L’on pourrait très certainement dire, cette histoire très heureuse. Hélas, en toile de fond, il y a un drame chargé de honte : l’annexion de l’Alsace, de la Moselle, et un de ses corollaires : l’incorporation de force. De part ses conséquences, l’incorporation de force n’est rien d’autre qu’un génocide.
Les désertions semblables à celles racontées ci-après, sont très certainement nombreuses. Il paraît donc très important, d’effectuer les recherches, permettant de retrouver les protagonistes directs alsaciens et normands. Il doit être possible de découvrir également les témoins directs ou non. En voici la preuve : dans le recueil n° 2 sur l’incorporation de force, publié par la Société d’histoire de la vallée de Masevaux, est une interminable liste d’incorporés de force, avec, racontés leurs destins très souvent tragiques. La lecture des recueils 1 et 2 permet de repérer les incorporés de force venus porter les armes en Normandie.
Il a fallu un mot du patois du Cotentin, non traduit en français, d’un texte en langue allemande, pour situer avec précision la commune d’où eut lieu la désertion. Voici le texte traduit de l’allemand : » lieu de désertion; village ES HELENE (3 km à l’ouest de Notre Dame) en Normandie « . En patois du Coutançais « ES » correspond à l’article contracté : AUX. Dans l’annuaire téléphonique de la Manche, les communes ayant pour nom Notre Dame sont toutes rurales. A Notre Dame de Cenilly, il y a un village appelé « Les HÉLAINES ». Heureuse découverte, au second appel téléphonique lancé au hasard, un brave homme Roger HÉBERT, âgé de 81 ans, m’affirme : « C’est moi qui les ai fait déserter, en leur indiquant, la ferme d’André LEMARQUIER à 2 km de chez moi ». Et de me donner aussitôt l’adresse et le téléphone d’André LEMARQUIER, âgé de 96 ans. Les contacts ont été établis et nous nous sommes rendus à Notre Dame de Cenilly et ensuite à St LÔ.
Voici quelques détails sur ces fructueuses rencontres.
A Notre Dame de Cénilly, village » Les HÉLAINES « , Monsieur Roger HÉBERT nous attendait. Il nous réserva un accueil chaleureux. Roger HÉBERT est veuf. Il a des enfants, trois filles et un garçon. Orphelin, Roger n’a jamais connu son père. Très jeune, il fut » les bras de la ferme ». Nous avons filmé, enregistré les récits de Roger. Ces propos furent très enrichissants. En juillet 1944, le village, donc la ferme de la mère de Roger, était occupé par une section de SS. Bientôt Roger fut abordé par deux soldats. Ils lui dirent : » Nous sommes des Français incorporés de force ». Et de lui dire leurs souffrances physiques, mais surtout morales. Des liens se tissèrent. Les deux incorporés de force voulaient déserter, mais ils avaient peur que leurs parents soient fusillés. Pourtant, un jour, le 17 juillet 1944, leur décision de déserter fut prise. Roger leur indiqua un itinéraire discret, pour se rendre dans la famille LEMARQUIER, à la ferme « DES MONTS « . Ces deux soldats étaient très probablement Marcel EICH, de Wegscheid (Haut-Rhin), et Pierre WEISS, de Wegscheid également. Ils abandonnèrent leurs baïonnettes près du ruisseau du village « Les HÉLAINES « . Dans les minutes qui suivirent, la maison de Roger était entièrement fouillée, y compris les meubles. Un soldat en armes était dans l’entrée. La fouille fut vaine, évidemment…..! Roger raconte que les gradés avaient leur pistolet entre le ceinturon et la veste, et non dans l’étui, lorsque les Alsaciens étaient là.
Ce ne sont pas deux, mais six déserteurs qui arrivèrent chez André LEMAR-QUIER. Parmi eux deux Lorrains. Ces derniers étaient-ils dans la Waffen-SS ? Impossible d’apporter une précision. Un des deux Lorrains n’osa pas déserter, toujours par peur des représailles qui pouvaient être exercées sur les familles. Sur les cinq qui formaient ce groupe, quatre étaient en larmes. Leur responsabilité était énorme….! Les tergiversations, avant de fuir, si elles existèrent, ne durèrent qu’un moment. Les déserteurs » avaient le ventre creux. » André leur donna un demi-jambon qu’il avait sous la main et aussi quelques victuailles. Nous avons, au nom de tous les incorporés de force, rendu ce demi-jambon à André. Cela n’étonnera personne, il en fut très touché, très gêné.
C’était l’époque de la fenaison, André prit une fourche sur son épaule, simulant ainsi partir au travail. De nombreux soldats de la Wehrmacht étaient dans sa ferme. Les déserteurs suivirent André à distance. Sur les doigts de la fourche posée sur l’épaule, André avait mis un chapeau blanc. Ce chapeau était pour se signaler aux avions alliés qui sillonnaient le ciel. Là, le chapeau avait une double fonction : il était pour signaler là où était André aux Malgré-Nous évadés. Il passait à travers les champs, alors que les cinq déserteurs suivaient à bonne distance, en se dissimulant le long des haies et des talus. Ils ne perdirent jamais de vue André, le chapeau étant toujours visible. Plus de trois km furent ainsi parcourus sans encombre et surtout en contournant le village « Les HÉLAINES « . Ils passèrent ainsi – depuis Notre Dame de Cenilly – entre la commune de St Martin de Cénilly et celle de Le Guislain, pour arriver à la limite de celle de Hambye. Là, ce fut la séparation. André indiqua un bois situé à Hambye. Les déserteurs pressèrent les mains d’André en le remerciant. Ils lui remirent un papier sur lequel étaient inscrits leurs noms. André rentra très rapidement chez lui, en ayant la prudence, de dissimuler dans une haie le papier, qui retrouvé, était devenu illisible. Quelques minutes après le retour d’André, sous la menace des armes, les maisons constituant le village « Des Monts » étaient entièrement fouillées. Mais là encore, bien évidemment, les fouilles furent vaines. Les déserteurs étaient déjà loin.
Voilà donc, le résumé d’une désertion collective réussie.
Mais ce n’est pas tout ! André Lemarquier apprit, par une institutrice ayant exercé sa profession à Reffuveille (entre Avranches et Juvigny le Tertre) et nommée en 1943 à Cerisy la Salle que, la désertion à Reffuveille de plusieurs incorporés de force avait eu lieu ; elle eut lieu le 16 juillet 1944. Il est dit qu’un déserteur resta une journée toute entière caché dans le clocher, tout en haut, sur le beffroi supportant la cloche. Combien ces déserteurs étaient-ils ? Qui étaient leurs complices normands ? Que sont-ils devenus ? Poser la question, c’est demander une réponse…! Et la réponse pourrait être trouvée. La réponse pourrait être trouvée, mais, de plus, elle mérite de l’être ! Comment procéder ?
Si, personnellement, j’ai des possibilités pour rechercher, je n’ai pas qualité pour faire appel à témoins. Il semblerait que l’efficacité dans cette tâche serait probante et rapide, si les A.D.E.I.F., par le truchement des presses quotidiennes, hebdomadaires ou mensuelles et surtout normandes, lançaient des appels à témoignages. Peut-être prendrions-nous connaissance de d’autres faits héroïques! S’ils ont existé, ils ne doivent absolument pas rester sous silence. Dans la presse alsacienne, ces histoires pourraient être racontées. A leur lecture, les victimes du nazisme apporteraient leurs témoignages. Peut-être n’attendent-elles que cela….pour remercier ceux qui les aidèrent, les sauvèrent !
A ce propos, voici d’autres faits. Le comportement héroïque – par sa nature et sa durée – du Docteur Guillard mérite d’être raconté!
Après le bombardement de Coutances, l’hôpital de cette ville fut replié à Agon-Coutainville. Deux jeunes Alsaciens, incorporés de force dans la Waffen-SS, Armand Durlewanger et Joseph Meyer, désertèrent du front. Ils ont miraculeusement échappé au peloton d’exécution après sentence d’une cour martiale. Recueillis et protégés par l’abbé Bailleul, curé d’Agon- Coutainville, ce dernier les confia au Docteur Guillard Il les accueillit dans l’hôpital, les fit plâtrer et les dissimula parmi les nombreux autres blessés. Dans l’hôpital où ils restèrent une bonne dizaine de jours, ils échappèrent de justesse une fois encore aux griffes de la Feldgendarmerie et de la Gestapo. Ils furent libérés par les alliés le 28 juillet 1944, et s’engagèrent dans les Forces Françaises Libres.
Le Docteur Guillard était un résistant très discret. La preuve, il fut nommé par Vichy maire de Coutances. Cela lui permit de donner de fausses cartes d’identité à Armand et à Joseph et aussi à deux autres. L’efficace discrétion du Docteur Guillard était telle, qu’un officier allemand de la Kommandantur de Coutances, francophone et francophile, apportait à « Monsieur le Maire » les lettres de dénonciation sans les ouvrir. Quelle belle leçon d’humanisme dans ce tourbillon d’horreur !
Toujours dans la région de Coutances : les incorporés de force Alfred Billmann, André Monfort et Pierre Zerr, doivent leur salut à un Normand, Jean Auvray. Il était responsable des abattoirs de Coutances. Grâce à lui, un carnage a été évité. André Monfort est aujourd’hui décédé, mais Alfred Billmann et Pierre Zerr ont encore en mémoire le beefsteak qui leur fut donné. Nous avons retrouvé les petits-enfants de Jean Auvray. Ils nous ont remis une photo (ci-contre) que nous allons adresser à Alfred et à Pierre. Cette histoire a été reconstituée en partant des livres » Entre deux fronts « , tomes 1 et 2, d’André Hugel et Nicolas Mengus. Si ces livres étaient diffusés en Normandie, des faits forts intéressants seraient connus ; c’est à dire des actes de courage, de bravoure et de patriotisme, surtout ceux dans lesquels des Normands s’impliquèrent. Cela pourrait être donné en exemple. Des échanges constructifs pourraient exister entre des associations patriotiques alsaciennes et normandes, car dans la majorité des cas les déserteurs Alsaciens s’engagèrent dans les Forces Françaises Libres.
Ces quelques lignes ne peuvent suffire à décrire, à expliquer les problèmes posés lors de l’occupation de la France par l’organisation nazie. Elle avait, sous la contrainte, incorporé des Français de l’Alsace et de la Lorraine. Cet état de fait étant resté sous silence, les Français de toutes les autres provinces restent dans l’ignorance. Ils se méfiaient, tout naturellement, de ces soldats, se disant français d’Alsace, mais sous l’uniforme nazi. Cette ignorance officielle est voulue, aujourd’hui encore. C’est incontestable, peu de gens connaissent l’histoire de l’Alsace. Pire encore, par une perfidie politique instillée, des Français de l’Intérieur s’interrogent en très grand nombre. Ils condamnent de bonne foi leurs compatriotes d’outre Vosges. Quelle tristesse, innocemment, ils font subir une peine double, une honte double à de très braves gens, totalement innocents.
Lors d’une conversation entre commensaux au cours d’un déjeuner, au réfectoire d’un établissement, il fut question du champion cycliste Hassenforder. Ses pitreries et facéties le rendaient populaire. J’ai souvenance d’avoir déclaré à peu près ceci : « Hassenforder n’a pas dû être loin de subir le génocide de l’incorporation de force ». Un collègue me trouva excessif et rejeta le mot génocide. Le lendemain peut-être, je lui mis sous les yeux la définition du mot génocide, donnée par le Larousse en 10 volumes, édition 1962. Je ne sais plus précisément les arguments qui me furent opposés. Ce dont je me souviens, c’est de lui avoir dit d’une façon plus qu’incisive : « Je vois dans quel peloton tu es et pour quelle marque tu pédales…. ».
Jean BÉZARD