Version pdf sans le commentaire : MORTS POUR LA FRANCE | Le Club
Article paru dans les DNA et L’Alsace du 15.10.2025
Réaction de M. André Mehr, publiée ici avec son accord
André MEHR
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Le 17 Octobre 2025
Cher Monsieur Trésallet,
J’ai appris dans un article du journal « L’Alsace » votre position à propos des Malgré-nous. J’ai également pris connaissance du destin tragique de votre père résistant, déporté par les nazis dans un camp où il perdit la vie.
Je tiens à vous dire que j’ imaginer sans mal le drame que vous avez vécu dans votre enfance. Comme je comprends la douleur personnelle et familiale qui vous habite suite aux événements tragiques vécus par votre père et vous-même alors enfant de 6 ans, au cours de la 2ème guerre mondiale, et cela produit par la barbarie nazie.
Né en 1950 à Mulhouse je n’ai personnellement pas connu cette période, mais je suis porteur des traumatismes vécus par mes parents à ce moment-là.
Il y eut l’annexion pure et simple de l’Alsace par Hitler. L’objectif de son administration était que chaque alsacien se vive comme un véritable allemand et qu’il épouse la folie du 3ème Reich qui, parait-ili devait durer 1000 ans.
Nés après la fin de la Grande Guerre, mes parents avaient la nationalité française. Ils faisaient partie de ces alsaciens fiers d’être français, de chanter la Marseillaise, « Petit papa Noël », de réciter du Baudelaire, du Victor Hugo, de connaître tous les départements français et leur chef-lieu, d’avoir le Certificat d’Etudes.
Pourtant leurs propres parents étaient de nationalisé allemande jusqu’en 1918, et leur langue maternelle était de racine germanique puisqu’ils parlaient l’alsacien. Notre dialecte était d’ailleurs de plus en plus enrichi par des mots français prononcés à l’alsacienne. Le Gauleiter Wagner et ses sbires édictèrent toute une série de lois répressives pour contraindre la génération de mes parents à devenir les filles et les fils d’une nouvelle province du Reich. Il était par exemple interdit de parler français et alsacien.
Or, voyez-vous, mes parents comme , à ma connaissance, de nombreux autres alsaciens étaient des français de cœur, et le cœur cela ne se contraint pas ni ne s’achète.
Non seulement ils n’avaient pas l’intention de devenir allemands, mais surtout ils avaient en horreur le régime nazi. Mon père était mineur de fond. Au moment de l’annexion de l’Alsace, il a décidé d’être volontaire pour le poste de nuit. Ainsi il échappait en grande partie aux réunions obligatoires de la Hitlerjugend. Puis vint le moment où, ayant besoin de chair à canon, le régime nazi décida l’incorporation de force. Au préalable il avait d’ailleurs contraint les jeunes alsaciens à participer au Reicharbeitdienst (le travail bénévole au service du Reich.)
Monsieur Trésallet, au cours de mon enfance et de ma jeunesse j’ai entendu une multitude de récits de résistance de jeunes alsaciens pour tenter d’échapper à cette incorporation. Mais ils étaient tenus pas une menace terrible, celle de la déportation des membres de la famille des déserteurs.
Envoyé en Russie, mon père finit par déserter avec quelques camarades en ayant pris soin que son sous-officier le déclare comme disparu et non comme déserteur (Heureusement tous les membres de la Wehrmacht n’étaient pas des nazis.) Prisonnier des russes, il fut maltraité et envoyé au camp de Tambow. Il fit partie des 1500 incorporés de force libérés suite à un accord avec le Général de Gaulle. C’est ainsi qu’il se retrouva en Afrique du Nord et termina la guerre comme soldat de l’armée française : caporal volontaire avec des faux papiers pour libérer la France !
Ma mère, quant à elle, eut un frère de la classe 1926 qui mourut à 17ans en Normandie le 7 juillet 1944 ( jour de la libération de mon père du camp de Tambow. Je le sus par mes recherches.) porteur de l’uniforme de la SS ! Croyez-moi, il était tout sauf volontaire dans l’armée allemande, à fortiori pour être affublé de ce sinistre uniforme.
Il se trouve que sur les 2000 incorporés de force de la classe 26, 1000 d’entre eux subirent le même sort qu’André Rohrbach. A cette époque Hitler avait besoin de sang neuf pour combler les pertes innombrables de militaires allemands, et les affecter à l’Ouest cette fois. C’est ainsi qu’André futdans la division Dass Reich , celle-là même qui commit ces horribles exactions à Oradour et Tulles notamment ! Je sus que son bataillon n’avait pas participé à ces massacres. Je me suis bien sûr demandé ce qu’il aurait fait si ce fut le cas.
Au cours de l’été 44 ma mère perdit un deuxième être cher : son fiancé tombé en Russie trois semaine après son frère. Je pense qu’elle ne s’est jamais remise de ces pertes. Son manque de joie de vivre ne pouvait que m’affecter à mon tour. Ma famille fut durablement affectée par ce double psycho-traumatisme : lié aux diverses conséquences de la guerre et à celles de l’annexion de force de notre région d’appartenance, l’Alsace.
Je sais que la douleur nous pousse parfois à ne pas agir de la manière la plus appropriée et à prendre des positions pas très objectives. Je constate que le procès fait par l’ADEIF à Monsieur Hebrard a apparemment contribué à cristalliser les malentendus. L’expression « les alsaciens enrôlés soi-disant de force » ne peut que me déplaire de là où je suis. Pourtant je ne tiens pas à faire procès à qui que ce soit, surtout pas aujourd’hui au moment où les derniers acteurs de cette période disparaissent. Je revendique le dialogue.
Je comprends que vous-même puissiez être profondément choqué par une démarche en Alsace qui, pour nous, veut rétablir une réalité historique, alors qu’elle va vous apparaitre comme une tentative de vouloir gommer les responsabilités de ceux qui auraient participé volontairement au massacre de français, et, de surcroit, prétendre qu’ils sont « Mort pour la France. »
En triant les archives de ma mère après son décès, je cherchais les lettres de mon oncle qui est décédé en Normandie. Je ne les ai pas trouvées parce qu’elle avaient brûlé dans la destruction de la maison familiale au cours des bombardements de la libération tant attendue de l’Alsace. Par contre j’ai trouvé une lettre qu’elle avait adressée à son fiancé, et qui était revenue avec la mention « décédé au front. » En la lisant, j’ai vu que ma mère lui exprimait à quel point elle était inconsolable de la perte de son frère.
J’ai également trouvé dans les dites archives un document de la Nation Française qui accordait à André la mention : Mort pour la France.
Monsieur Trésallet, puis-je espérer que vous acceptiez de prendre en compte mon témoignage, que vous acceptiez de considérer avec moi que les acteurs d’un drame peuvent manquer d’objectivité, puis-je espérer que nous fassions à présent confiance aux historiens qui sont là pour dire les faits ?
Je le souhaite bien évidemment.
Quoi qu’il en soit je tiens à vous exprimer mon profond respect pour votre personne, et à vous confirmer que je suis sensible au drame que vous avez vécu. Avec vous je pense aussi que les responsabilités doivent être établies.
Bien cordialement.
André MEHR










