Le comman­dant Kramer dans les souve­nirs d’un enfant de dix ans

Commentaire (1) Evacuation et Annexion

 

C’est à l’ini­tia­tive du docteur Georges Yoram Feder­mann, psychiatre et cofon­da­teur du Cercle Mana­chem Taffel, qu’une rencontre a été orga­ni­sée, en présence de l’his­to­rien Robert Steeg­mann, spécia­liste de l’his­toire du Stru­thof, avec Joseph Metz­ger, 83 ans, pour évoquer le SS-Haupts­turmfüh­rer Josef Kramer, comman­dant du camp de concen­tra­tion du Stru­thof. Un témoi­gnage inédit – même au sein de la famille Metz­ger – et surpre­nant.

Joseph Metz­ger est né en 1933 à Natz­willer. Son père Roger y était cordon­nier et sa mère Céles­tine tenait une épice­rie. Quatre de ses frères ont été incor­po­rés de force dans la Wehr­macht. Raymond, né en 1920, rentra de capti­vité russe tout de suite après la Libé­ra­tion ; Paul, né en 1921, fut pris par les Améri­cains en Norman­die ; Charles ne rentra de Russie, très dimi­nué, qu’en 1946 et mourut à l’âge de 50 ans ; Richard se sauva depuis la Pologne. Une de ses deux sœurs, Marthe, enrô­lée dans le BDM, travailla dans une ferme dans la région de Stutt­gart. Achille, lui, avait 15 ans quand les Alle­mands voulurent l’en­rô­ler vers la fin de la guerre et fut caché à l’Ecole des Missions de Saverne le temps que les Améri­cains arrivent.
Joseph se souvient aussi que, lors de la construc­tion du camp, les maté­riaux et le ravi­taille­ment des ouvriers était trans­porté depuis la gare de Labroque. « La route passait alors par le village. Quand les déte­nus arri­vaient, il fallait fermer les volets ». Par la suite, « on voyait souvent le trans­port en char­rettes, puis en camions, des moteurs d’avions abat­tus ».

Ayant quitté l’école à l’âge de 14 ans, Charles et Richard, alors âgés de 16–17 ans, travaillaient dans la carrière de granite du Stru­thof, à l’ex­té­rieur du camp. « On n’avait pas le droit d’en­trer dans le vrai camp où une pancarte aver­tis­sait les curieux qu’on tirait sans somma­tion ». De 1941 à 1942, le jeune Joseph et d’autres, montaient jusqu’à la carrière pour appor­ter le « pot du camp » à leurs proches. « Il fallait y monter groupé et se présen­ter, à midi, au gardien armé ». Ils étaient les seuls à être auto­ri­sés à y entrer pour appro­vi­sion­ner les ouvriers. Ceux qui y travaillaient étaient pour moitié des civils et pour moitié des déte­nus sous la surveillance de kapos. Une fois passé l’en­trée, « un grand portique en troncs d’arbres, il fallait marcher au milieu de la route : à gauche se trou­vaient les baraque­ments des déte­nus, à droite ceux des civils. Je savais dans quelle baraque étaient mes frères ». Les civils n’avaient pas le droit de commu­niquer avec les kapos et les déte­nus. Pour­tant, « un jeune de 14/15 ans a fait signe à Richard qu’il avait faim, même s’ils étaient rela­ti­ve­ment bien nour­ris pour pouvoir travailler. Mon frère lui a fait comprendre qu’il lais­se­rait un bout de pain sous la brouette qu’il retour­nait, en fin de jour­née, avant de redes­cendre au village. Le jeune a dû prendre le pain et, peut-être, se faire prendre, car mon frère ne l’a plus jamais revu dans la carrière. Richard était trau­ma­tisé, parce qu’il lui avait fina­le­ment rendu un mauvais service ».
Quand, en 1942, les deux frères ont été enrô­lés de force dans le Reich­sar­beits­dienst, puis dans la Wehr­macht, Joseph n’est plus monté à la carrière.

« On ne savait pas grand’ chose, à l’époque, sur le camp lui-même. Il y avait comme une chape de plomb. » La discré­tion et la méfiance étaient de rigueur si l’on voulait éviter les ennuis et ne pas être envoyé « là-haut », comme on le dit encore aujourd’­hui.

« Ma mère avait donc une épice­rie : une pièce dans la maison qui avait été aména­gée avec des rayon­nages. Elle servait égale­ment débit de tabac (qui avait été mis en place par les Alle­mands). Les SS du Stru­thof venaient, le plus souvent à deux, parfois à trois, cher­cher leur tabac avec leurs tickets. Ils entraient par la porte prin­ci­pale de la maison, prenaient le couloir et la première porte à droite qui donnait sur le maga­sin ; une autre porte donnait sur la salle à manger. Quand ils entraient, ils claquaient des talons et saluaient par « Heil Hitler, Frau Metz­ger !  ». C’était impres­sion­nant pour un enfant ».

Le comman­dant du camp, le SS-Haupts­turmfüh­rer Kramer, conduit par son chauf­feur, venait aussi cher­cher son tabac. Pour l’en­fant qu’il était, Joseph Metz­ger se souvient de Kramer comme un homme « d’une très grande culture et avec beau­coup de pres­tance. Il impres­sion­nait. J’ai toujours été étonné que ce fut le chef du camp. Les autres SS étaient aussi impres­sion­nants, mais ils s’oc­cu­paient des basses oeuvres ».
Dans l’épi­ce­rie, Kramer avait souvent de longues discus­sions avec Céles­tine Metz­ger. Une sorte de confiance s’était établie entre eux. Il lui aurait même dit, ce devait être au début de l’an­née 1944 : « Mme Metz­ger, je ne pour­rais bien­tôt plus suppor­ter les horreurs qui se passent là-haut ». Il préten­dait aussi être devenu chef de camp suite « à une grosse conne­rie » qu’il aurait commise : on lui aurait laissé le choix entre le front russe et la direc­tion d’un camp. « C’est ce qu’il a dit à ma mère », se souvient Joseph Metz­ger. Bien sûr, cela ne corres­pond en rien avec le parcours de cet offi­cier nazi.

Un autre épisode, qui aurait pu avoir des consé­quences drama­tiques, a marqué l’en­fant d’alors. Après le Débarque­ment en Norman­die, son père écou­tait plus fréquem­ment Radio Londres. « Un jour, Kramer est venu ache­ter ses ciga­rettes et, comme ma mère n’était pas dans l’épi­ce­rie, il est passé dans la salle à manger où mon père écou­tait Radio Londres. J’étais présent. Sur ces entre­faites, ma mère est arri­vée. Le SS lui a dit que c’était stric­te­ment inter­dit d’écou­ter la radio enne­mie. Ma mère lui a rétorqué : « Si ça ne vous plait pas, vous pouvez m’em­me­ner là-haut. J’ai quatre fils au front et je n’ai plus rien à perdre ! ». Le comman­dant lui a répondu qu’il n’en était pas ques­tion et l’in­ci­dent en est heureu­se­ment resté là. Mon père a été trau­ma­tisé par cet épisode ».

Lorsque le camp a été vidé, les gens de Natz­willer y sont montés. Les FFI sont arri­vés ensuite. « Les gens n’y montaient plus alors. On n’osait pas trop. Les FFI étaient très mal perçus. On disait que c’étaient des gens pas très fréquen­tables. Un gars de Natz­willer y était FFI et venait d’une famille de racailles ».

On le voit, les souve­nirs de Joseph Metz­ger, qui avait alors une dizaine d’an­nées, sont plutôt posi­tifs à l’en­contre de Kramer. Peut-on suppo­ser que Kramer avait le souci de vivre en bonne intel­li­gence avec les autoch­tones, en parti­cu­lier avec Céles­tine Metz­ger qui le four­nis­sait en tabac ? Sans doute fallait-il donner aux Alsa­ciens – propa­gande oblige – une bonne image des SS, des gens « toujours polis et bien mis », très éloi­gnée des horreurs concen­tra­tion­naires.

Nico­las Mengus

metzger_federmann_ami_rec_-_copie.jpg Joseph Metz­ger (à gauche) et Georges Feder­mann.
Photo Nico­las Mengus

One Response to Le comman­dant Kramer dans les souve­nirs d’un enfant de dix ans

  1. Liliane Elisabeth dit :

    Bonjour , Alsacienne d’adoption pour le première fois en compagnie de ma petite fille (15 ans ) nous avons fait un pélérinage au Struthof avec un temps exceptionnel . Nous avons eu la chance d’avoir une guide passionnée par l’histoire de ce camp . Pour ce qui concerne le hauptsturmfürer Kramer , il a été décrit comme une ordure cruelle sans émotion . La pratique des sévices dans ses raffinements les plus infâmes (jusqu’à la mort ) ne peut être expliquée tant la volonté d’anéantir par l’humiliation la plus extrême sans une once d’humanité la vie des hommes et des femmes sous la surveillance abjecte d’un individu et ses sbires ivres de cruauté ……. Ce qui malheureusement aujourd’hui nous rapproche de la folie de Daesh !

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