DE LA LAPONIE À TAMBOW
Déserteur de la Wehrmacht en Laponie, Julien Bober (+ Strasbourg 10.3.2009) se rend aux Finlandais qui, bien qu’ayant reconnu sa nationalité française, le livrent aux Russes. Il est ensuite emprisonné au camp de Tambow.
Julien Bober est né à Lutterbach (Haut- Rhin) en 1923. Sursitaire pour pouvoir se présenter à l’Abitur, il passe trois mois dans l’Arbeitsdienst (6.10–29.12.1942). Il est incorporé le 15 janvier 1943 et rejoint la Marsch.-Kp. AB/Gren. Ers. Btl 338 à Crossen/Oder. Les deux mois d’instruction terminés, son unité devait rejoindre les troupes qui se trouvaient en Crimée.
« Tout était prêt pour le départ, mais comme Stalingrad était tombée – et Goebbels ayant annoncé que le nom de ses héros seraient inscrits en lettres d’or dans l’Histoire allemande -, la Wehrmacht a du revoir son programme. Bien que les effectifs de l’Armée allemande avaient sérieusement diminué, l’état-major prit la décision de donner aux recrues une nouvelle instruction. »
En mars, Julien Bober est transféré à Marienburg, en Prusse orientale. Là, malgré les pressions, il refuse, à deux reprises, de suivre un cours d’élève officier. Début mai, il est envoyé au camp militaire de Gruppe, près de Graudenz (Pologne), où est formé le MarschBtl. Lappland 3. De là, il est envoyé, à partir de Danzig, par bateau, en Laponie finlandaise, au nord du cercle polaire, pour être affecté au 1Kp/Felders. Btl 230 au camp de Kairala (18 mai) « où, pour m’adapter au climat, j’ai droit à une nouvelle instruction ».
Un siffleur de Marseillaise
Suite à une erreur de diagnostique d’un Unterarzt, Julien Bober est envoyé à l’hôpital pendant que ses camarades sont envoyés au front de Kandalakscha. Avant de prendre le même chemin, il est affecté pendant quelques jours comme serveur au foyer du soldat (Soldatenheim). Finalement, le 11 octobre 1943, il rejoint la 6. Kp. Reg. 310 de la 163e Division. Lorsque le capitaine, qui faisait partie de ceux qui croyaient en leur Führer, a vu cette nouvelle recrue, il l’a accueillie avec le sourire, « mais lorsqu’il a entendu d’où venait ce renfort, il a fait la grimace. Il a dit à l’adjudant: “Celui-là, vous ne me le mettrez pas avec l’autre”. Je savais donc que j’avais rejoint en Laponie un défenseur de la cause alliée. Le premier soir au front, dans l’abri, après avoir été présenté à mes camarades de combat, j’avais en face de moi un « camarade » qui, à la lumière toussotante d’une lampe à acétylène, me sifflait la Marseillaise. Encore imprégné de la surveillance à laquelle nous étions exposés à Mulhouse, je me suis dit: “Voilà la Gestapo qui me poursuit jusqu’en Laponie!”. Après avoir rencontré Charry, une semaine après mon arrivée, j’ai appris par lui que le siffleur de Marseillaise était un Polonais, qu’il était des nôtres et qu’il y en avait encore d’autres dans la compagnie qui sympathisaient avec nous. Si partout à travers le monde, la discipline est la force des armées et que tous ceux qui ne s’y plient pas sont sanctionnés, aucune armée n’a trouvé une formule pour faire marcher ceux qui ne comprennent pas ».
Un futur parachutiste?
Fin novembre, début décembre, Julien Bober jouit d’une permission au cours de laquelle son évasion vers la Suisse était prévue. Toutefois, pour éviter des représailles à ses parents, il abandonne son projet. De retour au front, fin décembre, il refuse à nouveau de suivre un cours d’élève officier. « Revenir au front pour entendre de nouveau les sifflements des balles et les explosions des obus n’est pas agréable et fait réfléchir. L’idée d’aller rejoindre l’Angleterre me paraissait valable. Je suis donc aller voir le capitaine pour essayer de lui faire comprendre que je pouvais être plus utile comme pilote de la Luftwaffe que comme grenadier en Laponie. Ce pince-sans-rire, qui a trouvé l’idée excellente, m’a toutefois fait remarquer qu’il n’était pas possible de passer de la Wehrmacht à la Luftwaffe, mais que les courageux comme moi étaient accueillis à bras ouverts chez les parachutistes. Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour déclarer que je ne méritais pas l’honneur de rejoindre cette troupe d’élite. Resté fantassin, il fallait trouver autre chose pour échapper au front. Une occasion s’est rapidement présentée lorsque j’ai été admis à l’hôpital avec de la température et me plaignant de rhumatismes – ce qui faisait mieux. Pour pouvoir prolonger mon séjour, j’ai frotté le thermomètre et suis arrivé à atteindre une température de 39,5 avec un pouls normal, ce qui a fait tiquer le médecin lors de sa visite. En me demandant des explications, il a pu apprendre – en même temps que moi – que je voulais étudier la médecine (ce qui m’aurait permis de quitter le front pendant un an). Cette idée brillante avait un hic: j’ai dû participer immédiatement aux séances de pansements de furoncles – articles qui ne manquaient pas! – et, retourné au front, la compagnie ayant perdu ses infirmiers lors d’engagements, j’ai été titularisé dans la fonction d’infirmier alors que je ne pouvais supporter la vue du sang! A ce sujet, je peux affirmer que, lors du premier rafistolage auquel j’ai assisté, j’ai vu que le sang était blanc… Cette fonction avait l’avantage de m’éviter de faire la guerre et d’écouter Radio Londres avec le sous-lieutenant qui était un peu communiste. Grâce aux informations acquises, je pouvais interpréter le communiqué officiel allemand, ce qui m’a été très utile lorsque, suite à l’Armistice que la Finlande a signé avec l’URSS (en septembre 1944), la Wehrmacht a été invité par ceux qui lui devaient leur indépendance à quitter les lieux.
L’armée de Laponie a alors été mise en marche pour retourner chez elle en passant par le nord de la Suède et en traversant la Norvège du nord au sud. En cours de route, il y a encore eu des escarmouches avec les guerriers de l’Armée rouge du côté de Petsamo. D’après les stratèges militaires, il serait unique dans les annales de guerre qu’une armée de plus de 200.000 hommes ait pu être retirée, pratiquement sans pertes, de la zone de combat. Pour décrocher du front nous avons parcouru à pied une centaine de kilomètres. A cette occasion, j’ai appris là qu’on pouvait dormir en marchant et marcher en dormant… M’accrochant à la roulante, je revenais à moi quand mon casque tapait contre la tôle. Il m’arrivait d’assister au réveil de l’un ou l’autre combattant : je pouvais le voir s’incliner progressivement comme s’il se préparait pour un départ de 100 mètres et plonger, avec armes et bagages, dans le fossé qui longeait la route du retour. A Kairala, nous avons été pris sous le feu des « orgues de Staline ». Entendant siffler tout autour de moi, je me suis mis à l’abri en sautant dans un marécage. Pendant que j’essayais de récupérer mes esprits, j’ai vu arriver une escadrille de neuf stukas. J’ai été rassuré lorsque ces appareils ont réduit au silence les canons russes.
Le 11 octobre 1944, quand j’ai eu connaissance d’un communiqué allemand, vieux de trois ou quatre jours, qui signalait des combats à Belfort, j’ai admis qu’il n’y avait plus de risques pour mes parents et j’ai déserté en emmenant Charles Hohler et Aloïs Ionek, deux des cinq sympathisants qui étaient prêts à me suivre. Comme j’avais été prévenu, à plusieurs reprises, que je serais descendu si j’essayais de m’évader, il fallait que l’opération se fasse vite car, en temps de guerre, on ne déserte qu’une fois.
Se rendre à l’Armée finlandaise
Le départ étant réussi, il fallait se mettre à l’abri et attendre que, d’une part, la Wehrmacht poursuive sa route et, d’autre part, que la division de Waffen SS, stationnée au sud, aille la rejoindre. Comme, suite au changement de l’attitude de la Finlande vis à vis des Allemands, ceux-ci avaient incendié toute la Laponie et l’embrasement du ciel indiquait clairement où se trouvait l’arrière garde.
Après notre évasion réussie, la suite nous a réservé quelques surprises. Le 28 octobre 1944, quand nous nous sommes rendu à l’Armée finlandaise, à Kémijärvi-Raisälä, nous avons été interrogés par un commandant portant monocle. Il sortait sûrement de l’école prussienne. Comme il avait visité Strasbourg décorée avec une masse de drapeaux à croix gammée, il n’a pas compris ma désertion.
Le 2 novembre 1944, nous avons été conduit avec des prisonniers russes (des déserteurs?) au camp n°41 à Oulu. A l’entrée, nous avons rencontré Hugo qui avait deux yeux au beurre noir et dont la tête donnait l’impression d’avoir été déformée par endroits. Quand nous lui avons raconté notre histoire, il nous a conseillé d’être prudents, car c’étaient les Waffen SS qui l’avait tellement arrangé parce qu’il était un déserteur.
Le 3 novembre a eu lieu l’interrogatoire officiel. J’ai eu affaire à un sémillant capitaine de l’armée finlandaise auquel j’ai remis mes papiers français. J’ai aussi envoyé à l’ambassade de France à Helsinki la seule lettre que j’ai été autorisé à écrire. Ma demande de rencontrer la Commission d’armistice anglaise a été refusée. Selon les bruits qui couraient, le capitaine aurait été un ancien Hauptsturmführer des Waffen SS. Reconnu comme français, membre d’un pays qui n’était pas en guerre avec la Finlande, j’ai été livré comme Allemand aux Soviétiques!
Livré aux Russes
Avant de donner un aperçu sur le sort que m’ont réservé nos « alliés », je crois qu’il est intéressant de revenir sur mon séjour en Finlande. Je possède une attestation finlandaise stipulant que je me suis rendu à Kémijärvi-Raisälä le 28 octobre 1944. Or, d’après l’extrait officiel des archives russes, j’aurais été fait prisonnier, au même endroit et à la même date, par l’Armée rouge, ce qui est faux.
Par ailleurs, j’ai pu obtenir une copie de ma carte de prisonnier, datée du 2 novembre 1944, qui précise bien que je suis français. La copie de cette même carte, que l’ambassade de France a pu se procurer, porte en plus les remarques indiquant que j’ai été envoyé en URSS le 24 novembre 1944 et que la « carte accompagne toujours le prisonnier dans ses déplacements ». Je n’ai jamais eu cette carte.
Le 25 avril 1945, la Croix Rouge internationale signale que, d’après une liste de la délégation de France en Suède, j’aurais été remis comme prisonnier de guerre aux autorités militaires de l’URSS en Finlande, ce qui est faux.
Le 20 novembre 1944, d’après une lettre adressée au Ministère des Affaires étrangères, la Croix Rouge finlandaise a transmis une lettre écrite par un « interné allemand » adres-sée au représentant de France. Cette lettre porte la mention manuscrite : « Aujourd’hui, la France n’a pas de représentant en Finlande », ce qui d’après les archives françaises est faux vu que Monsieur Carra de Vaux, ambassadeur à Stockholm, a fait confier la défense des intérêts de la France à Monsieur Nordberg, ancien consul général de Finlande à Paris, spécialement en vue de la protection des évadés français.
Le 3 novembre 1944, j’avais envoyé à l’ambassade de France à Helsinki la seule lettre que j’ai été autorisé à écrire. Après de très nombreuses démarches, il m’a fallu attendre plus de 59 ans pour avoir la confirmation que ma lettre a bien existé et pour en recevoir une copie.
Le 5 avril 2002, le Ministère des Affaires étrangères m’écrit que la Croix Rouge aurait envoyé la lettre aux Affaires étrangères qui l’ont transmise à l’ambassade de France à Stockholm.
Le 30 mai 2003, les Affaires étrangères, qui ont trouvé ma lettre, m’en envoient une copie ainsi que la copie de la lettre que la Croix Rouge leur a envoyée le 20 novembre 1944 et qui fait mention d’une lettre écrite par un « interné allemand ».
Soulignons encore que les conditions d’armistice signées le 19 septembre 1944 par la Finlande avec l’URSS et la Grande Bretagne stipulaient, au chapitre 20, que toutes les personnes emprisonnées suite à leur activité pour les Nations Unies ou leur sympathie pour ces dernières doivent immédiatement être libérées ».
Après un court séjour à Vipuri, Julien Bober a été envoyé le 9 décembre au camp de Wollosowo où les prisonniers ont été délestés de leurs effets, en particulier les vêtements emmenés d’Oulu. « On m’a pris mes chaussettes et mon pull-over ». Le camp est dirigé par Anton, « un ex-Waffen SS ukrainien, un « spécialiste », comme me l’a indiqué un capitaine du NKVD, c’est-à-dire un « kapo » qui savait manier le gourdin ».
Avec la promesse d’être remis à la Croix Rouge pour être rapatrié, Julien Bober est conduit, le 17 février 1945, au camp de Zinstroï, sur le Swir. « Ce camp, qui ne figure sur aucune carte, était probablement destiné à la liquidation accélérée. En effet, après trois mois, sur les 500 prisonniers valides qui y ont été internés, 150 étaient enterrés et seuls 50 étaient encore reconnus aptes au travail par les « alliés »… A force de vouloir faire admettre aux Russes que, n’ayant pas combattu contre eux, n’étant pas venu chez eux une arme à la main et étant citoyen d’une nation alliée, je n’avais pas à être dans un camp de prisonniers chez eux, je me suis retrouvé devant un tribunal du NKVD présidé par un colonel. Celui-ci, pour l’ouverture de la séance, m’a annoncé en hurlant que je verrai bientôt l’herbe pousser par le bas ». C’est ainsi que le 19 mai, au camp de Swirstroï n°213, Julien Bober est condamné à une peine de prison (Karzer) jusqu’à l’arrivée d’un groupe d’Alsaciens qui lui ont annoncé qu’ils rentraient alors, qu’en réalité, ils étaient en route pour le camp 188 de Rada, près de Tambov – où Julien Bober arrive le 11 juillet: « 10 à 15.000 ou plus des nôtres y ont disparu. J’y ai été aveugle et mon camarade Hohler y avait perdu la raison ».
De Tambov à Mulhouse
Le 16 septembre, Julien Bober quitte le camp de Tambov avec le cinquième convoi. Le voyage à travers l’Europe se fait dans des wagons à bestiaux et il est presque le seul à avoir « le seul confort d’un morceau de bois comme oreiller ». Le 26 octobre 1945, après avoir traversé les Pays-Bas et la Belgique, il arrive enfin à Mulhouse, via Châlons-sur-Saône.
Lorsqu’on lui demande pourquoi il a attendu si longtemps pour témoigner de son vécu dans l’armée allemande, Julien Bober répond sans hésiter: « Heureux d’avoir survécu, il fallait, après le retour, utiliser son énergie pour: rétablir sa santé, faire des études, se créer une situation, fonder une famille, aider les enfants et, pour ménager ses nerfs, mettre cette histoire en veilleuse. La retraite laissant du temps, j’ai réagi contre l’intimidation à laquelle on continue à soumettre les « Malgré-Nous », surtout à force de devoir entendre: « Vous les Alsaciens, vous avez tué les femmes et les enfants à Oradour! ». Le fait que Diekmann, qui commandait à Oradour, ait été traduit devant le tribunal des Waffen SS prouve qu’il n’avait pas la mission de raser le village et qu’il y a d’autres raisons qui ont conduit à ce drame ».
Propagande russe sur le front de Laponie
An die Soldaten des Reg. 324.
Liebe Kameraden! Hier spricht Euer Kamerad Obgefr. Otto Lindacher aus der 9. Komp., Reg. 324. Ich grüsse Euch aus der Gefangenschaft. Vor ungefähr 2 Monaten wurde ich durch einen russischen Stosstrupp gefangengenommen. Von unseren Offizieren und aus der deutschen Propaganda wusste ich, dass die deutschen Gefangenen in Russland misshandelt werden, wenig zu essen bekommen und schwer arbeiten müssen. Gerade das Gegenteil habe ich hier in russischer Gefangenschaft erlebt. Die Behandlung ist sehr gut. Mit der Verpflegung bin ich zufrieden. Ich habe eine leichte Arbeit in meinem Fach und arbeite täglich nur 7 – 8 Stunden. Ich bin glücklich und froh, dass der Krieg für mich zu Ende ist. Nach dem Krieg kann ich gesund in die Heimat zurückkehren. Kameraden, auch Ihr könnt Euer Leben und Eure Gesundheit erhalten. Gebt euch gefangen, damit der Krieg möglichst schnell Beendet wird. Euer Kamerad
Aux soldats du régiment 324.
Chers camarades ! Ici parle votre camarade, le caporal-chef Otto Lindacher de la 9e Compagnie du Régiment 324. Je vous salue depuis la captivité. Il y a environ 2 mois, j’ai été fait prisonnier par un commando russe. Par nos officiers et par la propagande allemande, je savais que les prisonniers allemands étaient maltraités en Russie, recevaient peu à manger et devaient travailler durement. C’est justement le contraire que j’ai vécu dans le cadre de ma captivité chez les Russes. Le traitement est très bon. Je suis content du ravitaillement. J’exerce un travail facile, correspondant à mon métier, et ne travaille que 7 – 8 heures par jour. Je suis heureux et content que la guerre soit finie pour moi. Après la guerre, je pourrais revenir en bonne santé chez moi. Camarades, vous aussi vous pouvez préserver votre vie et votre santé. Constituez-vous prisonniers pour que la guerre finisse le plus vite possible. Votre camarade
Obgefr. Otto Lindacher Aus der 9. Komp., Reg. 324.
Dieses Flugblatt gilt als Passierschein für deutsche Soldaten und Offiziere, die sich der Roten Armee gefangen geben. [Suit le même texte en russe] Caporal-chef Otto Lindacher de la 9e Compagnie du Régiment 324.
Ce tract à valeur de laissez-passer pour les soldats et les officiers allemands qui se rendent à l’Armée Rouge. [Suit le même texte en russe]