Mathilde Tournier a 16 ans en 2004 lorsqu’elle commence à travailler sur sa « trilogie alsacienne » qui revient sur l’Alsace au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les deux premiers volumes sont parus aux Editions Privat : « Entre deux feux » (2005) et « De gré ou de force » (2009). Retour sur une rencontre entre une jeune Tarnaise, l’Alsace et l’Histoire.
Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis née en 1987 à Albi (Tarn). J’ai toujours aimé écrire, raconter des histoires… Je dessine aussi.
J’ai eu l’idée de ma trilogie alsacienne à 16 ans, début 2004. J’étais alors en classe de Première ES (économique et social). J’ai terminé le manuscrit d’ »Entre deux feux » au printemps 2005, l’année de mon bac, et je l’ai envoyé. Les éditions Privat, de Toulouse (les plus importantes de Midi-Pyrénées, qui ont une collection de romans historiques) se sont déclarées intéressées : après une série de corrections sur la forme, « Entre deux feux » est paru en avril 2006. J’étais alors en classe préparatoire littéraire à Bordeaux. « De gré ou de force », mon deuxième roman, est paru en septembre 2009, toujours aux éditions Privat. Le troisième et dernier tome est actuellement en relecture chez mon éditeur. Je suis à présent âgée de 22 ans et en quatrième année à Sciences Po Bordeaux, école que j’ai intégrée après mon année de prépa. Je prépare actuellement les concours des écoles de journalisme.
Comment une Tarnaise de 16 ans est-elle arrivée à se passionner
pour l’annexion de l’Alsace au IIIe Reich entre 1942 et 1945, au
point d’en rédiger une saga en trois volumes ?
Tout d’abord, une rectification : ma « trilogie alsacienne » débute avec la défaite française, en juin 1940.
C’est en général la première question qui m’est posée. En vérité, par pur intérêt historique. A 16 ans, je me passionnais pour la période de la Seconde Guerre mondiale (j’ai toujours aimé l’Histoire), pour sa proximité et son éloignement, proximité parce que j’en connaissais des témoins directs (mes grands-parents), éloignement parce que ses enjeux semblent aujourd’hui très loins de nous, à l’heure de la construction européenne. La question de la barbarie me taraudait également : comment en était-on arrivé à de telles extrémités? Bref, je voulais écrire un roman dont le fond historique serait la Seconde Guerre mondiale ; mais de nombreuses choses avaient déjà été écrites dessus, et je voulais faire original. J’ai découvert l’histoire singulière de l’Alsace et de la Moselle par le biais des mémoires de jeunesse de l’illustrateur Tomi Ungerer, publiées sous le titre « A la guerre comme à la guerre ». Cette histoire m’a tout de suite passionnée parce qu’elle abordait des thématiques universelles et, me semble-t-il, existentielles : celle de l’identité, celle du choix, celle de l’engagement, celle de la responsabilité. C’est une histoire particulièrement grave et dramatique, malheureusement méconnue du reste de la France. On parle beaucoup de l’Occupation, on parle peu de l’annexion, et de ses antécédents (la première annexion, puis le retour à la France). Je tenais mon idée « originale ». Pour traiter de ce sujet complexe, un tome ne me suffisait pas. J’en ai fait une trilogie, de l’annexion à la libération, faisant en sorte toutefois que chaque tome – qui traite d’une période différente – puisse se lire en lui-même.
Quelles ont été vos sources documentaires pour aborder une période
très complexe ?
J’ai commencé par des lectures, ouvrages d’historiens et témoignages. Je me suis rendue deux fois en Alsace, à l’été 2005 et 2006. J’en ai profité pour aller fouiller dans les archives de Strasbourg et interroger des témoins de l’époque. Bien que mes livres soient des romans, je voulais un fond historique plausible. Ma démarche était presque celle d’un historien : comprendre une période qui m’est étrangère, à la fois par le temps et par l’espace, avec un regard distancié, objectif.
Qu’avez-vous retiré de votre saga alsacienne ? A-t-elle modifié
votre perception de l’Alsace de cette époque ?
J’ai toujours souhaité dépassionner le débat, montrer que tout n’est pas blanc ni noir. Il y a eu beaucoup de réactions passionnées autour de la question alsacienne, notamment par rapport au massacre d’Oradour-sur-Glane (des enrôlés de force alsaciens se trouvaient dans l’unité SS qui l’a perpétré). La question de la responsabilité s’est posée à leur procès. Personnellement, je pense que c’est une histoire très complexe et qu’il est difficile de juger. Dans mes romans, je montre les destins d’individus qui suivent des chemins différents. Je ne les juge jamais, je donne des clefs au lecteur, et c’est à lui de le faire. Au cours de mon travail d’écriture, je me suis toujours demandée : si j’avais été un jeune Alsacien pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’aurais-je fait? Et je suis incapable de répondre.
Quelle a été la réaction de votre entourage face au sujet que vous
abordez dans votre trilogie ?
Ma famille et mes amis proches ont éprouvé de l’intérêt pour cette histoire qu’ils connaissaient peu, comme moi auparavant!
L’annexion de l’Alsace-Moselle à l’Allemagne nazie n’est pas
forcément bien comprise par la totalité de nos compatriotes. Avez-
vous le sentiment que vos romans ont pu changer la perception que
peuvent avoir vos lecteurs de cette particularité par rapport au
reste de la France ?
Pour les retours que j’en ai, oui. Malheureusement, cette question intéresse peu dans le reste de la France! Les gens ne comprennent pas que l’histoire de l’Alsace-Moselle englobe une problématique historique particulière, ils voient ça comme un roman sur une région qui n’est pas la leur, et cela ne les intéresse pas. Souvent, les plus intéressés sont les Alsaciens eux-mêmes.
Propos recueillis par Nicolas Mengus
Mathilde Tournier, De gré ou de force, Editions Privat, 2009, 19 euros.
Résumé de l’ouvrage : Strasbourg. 1941. Le printemps s’achève. L’Alsace, annexée au IIIe Reich, vit l’anniversaire de l’armistice franco-allemand. Parmi la jeunesse strasbourgeoise, Walter Schwarz a opté pour une croix gammée, Stéphane Hentzel pour la résistance passive. La lutte est fratricide, entre ralliés à la nouvelle idéologie et ceux qui « ne marchent pas ». Lorsque l’Allemagne déclare la guerre à son alliée l’URSS, Walter décide d’intégrer la Waffen-SS. Stéphane, qui a combattu dans l’armée française en 1939, soutient, derrière son poste de radio, la résistance de l’Armée rouge. Jusqu’au jour où le Reich, tenu en échec sur un front toujours plus assoiffé de chair, décrète le service militaire dans les territoires annexés…
Voir aussi : http://mathildetournier.blogspot.com/