Textes de Jean BEZARD et Bernard MARC parus dans le Bulletin municipal de Gouville-sur-Mer en 2012 et 2020.
« Des « Malgré-Nous » dans le Coutançais » :
« Gouville en juillet 1944 » :
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Georges GODEFROY
Le 12 juin 2001, j’apprenais le décès de Georges GODEFROY. J’en fus attristé. Je connaissais bien Georges. Il m’a fallu obtenir le report d’un rendez-vous d’importance, afin que je puisse me rendre aux obsèques. J’y tenais absolument.
Au sortir de l’Église, avec deux camarades d’École, nous avons parlé de Georges. Elles ne savaient pas beaucoup sur lui. Je n’en fus pas surpris
Ce qui me surprit, c’est que, ni dans l’Église, ni dans le cimetière, nul propos n’ait été tenu sur les « deux ou trois petites choses » accomplies par Georges au cours des années 1943–1945.
Surpris, déçu, pour ne pas dire contrarié, dans les minutes qui suivirent, j’étais chez François HUE. Je lui dis mon insatisfaction. ! Et surtout lui demandai son avis…. !
La réponse de François a été très claire. Je compris que le silence déploré, était dû à l’ignorance.
Contre l’ignorance, il y a deux armes absolues et souvent redoutées : le savoir et le faire-savoir. La première est un droit, la seconde un devoir.
Sachons gré à François ; il m’encouragea vivement à dire ce que je sais sur Georges. Il me promit même de donner son aval pour cet article.
Pour raconter, nous avons les autorisations des enfants de Georges et bien évidemment de sa compagne. Alors, allons-y.
En préambule, peut-être n’est-il pas mauvais que je vous dise, que j’ai toujours nourri une grande estime pour Georges. Pourtant nos relations étaient loin d’être régulières et fréquentes. Peu importe, elles étaient toujours amicales.
En plus de 50 ans, nous nous sommes rencontrés au plus une trentaine de fois. Dans ces rencontres avons nous mangé 6 ou 7 fois à la même table ? Trinqué 10 ou 15 fois ?.Il est vrai que depuis longtemps déjà Georges observait un régime rigoureux.
J’aimais bien Georges. Il était doté d’une bonne élocution, son propos était clair, précis, concis…. !! J’ai toujours eu plaisir à l’écouter. Permettez-moi de m’enorgueillir d’être parvenu à le faire parler sur des sujets qu’il savait esquiver, et aussi d’avoir noté le plus souvent possible ce qu’il me disait. Ça il le savait, je le lui avais dit … .Il s’en amusait.
Lui comme moi, ne pensions pas que des traces de ces notes seraient un jour, rendues publiques, en témoignage de remerciement, de reconnaissance. Piètre récompense.
Sur Georges, par mon frère aîné Eugène, je savais quelques historiettes d’École, truffées d’espiègleries. Je savais aussi, et c’est important, que Georges avait été reçu un des premiers du canton au Certificat d’Etudes. En revanche, au catéchisme, avec deux autres compères Eugène KERDUAL et Eugène BÉZARD, il avait les plus mauvaises notes, parmi les 12 filles et 12 garçons qui firent leur communion solennelle cette année là. Il n’est pas possible d’être bon en tout.
Dès Juillet 1944, je savais la participation de Georges à une expédition en doris….Nous y reviendrons plus loin.
L’intérêt que je portais à Georges – il le savait – n’est rien d’autre que l’expression d’une très ancienne curiosité.
Cette curiosité m’est venue en entendant Louise LECHANTEUR. Elle se lamentait après le terrible accident qui provoqua – au village des Hougues – la mort de Jean FLEURY et de Robert GODEFROY (le jeune frère de Georges) Louis BIARD,lui, fut blessé.
Louise LECHANTEUR avait dit à mon père « Quel malheur, ça tombe sur Robert, alors qu’Emile MARTINm’a dit que Georges a fait les cent coups pendant la guerre » Ces propos, prononcés en patois éveillèrent en moi une envie de savoir. Envie, hélas, jamais pleinement satisfaite. L’accident cité était dû à l’explosion, provoqué par inconscience d’un engin de guerre. C’était le 7 Juillet 1945 , un samedi !.
Aurais-je connu avec tant de précisions les faits qui entouraient la vie de Georges GODEFROY , si cet accident effroyable n’avait eu lieu. Il est de bon aloi de se poser la question. Pour ce qui me concerne, la réponse est simple, ce que Georges a fait, rien ne peut, ne doit l’occulter, au contraire. Il serait malhonnête de le taire. Tous ces faits touchent à l’Histoire, puisqu’ils s’inscrivent dans son déroulement. Pourtant c’est volontairement à grands traits que je vais raconter cet épisode de la vie de Georges. Diluer jusqu’au détail, n’apporterait rien d’intéressant. En outre, il est bien sûr, que tout fait, tout témoignage, directs ou non, peuvent être déformés par le prisme des interprétations qui vite deviennent des assertions… ! Et partant, tout peut devenir spécieux et même équivoque. Grand est le danger !
Georges, c’est incontestable, était de ceux, qui très nombreux, n’associaient pas nation et passion pour la rime, pour la « frime »….. mais contre le crime. Cela donne aux humbles une force gigantesque : le Patriotisme.
Les années noires passées, les beaux jours revenus, Georges reprit ses outils pour avancer dans l’existence. Peut-être pour continuer à prendre des risques pour assurer la sécurité des autres. Il se distinguait ainsi de ceux qui, lorsque la paix fut revenue, se saisirent du glaive de la sentence, de la vengeance, pour faire oublier des comportements antérieurs.
Progressivement les affaires reprenaient leurs cours, l’entreprise familiale fit l’acquisition d’un camion de marque DODGE, aux couleurs rouge et jaune dominantes. Un soir qu’il en assurait le nettoyage, Georges m’expliqua la fonction de chaque organe. Mieux, il ne m’empêcha pas de m’installer au volant.
Plus tard, probablement en 1948, à l’entrée de l’entreprise, au Bord du Moulin, je vis Georges prendre ses bleus de travail fixés à l’arrière de sa moto. Crânement je m’approchai de lui et fis état des propos tenus par Louise LECHANTEUR. Georges me répondit par des questions sur mon frère et….par l’énumération des caractéristiques de sa moto. Il me fallut ce jour là insister pour parvenir à mes fins. Finalement Georges s’assit sur un wagonnet DECAUVILLE à l’entrée du chantier. J’en fis autant. J’écoutais, j’écoutais, j’écoutais. J’eus droit à un flot de précisions, pour moi alors, impossible à endiguer.
L’idée de prendre des notes me vint beaucoup plus tard, beaucoup trop tard… !
J’étais content, les anecdotes sont comme les perles d’un collier, la première perle partie les autres suivent. C’est le fil qui fait le collier, tout comme de l’amitié, le fil réunit les marques, les gestes qui permettent de se reconnaître.
Après, bien après, Georges s’épanchait facilement, la preuve à chacune de nos rencontres, je puisais dans ses souvenirs.
Georges naquit en 1923. Dès la fin de sa scolarité, Georges travailla quelque temps dans l’entreprise familiale. Bientôt, il fut décidé qu’il irait en apprentissage : ce fut à Granville chez Monsieur GOUDAL, menuisier
Sa vie d’apprenti se déroula sans fait marquant, doit-on parler de la distance Gouville – Granville qui à l’époque empêcha Georges de revenir autant qu’il le souhaita. L’éloignement du toit parental a pour conséquence » le Cafard » Georges, dès ses 14 ans le connut.
A l’arrivée des soldats allemands à Gouville, Georges terminait son apprentissage. Alors son père alla le chercher. Il était effectivement plus sage de revenir à Gouville et de travailler en famille. Les temps déjà étaient durs en cette année 1940, le spectre des privations était menaçant. Il fallait craindre les restrictions de matériaux.
Emile GODEFROY avait réussi, depuis de nombreuses années à se constituer un stock de bois. Ce stock ne devait en aucun cas tomber aux mains des ennemis. Le premier travail de Georges, dès son retour à Gouville, fut de « ventiler », et ce, en quantités les plus petites possibles tout le stock de bois dans les greniers. Georges travailla jusqu’à septembre 1943 chez son père.
La pénurie des matériaux se faisait durement sentir. Il est effectivement très difficile pour un maçon de travailler sans ciment : un tas de pierres même taillées, n’a aucune valeur, si un maçon n’y met la main.
Un jour, la possibilité d’avoir du ciment se présenta… ! mais à quel prix … ! Cependant Georges n’hésita pas …. ! Un transporteur de Pirou, possédait un camion avec un gazogène, habituellement, il assurait les transports de ciment et de chaux depuis la fabrique de Montebourg. Georges fit » des voyages » avec le transporteur. A Montebourg des contacts s’établirent, après les contacts vinrent les complicités avec d’autres transporteurs français.
Et voilà Georges, au sein d’une organisation informelle, qui parvient de temps en temps à détourner des camions entiers. Le ciment destiné à la construction du mur de l’atlantique est caché dans une ferme et ensuite acheminé par 2 tonnes à la fois – à cause de la capacité du camion – à Gouville. Les travaux de maçonnerie reprennent discrètement. Mieux encore, la camionnette circule à nouveau car Georges, avec des quantités moins grandes certes que le ciment, fait la même chose avec l’essence.
C’était osé, c’était surtout risquer la peine capitale. Georges affirmait, qu’il était conscient des risques encourus, mais que ces risques avaient sur lui un effet stimulant…Il était heureux par son action d’entraver d’abord, la construction du mur de l’atlantique
Fin d’août 1943 Georges reçut un ordre de réquisition des allemands. Il s’y attendait. C’est pourquoi, il alla contacter les jeunes gens qui étaient dans son cas. Il leur demanda de quitter le pays et surtout de ne dire à personne le lieu où ils seraient camouflés. Ainsi, en cas d’arrestation et d’interrogation, cette chape de silence et de secret éviterait de dénoncer les autres. Cet accord fut très bien respecté : il aurait été efficace…. !
Voici Georges dans la clandestinité. Grâce à notre instituteur Monsieur VERON, secrétaire de mairie, il porte le nom de Michel JOUIN mort noyé avec son frère Marc JOUIN. En plus de ses faux papiers d’identité Georges, alias Michel JOUIN a aussi un certificat d’inaptitude pour le travail en Allemagne, le Docteur Henri SIGNEUX le lui avait établi. Il en établit aussi pour beaucoup d’autres. Le Docteur SIGNEUX a rendu beaucoup de services.
A bicyclette, Georges quitte Gouville pour une ferme retirée à St Aubin du Perron. Dans cette ferme, il s’adonne à l’exercice de son état, ne restaure t-il point les charpentes de la ferme ? Les travaux durent 6 mois. Toujours avec des complices inorganisés mais obéissant au même idéal il continue son chemin.
A St Lô, il trouve du travail chez un menuisier Maurice BOULLOT. Là encore, il exerce pleinement sa profession. Il prend pension dans un restaurant au carrefour de la Bascule. La présence de ce jeune homme, prenant pension, interroge la propriétaire. Bien vite elle comprend et entoure Georges de sollicitude. La nourriture est améliorée. Pour parachever le tout, un policier Saint Lois : Fernand LACOLEY originaire de Blainville exerce une surveillance bienveillante sur Georges. Il se trouvait ainsi prévenu en cas de rafle. Tout se passa bien.
C’est à St Lô que Georges apprit la grande nouvelle : LES ALLIÉS SONT DÉBARQUÉS. C’est aussi en même temps sous le déluge des bombardements, qu’en sauveteur anonyme, et paradoxe, à double identité, il porta secours, ramassa au hasard des morceaux de corps humains pour les regrouper. Assistant au triomphe de la mort, comme à la naissance de la vie…. !
Pendant près de 5 semaines Georges vécut l’horrible. Il disait que pendant ce temps il avait mûri de 10 ans. Il disait aussi qu’il avait été amené à observer et à apprendre beaucoup sur le comportement des êtres. Les comportements changent sous une épreuve aussi dure qu’un bombardement ou un déluge de projectiles de toutes sortes.
Le 11 juillet 1944, les Allemands chassent sous la menace tous les habitants de St Lô. L’heure de la décision sonne pour Georges. Il décide de revenir à Gouville, il est seul, très seul, inquiet pour ses parents qui ne savent pas où il est, pire s’il vit encore. Georges prit donc la direction de Gouville. Il ne savait plus très bien l’itinéraire qu’il emprunta. Ce dont il se souvenait, c’est d’avoir été pris à Gourfaleur sous un formidable tir d’obus. C’était l’artillerie américaine. Plus loin il se trouva nez à nez avec un groupe de soldats allemands, en bordure d’un plant de pommiers. Les pommiers servaient de camouflage car dessous les Allemands manœuvraient un énorme char, sans doute pour aller au front. Les Allemands ne dirent rien, mais encore une fois quelle peur… !
La peur donne t-elle soif. ? Georges voudrait boire ! la soif le guide vers une ferme. Il observe, hésite, ose, frappe à la porte ; il entend parler, il a soif à » en crever » Il ouvre la porte, la maison est pleine d’Allemands. Que faire ? Quelle attitude prendre ? Tout simplement il fait comprendre qu’il a soif, une tasse de cidre lui est donnée, il en demande une seconde, puis une troisième. Il repart sans problème et se retrouve à Notre Dame de Cenilly. Il savait que dans cette commune vivait Michel DAUVIN, marié à une fille VINCENT de Gouville. Il se renseigna, on lui indiqua, il s’y rendit. Bien entendu, il se vit offrir à manger. Tout en se restaurant, il raconta. Michel DAUVIN et son épouse eurent peine à croire qu’il revenait de St Lô et, surtout, tout ce qui s’y était passé.
Les forces retrouvées, c’est à nouveau la direction de Gouville. En arrivant à Coutances, dès le Pont de Soulle, nouveau spectacle de désolation. Le vélo sur l’épaule, Georges s’épuise à franchir les décombres. Autre danger, un convoi de camions allemands est caché sous les arbres du Boulevard Encoignard. En définitive, les Allemands ne l’interpellent même pas.
Autre épreuve, la montée de la côte de Délasse. L’épuisement est tel que Georges ne peut plus avancer….Il réussira pourtant et arrivera à Gouville
Il restera peu de temps à Gouville. Le matin du 17 juillet, aux Hougues, le long du chemin de Boulang, le hasard fit qu’Eugéne KERDUAL et son frère Auguste rencontrèrent Ferdinand COUREL et Eugène BÉZARD : ils conversèrent. Bientôt et toujours par hasard François HUE et Georges GODEFROY arrivèrent. Emile LECADET passa, bien vite il devina et leur dit : « il faut partir au plus vite, allez à Blainville chez Marcel MAUDUIT il cache deux pilotes américains ». Il n’en fallait pas plus, cet encouragement cristallisa en chacun les desseins de tous. Les frères KERDUAL proposèrent leur doris :le « Jeune Mousse » immatriculé 3863 CHG. Le départ eu lieu le soir.
Emile LECADET était bien renseigné. Les deux aviateurs américains » ramassés » par Camille RIGAUD, « couverts » par Maître QUETIER devaient partir au plus vite. Le rendez-vous fut fixé à minuit au pied du Sénéquet. Ce jour là, la mer était pleine à 16h07 montait à 10,60m.. Elle était basse à 22h52 avec une hauteur de 2,46m soit un coefficient de 70 environ.
Ils ne virent personne au rendez-vous, ils attendirent Marcel MAUDUIT et les aviateurs jusqu’à 1h en faisant le tour du phare pour ne pas le perdre de vue. Un avion passa et lança au dessus du phare une fusée avec un parachute. Ils se tapirent au fond du doris. Le danger écarté, ils naviguèrent plein-nord. Georges disait que du large, la zone des combats était comme un immense feu d’artifice. L’aube vint, la fatigue aussi, tant d’heures à ramer à contre courant épuisent. Avec le jour le danger grandissait. Soudain des avions surgissent. Le doris va t-il être vu ? Non ! Hélas un avion revient en faisant une large arabesque. Les autres suivent, tout est fichu, c’est la fin. Descente presque en » piqué « , un passage de reconnaissance sans mitraillage. Du doris ils purent voir une étoile sur le fuselage et sous les ailes. Des Américains…Le drapeau fabriqué par François à l’insu des autres est arboré. Six paires de bras sont tendus vers le ciel. Les avions passent à nouveau à très basse altitude, ils oscillent de droite à gauche pour faire un battement d’ailes. Le message est compris. C’est le salut. Les avions disparaissent. Merci au drapeau, ils y tenaient au leur.
Ils devinèrent la plage sous une écharpe de brume. Ils » terrirent « , et virent les tristes pancartes » décorées « d’une tête de mort et de deux tibias, et surtout l’inscription en allemand » ACHTUNG MINEN « .
Il convient que je signale » in extenso » pour mieux la souligner, l’attitude de Georges : il dit à ses compagnons : « Restez là, je me sacrifie » Il traversa donc la plage et se dirigea vers un homme qui venait d’apparaître. Georges lui demanda tout de go : « Sommes-nous boches ou Américains ? » L’homme sortit de sa poche un paquet de cigarettes américaines, des Camel. Georges le cria aux autres qui mirent leurs pas dans les siens. C’était sur le plage de Denneville. Georges était heureux et malheureux à la fois, il pensa à Emile PITON, Julien LETERRIER, Georges LEBRETON avec lesquels il avait caressé dès le début de 1943 l’espoir de vivre des instants comme ceux là.
Le 22 juillet 1944, à Cherbourg, c’est l’engagement dans l’armée de terre. Les pérégrinations –officielles cette fois – conduiront Georges à Liverpool puis à Glascow. Embarquement pour Alger, en train pour le Maroc à Meknès. Retour en mai 1945 à Saumur, c’est la démobilisation, le retour au pays.
En 1960, dans Coutances, je rencontrai Georges. Au cours de la conversation, je lui dis « Finalement, tu n’as pas connu les allégresses de la Libération » Il me répondit « Ce n’est pas le plus important »
Georges, je t’estimais car c’est certain, tu étais quelqu’un de bien.
Jean Bézard