Le camp n°188 de Tambow est l’emblème des souffrances de l’ensemble des incorporés de force alsaciens et mosellans. Il résume à lui seul toute la complexité de la situation des Malgré-Nous. Plus de 60 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les archives russes sont sur le point d’être transférées dans notre région grâce à l’Association des Anciens de Tambow et autres camps1.
C’est en 1996 que Charles Klein, président de l’Association du Pèlerinage de Tambow, a pu accéder aux dossiers concernant le camp n°188 et l’hôpital de Kirsanow. Grâce aux nombreux contacts amicaux noués depuis des années entre l’Alsace et l’oblast (région) de Tambow, le maire de cette commune a proposé à Charles Klein d’en effectuer des copies et de les expédier en Alsace.
Une chance pour les familles…
L’ensemble de ces dossiers représente sept mètres linéaires d’archives. Leur contenu exact n’est pas connu, mais l’on sait qu’il s’y trouve des listes d’Alsaciens et de Mosellans qui ont
été internés ou qui sont morts à Tambow entre 1943 et 1945. L’une d’elles recense plus de 1000 Alsaciens et Mosellans décédés entre juin 1944 et août 1945.
Jean Benoît et Emile Roegel, respectivement président honoraire et vice président de l’Association des Anciens de Tambow et autres camps, qui suivent également ce projet de rapatriement, rappellent que le taux de mortalité dans le camp était énorme : entre janvier et mai 1945, on a dénombré 1752 décès. D’autres listes font mention des maladies dont souffraient les incorporés de force, mais probablement aussi des déplacements vers d’autres camps ou des commandos de travail.
Leurs souvenirs du camp ont alors afflué. Ils se sont souvenus de tout jeunes incorporés de force : l’un, de Weyersheim, était né en 1927 ; un autre originaire de la vallée de la Bruche, né
en 1928, avait été enrôlé peu avant le 22 novembre 1944 ! E. Roegel rapporte que les nouvelles arrivaient à Tambow par le biais de « nouvellistes » qui disposaient d’une radio. Ces derniers passaient de baraques en baraques pour diffuser les nouvelles. C’est ainsi qu’E. Roegel a pu se constituer une carte où figuraient presque toutes les poches de combats le long du Rhin. Ils se souviennent aussi que le général De Gaulle, en visite à Moscou, est passé en train à Tambow sans pouvoir s’y arrêter. Un sentiment d’abandon gagne les trois hommes : « Il savait bien que nous y étions… ». Ce sentiment perdurera après la guerre où « il ne fallait pas fraterniser avec tout ce qui était allemand ». Et J. Benoît, un des 1500 libérés en juillet 1944, a rappelé que François Mitterrand, alors ministre des Anciens Combattants, a été le premier à parler officiellement des « 1500 » en France.
Une question taraude toujours les trois hommes : « Pourquoi les incorporés de force étaient-ils moins bien traités à Tambow que les Allemands ? »
Les trois hommes ont aussi évoqué la récente disparition du peintre Camille Claus qui fut, lui-aussi, captif au camp n°188. Ce dernier avait fait don aux Anciens de Tambow d’un diptyque à la mémoire des incorporés de force décédés pendant la guerre. Cette oeuvre a ensuite été donnée au Mémorial d’Alsace-Moselle de Schirmeck, mais elle n’a pu être intégrée dans la muséographie.
… et pour les historiens
L’acquisition de la totalité de ces archives représente une chance pour les familles qui recherchent la trace d’un proche porté disparu et pour les historiens qui s’intéresseront à cette tragédie. En effet, les archives WASt de Berlin n’ayant pas encore été étudiées dans leur globalité, il n’existe aucune liste recensant tous les incorporés de force, ni de synthèse sur les disparus. Les chiffres officiels avancent le nombre de 40.000 Malgré-Nous décédés ou disparus, or seuls la moitié d’entre eux ont été officiellement déclarés morts. Et ces chiffres ne sont que des estimations. Par ailleurs, il est regrettable que notre pays ne se soit pas doté d’une organisation comme le Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge e.V. allemand spécialisé dans la recherche des lieux de sépulture.
Devant l’intérêt manifeste des Russes pour ce drame humain que représente Tambow, MM. Benoît, Klein et Roegel – qui ont par ailleurs été interviewés en Alsace, il y a quelques semaines, par la première chaine de la télévision russe – ont un autre regret : que les archives françaises ne soient toujours pas accessibles. En tout cas, il ne fait aucun doute que « ce transfert de documents permettra d’éclaircir la situation encore floue et peu chiffrable en l’état actuel sur l’occupation du camp à l’époque, sur le nombre de personnes ayant transitées par ce camp […]. Ce serait impardonnable de ne pas saisir cette chance ».
Les dossiers, une fois photocopiés, seront traduits et exploités en Alsace. Il restera ensuite à définir les modalités de leur consultation par le public. Mais, pour le moment, il s’agit d’obtenir le concours des instances régionales et des collectivités départementales d’Alsace et de Moselle. L’assistance de la Fondation « Entente Franco-Allemande » sera également sollicitée, les associations ne disposant pas des moyens nécessaires ; le prix du traitement d’un dossier est estimé à 27 ou 30 roubles (soit un peu moins d’un euro/dossier) et l’ensemble pourrait être évalué à 5000 euros. L’opération devrait être lancée au début de l’automne 2005.
Nicolas Mengus
1. Association des Anciens de Tambow et autres camps 11, rue Kuhn 67000 Strasbourg.