Pendant que l’horreur totale d’Oradour-sur-Glane n’en finit plus de refaire parler d’elle, d’héroïques Alsaciens pacifistes tombent dans l’oubli à Gevrey-Chambertin.
Est-ce une fatalité ?
Aujourd’hui, les chances de retrouver un témoin alsacien stationné à Gevrey-Chambertin en 1944 sont bien minces. Le plus jeune et le plus courageux d’entre eux mériterait sans doute d’être mis à l’honneur, fut-ce à titre posthume. Grâce à lui, c’est probablement deux massacres de civils qui furent évités.
Peut-on retrouver sa famille ?
Voici ce que nous disent les témoignages dont nous tirons des extraits. (*)
Une première exécution de civils évitée de justesse
Le samedi 29 juillet 1944, en tout début d’après-midi, deux véhicules sont entrés en collision devant la mairie de Gevrey-Chambertin. Outre des résistants, ces camions transportaient deux prisonniers et du ravitaillement, dont une meule de gruyère. Le deuxième camion était dans l’impossibilité de redémarrer et un groupe de badauds s’est rapidement formé.
Les habitants voulaient-ils profiter de l’occasion pour se procurer de la nourriture ? Toujours est-il qu’un maquisard a inopinément pris l’initiative de tirer un coup de feu en l’air pour éloigner la foule.
Suite à cette agitation, des soldats allemands, dont des Malgré-Nous, sont sortis du restaurant « de l’Etoile » avec leurs armes. Ce restaurant est situé à environ 60 mètres de la mairie. L’enseigne actuelle est Pizza Vostra.
Les civils sont rentrés dans leurs maisons car, très rapidement, la situation s’est gâtée. Un feu nourri de part et d’autre s’est déclenché. Les soldats allemands étaient couchés en position de tir face à la mairie et les résistants s’abritaient dans les recoins et derrière les camions.
Les habitants apprendront bien plus tard, par un des résistants, que les Alsaciens Malgré-Nous avaient délibérément tiré au-dessus des maquisards.
Ces résistants purent s’enfuir et regagner Leuzeu sans déplorer de blessé, mais Jean Poupon, jeune séminariste faisant office de secrétaire de mairie, fut tué d’une balle en pleine tête alors qu’il se trouvait au premier étage de la mairie, au-dessus du camion, à environ deux mètres en retrait d’une fenêtre fermée, juché sur un podium pour observer ce qui se passait à l’extérieur.
Les habitants de Gevrey-Chambertin en déduisirent que les Allemands l’avaient volontairement abattu en se croyant menacés.
Après le silence des armes, un officier allemand, qui commandait des renforts venus de Nuit-Saint-Georges, a fait sortir tous les habitants de la place de la mairie et de la partie haute de la rue de Richebourg, les obligeant à se tenir debout devant leur porte, femmes et enfants compris.
Il fit mettre en place trois ou quatre mitrailleuses en demi-cercle braquées sur un groupe de vingt à trente hommes. L’exécution des civils était imminente, sous le regard des femmes et des enfants.
Selon certains témoignages, le jeune Alsacien qui servait d’interprète exhortait l’officier à renoncer à ce funeste projet. Le maire du village arriva alors et entama une conciliation pour obtenir un début d’apaisement. Il fit valoir la mort du secrétaire de mairie comme étant une victime civile non combattante. Les Allemands n’avaient aucune perte à déplorer.
Finalement l’officier ordonna de conduire les hommes dans le parc de la Kommandantur. On rapporta qu’il en avait fait « schlaguer » quelques-uns, puis qu’il renvoya tout le monde.
Auparavant, après le départ des maquisards pour Leuzeu, un ou plusieurs Allemands s’étaient avancés rue de Gaizot, longue d’une centaine de mètres, jusqu’à la Place des Lois. L’un d’eux a mitraillé les façades des maisons sans faire de victime. Or, Mme Olivia Sillonville, qui témoignera ultérieurement d’une exécution de civils évitée, ne parlera pas de ces coups de feu. Elle était pourtant réfugiée dans une famille qui habitait place des Lois. Peut-être n’était-elle pas présente ce jour du 29 juillet.
La bataille du Leuzeu, 30 juillet 1944
Pour respecter la chronologie des faits, notons que la bataille du Leuzeu eut lieu le 30 juillet 1944. Tous les détails sont donnés dans le cahier N°3 des « Amis du Val de Leuzeu » auquel il convient de se référer. (*)
Cette bataille opposa 400 miliciens aux résistants qu’ils appelaient les « terros » : abréviation de « terroristes ». Les résistants ont été vainqueurs. Un parachutage d’armement avait opportunément eu lieu la veille et l’avant-veille.
L’emprise du gouvernement de Vichy
Le 2 août 1944, les cinq miliciens tués par les résistants au Leuzeu ont eu droit aux funérailles officielles (la milice était un corps de l’Etat français présidé par le maréchal Pétain).
Le cortège funéraire, tiré par des chevaux, traversant Dijon depuis la cathédrale Saint-Bénigne jusqu’au cimetière des Péjoces, a été accompagné par une foule innombrable de Dijonnais, ce qui témoigne à la fois de l’emprise exceptionnelle du gouvernement sur les mentalités des Français, mais encore du profond désarroi de la population qui ne croyait pas encore à la défaite des nazis et de leurs soutiens.
Le 15 août, des Malgré-Nous gagnent le maquis
Alors que les résistants avaient quitté Leuzeu en prévision, justifiée par la suite, d’une réplique en force de l’armée allemande suite à la défaite de la milice, les Malgré-Nous ont rejoint le maquis vers Lantenay, le 15 août.
A vu de la tournure des événements, on peut imaginer qu’après avoir volontairement raté leurs cibles à 60 mètres, ces Malgré-Nous pressentaient la fin de leurs chères études œnologiques sous l’uniforme allemand en terre de Bourgogne…
Par contre, il semblerait que le jeune Alsacien Malgré-Nous, qui servait d’interprète et qui n’était peut-être pas impliqué dans la fusillade, n’est pas parti avec ce groupe, car on retrouve notre héros plus tard dans le témoignage de Mme Olivia Sillonville.
Probablement a-t-il pensé aux risques de déportation de sa famille s’il désertait l’armée allemande.
Une deuxième exécution de civils évitée de justesse
En 1972, Olivia Sillonville situe les événements qu’elle décrit, et qu’elle a vécus, dans la deuxième quinzaine d’août, très peu de jours avant l’arrivée des troupes d’Afrique du Nord, qui, rappelons-le, ont libéré Gevrey-Chambertin le 10 septembre 1944.
Mme Gilberte Burguet (13 ans en 1944) témoignera en 2008 que Mme Sillonville était bien présente en 1944 dans sa famille et qu’il y a eu fouille des maisons avec bris de serrures et fouille des placards par les Allemands. Les témoins des événements du 29 juillet ne parlent pas de ces fouilles.
Même si la mémoire des habitants est désormais lacunaire, les faits et les dates montrent, aussi extraordinaire que cela puisse paraître aujourd’hui, qu’il y a bien eu deux épisodes avec risques d’exécution de civils à Gevrey-Chambertin.
Pour résumer le récit de Mme Sillonville auquel il convient de se référer (*), tout commence par un seul coup de feu et un soldat allemand blessé (était-ce l’acte d’un résistant isolé ? Etait-ce pour venger la mort du séminariste ? Nous ne le saurons sans doute jamais).
Vingt minutes plus tard, douze soldats allemands, armés et casqués, visitèrent les maisons, expulsèrent les habitants et les emmenèrent dans une petite forêt avoisinante. Au milieu d’une clairière, un autre groupe de soldats allemands les attendaient derrière cinq mitrailleuses sur trépied. Les mitrailleuses étaient dirigées vers les habitants.
Tout à coup, une discussion violente, sonore et dramatique éclata. C’était notre jeune Alsacien qui s’expliquait avec le Feldwebel. La dispute montait, hurlante. Elle dura trois quarts d’heure. Finalement les habitants purent rentrer chez eux. Sans même un sermon…
D’après Mme Sillonville les habitants de Gevrey-Chambertin n’avaient pas pris conscience de ce qui venait de se jouer.
Ainsi on oublie les pacifistes…
Jacques Ducarme
(*) Tous les témoignages connus à ce jour sont dans le cahier du LEUZEU n° 3 à commander auprès de l’association du Val de Leuzeu, Mairie, 21410 Fleurey-sur-Ouche et dans l’article de Mme Olivia SILLONVILLE paru dans le Journal de la France n°164.