/tele­vi­sion/la-diffu­sion-d-une-divi­sion-ss-en-france-ravive-les-plaies-de-l-alsace-lorraine,125516.php]

Notre réponse

Permet­tez-nous de répondre au nom des cent-quarante signa­taires de la lettre ouverte citée. Nous préci­sons que cette liste rassemble des repré­sen­tants d’as­so­cia­tions de Mémoire, des dizaines d’his­to­riens, auteurs, dépu­tés et respon­sables locaux (voir le site malgre-nous.eu).

Michael Prazan et Chris­tian Ingrao ne font, dans leurs commen­taires, aucune allu­sion aux deux reproches struc­tu­rant l’in­di­gna­tion des Alsa­ciens, à savoir l’af­fir­ma­tion répé­tée (dans la première version du docu­men­taire) : « les Alsa­ciens consti­tuaient le gros des troupes » et l’uti­li­sa­tion d’un incor­poré de force alsa­cien comme prin­ci­pal témoin des exac­tions de la Waffen-SS en France. Dans les deux cas, ce sont des contre­sens histo­riques factuels contre lesquels aucun argu­ment ne tient, ce qui explique proba­ble­ment qu’il n’en soit pas fait mention.
Quant à soupçon­ner les détrac­teurs de ce docu­men­taire de manquer de sensi­bi­lité parce qu’ils n’évoquent pas les victimes d’Ora­dour, c’est gratui­te­ment inju­rieux. Tel n’était pas le sujet du débat et nous ne nous souve­nons d’ailleurs pas que le docu­men­taire « Das Reich » ait été compas­sion­nel. Aucun Alsa­cien ne peut être insen­sible à l’im­mense catas­trophe humaine et morale d’Ora­dour, et ce d’au­tant moins que – Michael Prazan et Chris­tian Ingrao l’au­raient-ils oublié ? – se trou­vaient parmi les victimes des réfu­giés alsa­ciens et mosel­lans.

Les Alsa­ciens entre­tien­draient une « mémoire victi­maire » ? Que recouvre cette expres­sion si étrange dont l’uti­li­sa­tion se répand depuis quelque temps? Est-elle déni­grante ? Serait-ce une patho­lo­gie ? Il nous semble que les Alsa­ciens et les Mosel­lans entre­tiennent simple­ment leur Mémoire d’in­di­vi­dus ayant, en une géné­ra­tion, été soumis à quatre chan­ge­ments de régimes et de natio­na­li­tés dans des condi­tions diffi­ciles, pour ne pas dire souvent atroces. Des mémoires d’hommes et de femmes qui ont, à un moment parti­cu­lier de leur histoire, été enga­gés, contre leur volonté pour la majo­rité d’entre eux, à défendre une idéo­lo­gie à laquelle ils n’adhé­raient pas, se retrou­vant sous le joug d’une des dicta­tures les plus meur­trières du XXe siècle.

Non, la recherche histo­rique des XXe et XXIe siècle ne se fonde pas sur des « extra­po­la­tions », non, il ne va pas falloir « que les gens s’y fassent ». Selon quel dictat ? Est-ce d’ailleurs un argu­ment accep­table de la part d’un cher­cheur du CNRS ? L’hu­main est certai­ne­ment trop humain, c’est la raison pour laquelle l’His­toire doit se baser sur un ensemble de faits prou­vés, fiables. Lorsqu’elle se fait complexe et que le doute est là, le devoir scien­ti­fique exige que les éléments soient véri­fiés et que, pour le moins, l’on s’écarte des affir­ma­tions dange­reuses. L’his­toire de l’Al­sace-Moselle, de l’An­nexion et de l’in­cor­po­ra­tion de force, n’est pas seule­ment un fait régio­nal. Elle touche aux racines les plus profondes de notre deve­nir actuel en illus­trant, de façon tout à la fois passion­nante et doulou­reuse, la manière dont notre roman natio­nal a été bâti.

Nous sommes en 2015, regar­dons les faits pour ce qu’ils ont été.

Marie-Laure de Cazotte, écri­vain, et Nico­las Mengus, histo­rien

Voir égale­ment : https://www.face­book.com/pages/Malgré-Nous-et-Incor­po­rés-de-Force/222379017895550

One Response to La diffu­sion d’“Une divi­sion SS en France” ravive les plaies de l’Al­sace-Lorraine

  1. blondel dit :

    dans une « division » en guerre, il y a de tout, des cuistots, des infirmiers, des gardes statiques, des services vétérinaires, de ravitailleurs en munitions ou en pinard… et bières …

    un homme sur 20 est dans une section de combat et si il y a un ou deux alsaciens par section il est noyé dans dans la section qui vit comme un pack de rugby et ne peut a aucun moment se désolidariser du reste de la section,
    de la même manière dans une section de cuistots ou de ravitailleurs de bière pinard ou schaps personne n’a de « politique personnelle » sans prendre de gros risques avec sa vie…le consensus mou est de rigueur et les autres regardent ailleurs, si cela ne leur plait pas il en est ainsi dans toutes les armées du mondes… travaillant actuellement sur un peloton de fusiliers motocyclistes le 19 juin 1940 il faut analyser les comportements individuels pour trouver héros, lâches, traitres, connards… et le risque d’erreur historique est très élevé… personne ne peut juger l’infirmerie d’un régiment de chars en 1973,( même pas moi son chef quelques semaines) ni « des malgré nous » dans une division allemande, ni des aiguilles dans une botte de foin, peut être même pas un journaliste dans son journal
    amitiés
    jh Blondel

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