Cour­rier des lecteurs : Le drame des Malgré-nous « L’en­tière récon­ci­lia­tion passera par l’Al­sace-Moselle »

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La visite des prési­dents alle­mand et français à Oradour-sur-Glane le 4 septembre a suscité une vague de réac­tions. 69 ans après, c’est toujours le statut des Malgré-nous et la recon­nais­sance de leur souf­france qui est au cœur du débat.

Un problème franco-français

Claude Kautz­mann (cour­riel) , en réponse à l’ar­ticle de Chris­tian Bach inti­tulé « La douleur, la vérité et l’his­toire » (DNA du 18 septembre) :
« Je partage votre avis quand vous dites que ce n’est pas à Oradour que le président alle­mand pouvait évoquer la respon­sa­bi­lité de l’Al­le­magne à l’égard des Malgré-nous mais qu’il devrait le faire en Alsa­ceLor­raine. Ce serait un pas impor­tant pour réta­blir la vérité histo­rique de ce drame. […] Mais ce ne sera qu’un pas, car le problème reste avant tout un problème franco-français. L’en­semble du pays est très mal informé du drame vécu par les Malgré-nous. Il y a ceux aussi qui ne veulent pas savoir, persua­dés qu’ils sont que les Alsa­ciens ne sont pas des Français à part entière (heureu­se­ment que cet avis est moins partagé à notre époque). Et puis il y a ceux qui tentent de reti­rer toute la vérité histo­rique au crime majeur et ignoble qu’est l’in­cor­po­ra­tion de force.
Combien de fois les géné­ra­tions d’avant et juste d’après-guerre se sont vu trai­tées de “boches” à cause de notre accent (en colo­nie de vacances, à l’ar­mée etc.) et combien de fois avons-nous entendu dire que “les Malgré-nous n’avaient qu’à refu­ser de partir” ? Que dire aussi sur la dété­rio­ra­tion du monu­ment alsa­cien à Oradour ? »

Prison­niers des deux côtés

M. Armand Durle­wan­ger,
Colmar
« J’at­ten­dais et espé­rais du président (Gauck ; N.D.L.R.) un seul mot : pardon à l’Al­sace. Ce ne fut pas le cas. Ils étaient pour­tant là, les élus alsa­ciens, toutes tendances confon­dues, à l’écoute. J’at­ten­dais pour le moins une réac­tion de leur part. Mais la couleuvre fut avalée en silence. Une nouvelle et cruelle mécon­nais­sance du crime de guerre alle­mand contre la jeunesse alsa­cienne pour­voyeuse de chair à canon des armées nazies.
La sinistre divi­sion blin­dée Das Reich ! J’y fus incor­poré de force avant de pouvoir la fuir. Je témoigne donc de la folie brutale de ses cadres nazis tous volon­taires SS tatoués, crimi­nels du front russe. Quelle aubaine pour eux de rece­voir en renfort ces jeunes de 18 ans inex­perts en tout et pour la majo­rité anti-alle­mands. Livrés de force à cette solda­tesque, ils n’étaient plus que de misé­rables oies blanches encore pucelles, à dres­ser et maltrai­ter, à humi­lier et désho­no­rer sadique­ment. J’ai souvent comparé la Das Reich à une annexe ambu­lante du camp nazi de Schir­meck. Prison­niers des deux côtés, les jeunes Alsa­ciens étaient de plus igno­rés des Français et des Alliés ! Un quiproquo sans fin qui a perduré jusqu’à nos jours. Alors leur sort ne méri­tait-il pas un mot de compas­sion et d’ex­cuse, une demande de pardon de l’Al­le­mand, hôte du président français ? »

Les conten­tieux franco-français et Alsace -Alle­magne restent lourds

Mme Marianne Retler,
Stras­bourg
« La récon­ci­lia­tion est faite depuis long­temps. Les prési­dents de Gaulle et Adenauer l’ont amor­cée, mais les conten­tieux franco-français et Alsace-Alle­magne restent lourds.
L’en­tière récon­ci­lia­tion passera par l’Al­sace-Moselle avec la recon­nais­sance des Malgré-nous non discu­table et toujours mécon­nue.
Il reste en Alsace 3 000 dispa­rus dont l’Al­le­magne devrait recher­cher acti­ve­ment les corps pour qu’en­fin les familles puissent faire leur deuil. […] Je défen­drai toute ma vie mes convic­tions profondes en mémoire de mon papa disparu en Russie. »

M. Marcel Ohlmann, Hague­nau
« Je suis un Malgré-nous né en 1924, incor­poré en avril 1942 et rentré en juillet 1945 à l’âge de 20 ans et demi, quatre fois blessé et inva­lide de guerre. Comme Alsa­cien, j’ai toujours senti une certaine distance avec les gens du sud de la France où j’ai vécu. La seule réponse était toujours Oradour-sur-Glane. Cette céré­mo­nie là-bas a encore versé de l’eau au moulin des gens d’au-delà des Vosges, ils ne nous compren­dront jamais. Vous avez parfai­te­ment raison en disant :
“C’est ici en Alsace qu’il faut se rencon­trer”, ce sont nos élus qui devraient inter­ve­nir en expliquant clai­re­ment les problèmes de nos régions. Tout cela n’a jamais été traité à la racine. Oradour-sur-Glane était des repré­sailles et le géné­ral SS Lammer­ding de la divi­sion Das Reich est mort calme­ment dans son lit chez lui. »

Un système qui a multi­plié les holo­caustes

M. René Pradeilles (cour­riel)
« Il faut rappe­ler que parmi les 642 victimes il y a 48 réfu­giés d’Al­sace-Lorraine. L’hor­reur du crime met d’abord en cause un système qui a multi­plié les holo­caustes dans toute l’Eu­rope. »

Pourquoi l’Al­le­magne n’a-t-elle jamais inquiété les déci­deurs ?

M. Charles Bruder,
Sarre-Union
« Pourquoi l’Al­le­magne n’a-t-elle jamais inquiété les déci­deurs et les soldats alle­mands qui ont décidé et mis en œuvre ces atro­ci­tés et qui se rencon­traient chaque année quelque part en Bavière jusqu’à une date récente ? Quand recon­naî­tra-t-elle la réalité du crime de guerre en vue de l’in­cor­po­ra­tion forcée ? »

M. André Ross, Stras­bourg
« Ce drame nous inter­pelle encore aujourd’­hui, car chacun des 130 000 incor­po­rés de force aurait pu se trou­ver à Oradour et par la suite sur le banc des accu­sés.
Le procès de Bordeaux [en 1953 ; N.D.L.R.], lui aussi, conti­nue à susci­ter des ques­tions. On est perplexe devant l’orien­ta­tion qu’on a voulu donner à ce procès où ceux qui, en 1940, avaient été livrés corps et âme à l’Al­le­magne nazie, se voient expo­sés au reproche d’avoir appar­tenu, contre leur gré, à une forma­tion mili­taire crimi­nelle, alors que les vrais respon­sables qui ont donné les ordres du massacre n’ont jamais été inquié­tés par les auto­ri­tés françaises.
Pourquoi le géné­ral SS, le géné­ral Lammer­ding, qui avait commandé la divi­sion « Das Reich », respon­sable du massacre d’Ora­dour-sur-Glane, n’a-t-il jamais été inquiété par la justice française, alors qu’au moment où se dérou­lait le procès de Bordeaux, il vivait en toute quié­tude à Düssel­dorf où il diri­geait une entre­prise de construc­tion ? »

Même de Gaulle nous a igno­rés

M. Raymond Stef­fann, Lapou­troie
« Le président alle­mand ne pouvait pas recon­naître dans son ensemble ce crime de guerre, parce que, ce qui n’est jamais évoqué en Alsace-Moselle, les nazis ont aussi incor­poré de force des Polo­nais de la région de Poznan, région qui avait fait partie de l’Al­le­magne jusqu’en 1918, de même que des Roumains de Tran­syl­va­nie. En tant qu’an­cien incor­poré de force, je me suis trouvé avec eux en 1942 et 44.
À propos de ce drame qui a coûté la vie à plus de 40 000 de nos compa­triotes, seuls les prési­dents Sarkozy et main­te­nant Hollande ont reconnu le fait – même le Géné­ral de Gaulle nous a igno­rés. […] Ne parlons pas de l’igno­rance dans laquelle nous nous sommes trou­vés au moment de la paru­tion des fameux décrets (août 1942). Ce tragique épisode n’est pratique­ment pas connu de nos compa­triotes actuels ».

Recon­naître offi­ciel­le­ment leur destin doulou­reux

M. Pierre Judide Knibiehly, Pulver­sheim
« Il est bon de rappe­ler à ceux qui l’ont oublié et à ceux qui l’ignorent (en parti­cu­lier les jeunes géné­ra­tions) la ques­tion des Malgré-nous alsa­ciens présents dans le village martyr en ce jour funeste du 10 juin 1944 : c’étaient des jeunes à peine sortis de l’ado­les­cence jetés contre leur gré dans l’en­fer de la guerre et de plus du mauvais côté. Un seul était un engagé volon­taire. […] Le problème des incor­po­rés de force dans l’ar­mée alle­mande reste une des plaies ouvertes de la mémoire alsa­cienne : recon­naître offi­ciel­le­ment et en toute clarté leur destin doulou­reux consti­tue­rait un baume pour les derniers survi­vants de cette époque cata­clys­mique ».

Point de vue – Asso­cia­tion pèle­ri­nage Tambov : La liberté d’ex­pres­sion et l’His­toire : Oradour-sur-Glane, nième rebon­dis­se­ment

« Tous les deux ans, notre asso­cia­tion orga­nise un pèle­ri­nage à Tambov afin de se recueillir sur les sépul­tures de nos pères. Une semaine avant, un groupe de jeunes se rend sur les lieux afin de les défri­cher, de les nettoyer à l’aide de jeunes Russes. Ces jeunes Alsa­ciens, en 1997, ont demandé à Monsieur Roland Ries de les accom­pa­gner à Oradour ; ils ont essayé de créer des liens, de casser ce mur de non-dits ou de mensonges profé­rés depuis si long­temps.
Et il y a eu Monsieur Hébras et l’af­fli­geante remise en cause de l’in­cor­po­ra­tion de force : « soi-disant incor­po­rés de force », le retrait de sa phrase, son retour, un procès, une condam­na­tion…
Et récem­ment, le dépla­ce­ment plus pres­ti­gieux et plus média­tisé des prési­dents Gauck et Hollande nous a vrai­ment donné un espoir d’apai­se­ment et de récon­ci­lia­tion.
Et suit l’ahu­ris­sante infor­ma­tion : [N.D.L.R. : l’avo­cat géné­ral auprès de la Cour de cassa­tion requiert] l’an­nu­la­tion de la condam­na­tion ! Au nom de la liberté d’ex­pres­sion. Le décret d’in­cor­po­ra­tion de force existe, ainsi que l’odieuse « Sippen­haft » (respon­sa­bi­lité de la parenté) qui y est asso­ciée. La phrase de M. Hébras n’est pas un témoi­gnage, mais un juge­ment et une diabo­li­sa­tion de tous les incor­po­rés de force, les Alsa­ciens, les Mosel­lans, les Luxem­bour­geois… […] Nous avons décidé, dans un souci de main­te­nir des rela­tions amicales avec le Limou­sin et de réta­blir une incon­tour­nable vérité histo­rique, d’as­so­cier des jeunes d’Ora­dour ou de la région au prochain nettoyage dans la forêt de Rada, cime­tière du camp de Tambov. Un appel aux volon­taires pour 2014 sera envoyé à cette région ».

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