Malgré la formidable ligne de défense que constitue la Ligne Maginot, l’évacuation des communes faisant face à l’Allemagne s’impose en cas de conflit.
Des plans sont établis dès 1935, mais doivent être révisés à cause de l’alliance italo-germanique : il est décidé que les populations concernées seraient déplacées non plus vers la Savoie, mais vers le sud-ouest de la France. A la fin du mois d’août 1939, les Alsaciens et les Mosellans dont la présence n’est pas indispensable près de la frontière sont invités à se replier. Mais, dès le 1er septembre, l’ordre d’évacuer est donné à tous les habitants de la zone frontière, soit une bande de territoire d’une profondeur allant de 5 km minimum le long du Rhin jusqu’à une vingtaine en Moselle.
Les 2 et 3 septembre, ce sont 374.000 Alsaciens et 227.000 Mosellans qui abandonnent tous leurs biens (hormis 30 kg de bagages et des vivres pour 4 jours), soit, au total, la population de 495 communes. A ceux-ci s’ajoutent environ 100.000 personnes qui, bien que ne résidant pas dans la zone évacuée, préfèrent se replier à « l’intérieur » ; il s’agit notamment de Juifs et d’Allemands installés en France pour fuir le nazisme.
Pendant que les hommes mobilisés sont dirigés vers le front, les Haut-Rhinois sont évacués vers le Gers, les Landes et le Lot-et-Garonne, les Bas-Rhinois vers la Dordogne, l’Indre et la Haute-Vienne, et les Mosellans vers la Charente, la Charente-Maritime et la Vienne, le plus souvent en wagons à bestiaux. Les administrations, écoles normales, facultés, etc. sont également évacuées.
Sur place, les réfugiés sont logés dans des habitations ou des locaux disponibles. Ceux en surnombre sont répartis sur les localités des environs. Si chacun trouve un logement, le manque de draps ou de couvertures, l’absence de confort et de moyens de chauffage est parfois cruellement ressentie. La barrière de la langue – même si le français est la langue commune – va être source de malentendus, voire de méfiance : qui sont ces gens dont le dialecte ressemble tant à la langue de l’ennemi ? Puis, ayant appris à se connaître, amitiés et même amours vont naître de ce « choc » de cultures.
L’offensive allemande de mai 1940 provoque une nouvelle vague d’évacuation : 33.000 Alsaciens et 82.000 Mosellans quittent leur région pour se mettre à l’abri auprès de parents ou amis déjà évacués. Le gouvernement redouble d’efforts pour améliorer les conditions de vie des réfugiés.
On estime que 530 à 540.000 Alsaciens (évacués et mobilisés) et 300.000 Lorrains se trouvent, en juin 1940, hors de leurs départements respectifs. Après l’armistice, la majorité d’entre eux vont progressivement retourner au pays, inquiets de savoir ce que sont devenus appartements, maisons, commerces ou fermes. Ce retour dans une France annexée au IIIe Reich a d’ailleurs été fortement encouragé par les autorités civiles et militaires françaises, bien que sachant déjà ce qui attendait les réfugiés (y compris l’éventuelle incorporation des hommes dans l’armée allemande selon une note secrète de Vichy de l’automne 1940). A la même période, Paul Dungler créait, dès la fin juin 1940, le premier réseau de résistance alsacien (devenu Brigade Alsace-Lorraine en 1944) et les derniers défenseurs de la Ligne Maginot ne se rendirent aux Allemands qu’au début du mois de juillet 1940.
Nicolas Mengus