Antoine SCHAUB – Dossier établi par Jean-Marc MUNCH

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin, Témoignages

 

Antoine SCHAUB, né le 11 janvier 1925 à Rich­willer a été incor­poré de force dans l’ar­mée alle­mande. De cette tragé­die, il parlait avec réserve.

Il a été desti­na­taire d’une convo­ca­tion datée du 4 juin 1943 au Reichar­beits­dienst (RAD) à partir de la mi-juin, alors qu’il était âgé de 18 ans. Il est parti au début de l’été (lais­sant sa mère, veuve depuis 1938, et sa sœur) avec quatre cama­rades du village (Robert Klin­gen­sch­mitt, Fernand Mann, Auguste Rein­hold, et…) à Pfed­der­sheim (dans la région de WORMS) en Alle­magne.

Après quelques mois au RAD, il s’est retrouvé dans un camp mili­taire à MUSTERDORF en Alle­magne pour déter­mi­ner de son affec­ta­tion. Etant tireur spor­tif au club de Rich­willer, il a passé un test pour deve­nir tireur d’élite. Pour éviter d’être sélec­tionné, il visait les pâque­rettes à côté de la cible ! Il est devenu chas­seur alpin. Un moment doulou­reux de sa jeunesse, se retrou­ver forcés de revê­tir l’uni­forme alle­mand et de porter les armes contre des frères.

Il fut trans­féré à Reichen­berg près de Ruppers­dorf, puis en POLOGNE à Craco­vie et Mielec.

Il a relaté des faits terribles et marquants :

Lors d’un combat, dans les envi­rons de Dresde, il est revenu sur ses pas pour secou­rir son copain, Robert KLINGELSCHMITT, qui venait d’être blessé, en le portant sur son épaule pour évacuer le champ de bataille.

Une nuit, alors qu’il était réfu­gié sur un terrain, dans un trou d’obus, lors du bombar­de­ment de Dresde, il a entendu un « bruit d’en­fer ». Ce n’est qu’au lever du jour, qu’il a réalisé que ce vacarme prove­nait d’une roue d’un avion disloqué qui avait rebondi sur le sol.

La nuit de Noël 1943, alors qu’il était plan­ton, il s’est fait rempla­cer quelques minutes. A son retour, son cama­rade, origi­naire de Hirtz­bach, avait été tué par des résis­tants polo­nais. (En 1968, le corps du défunt a été rapa­trié en France, et inhumé au cime­tière d’Hirtz­bach, avec les honneurs mili­taires ; ce jour-là, Antoine SCHAUB a dit à son fils Claude qui l’ac­com­pa­gnait « c’est moi qui aurait dû être à sa place ! »).

Un jour, il a été pris dans des sables mouvants, et a été secouru par un soldat qui lui a tendu un bâton. Par lui-même, il ne s’en serait pas sorti.

Il a souf­fert de la faim. Avec ses cama­rades, ils tiraient sur des oiseaux pour les griller quand il était possible d’al­lu­mer un feu de camp. A l’ex­té­rieur, il était prudent de ne pas fumer pour éviter que l’en­nemi ne repère à des dizaines de mètres la lueur rouge de la ciga­rette.

 

Au mois de juillet 1944, le front russe avançait, les combats faisaient rage. Souf­frant déjà d’un trouble audi­tif suite à une défla­gra­tion lors d’un bombar­de­ment, il n’a pas entendu l’ordre de retrait. Evacuant tardi­ve­ment la tran­chée, il été griè­ve­ment blessé à la jambe gauche par des éclats d’obus tirés par des orgues de Staline. Il s’est opposé à l’am­pu­ta­tion envi­sa­gée, et a été soigné six mois dans un hôpi­tal mili­taire (laza­rett) en Alle­magne, à Chem­nitz près de Dresde. Là aussi, son quoti­dien fut marqué par l’hor­reur visuelle, audi­tive et olfac­tive, de soldats au corps meur­tri, mutilé, et de leur souf­france physique et morale, ainsi que de l’ago­nie et de la mort. Par peur de devoir retour­ner au front, des bles­sés souf­frant d’une plaie ouverte s’ar­ra­chait un cheveu et le dépo­sait dans la lésion pour ralen­tir la cica­tri­sa­tion. Cette cruelle épreuve fut une autre bles­sure de guerre qui comme sa plaie corpo­relle ne s’est jamais effa­cée.

Pour échap­per aux Russes, il a quitté l’hô­pi­tal avec des « valides ». Affai­bli, encore 45kg pour 1,85m, il a parcouru 11 km avec des béquilles pour se rendre aux Améri­cains. Portant l’uni­forme alle­mand, les Améri­cains l’ont pris en photo, et ne l’ont pas secouru (alors qu’il avait les aisselles en sang) pour le trans­por­ter dans leur GMC vide. Ses cama­rades l’ont installé sur une bicy­clette pour le soula­ger et l’ont poussé jusqu’au train, car Antoine était dans l’in­ca­pa­cité de péda­ler. Dans le wagon rempli de bles­sés, certains étaient morts à l’ar­ri­vée.

A Sarre­gue­mines au bureau de démo­bi­li­sa­tion, une surprise de taille atten­dait Antoine. Un offi­cier français et un offi­cier améri­cain procé­daient à la véri­fi­ca­tion des iden­ti­tés. L’of­fi­cier français, Clovis, a immé­dia­te­ment reconnu Antoine et a tamponné ses papiers sans contrôle. En effet, quelques mois aupa­ra­vant, Clovis qui était dans le même camp mili­taire qu’An­toine avait déserté pour rejoindre l’ar­mée française. Il avait demandé à Antoine de répondre à sa place à l’ap­pel pendant deux jours, pour lui permettre d’avoir une bonne avance sur les Alle­mands quand ils réali­se­raient sa fuite. Et Antoine a répondu à l’ap­pel pour Clovis pendant trois jours puis s’est tu à comp­ter du 4e jour.

Après son retour, Antoine a souf­fert régu­liè­re­ment de fortes fièvres pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’un méde­cin lui admi­nistre de la péni­cil­line. Il était inva­lide de guerre à 40%. Il portait des chaus­sures faites sur mesure, et une semelle ortho­pé­dique.

Profon­dé­ment marqué par les horreurs de la guerre, meur­tri dans son corps, blessé par l’in­com­pré­hen­sion des « Malgré Nous », ainsi que par l’hos­ti­lité mani­fes­tées envers eux de la part de conci­toyens, Antoine a refusé toute distinc­tion mili­taire.

1941. La Jeunesse Hitlé­rienne « Hitlerju­gend » est la mise en condi­tion de la jeunesse alsa­cienne dès l’été 1940. L’adhé­sion « volon­taire » est souvent le résul­tat de contrainte (père fonc­tion­naire, inscrip­tion dans les écoles subor­don­nées à l’or­ga­ni­sa­tion de la « Hitlerju­gend », …). Début 1942, l’adhé­sion à la HJ est rendue obli­ga­toire pour les jeunes âgés de 10 à 18 ans.

(extrait du livre  les «  MALGRE-NOUS » d’Eu­gène Ried­weg)

Antoine SCHAUB était apprenti aux Mines de Potasse d’Al­sace lorsqu’il a récep­tionné ce dernier aver­tis­se­ment.

Lettre du 27.12.1942 de Marcel Rein­hold à Antoine Schaub :

Cher Antoine

A mon tour de t’écrire quelques lignes. J’es­père que tu es en bonne santé comme cela est mon cas.

Alors, Antoine, comment vas-tu ? Où étais-tu à Noël ?
J’ai pensé à toi en ce jour de fête alors que nous étions en train de nous amuser. Nous avons fêté Noël tous ensemble. Nous nous sommes bien amusés mais ce n’était pas comme chez nous à la maison. Noël ne nous a rien apporté de bon outre le fait que nous n’étions pas de garde pendant quatre jours.
Je pense que tout cela va passer.

Au fait Antoine, que font les  « premiers ministres » Franzi et Miki ? J’es­père que le temps vien­dra bien­tôt, où nous pour­rons nous retrou­ver.

Sinon, rien de neuf ici. C’est tout ce que j’ai trouvé à t’écrire pour aujourd’­hui.

Encore une chose. Ici on trouve des harmo­ni­cas de marque « Hohner ». Ils sont chers compte tenu du change en monnaie alle­mande. Ils coûtent envi­ron 10 mark. Si tu en voulais un, écris-le moi !

Je termine cette lettre par de chaleu­reuses salu­ta­tions.

Au revoir et à bien­tôt

Ton cama­rade Marcel

A ta santé et bonne année 1943

 

4.6.1943. Convo­ca­tion au RAD.

1943. Carte adres­sée à Antoine SCHAUB par son ami François MULLER « Franzi », incor­poré de force, mort à la guerre, ayant demeuré rue de la Gare à Rich­willer. Son frère, Joseph, « Seppala » incor­poré de force, a rejoint l’ar­mée française et a parti­cipé à la libé­ra­tion de Paris.

 

 

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