Je suis fière d’être la nièce d’un « Malgré-Nous », par Renée Baudot

Commentaires (3) Actualité, Billet d'humeur, Opinion

 

Le 12 novembre 2023, sur la chaîne LCI, Monsieur Patrick Martin-Genier, ensei­gnant à l’Ins­ti­tut des Sciences Poli­tiques de Paris, spécia­liste de l’His­toire euro­péenne, a affirmé que les « Malgré-Nous » étaient des traitres qui méri­taient l’in­di­gnité natio­nale.

Quali­fier de « traîtres » les « Malgré-Nous » est faux et diffa­ma­toire. Ces propos néga­tion­nistes sont inac­cep­tables.

Une nouvelle fois, nos anciens sont insul­tés, vili­pen­dés et trai­tés comme des parias dans leur propre pays.

Je rappel­le­rai en quelques mots le contexte de l’in­cor­po­ra­tion de force.

Après la signa­ture de la Conven­tion d’Ar­mis­tice en 1940, l’Al­le­magne nazie annexa de fait l’Al­sace et la Moselle en viola­tion de cette conven­tion. A partir de ce moment, l’Al­le­magne mit en place une poli­tique de germa­ni­sa­tion des trois dépar­te­ments avec l’in­ter­dic­tion de la langue française dans l’ad­mi­nis­tra­tion, dans l’en­sei­gne­ment, dans la presse ainsi que dans toute la vie publique. Les popu­la­tions annexées étaient soumise à la dicta­ture nazie dans toute sa rigueur.

Après la défaite de Stalin­grad, où les nazis perdirent 300 000 soldats et eurent 100 000 bles­sés, l’ar­mée alle­mande avait des besoins énormes de combat­tants.

L’ap­pel aux volon­taires dans nos trois dépar­te­ments fut un échec cuisant. Seule­ment envi­ron 3000 jeunes se présen­tèrent, essen­tiel­le­ment des enfants de fonc­tion­naires et de mili­taires nazis arri­vés dans notre région avec l’An­nexion. Cet échec fit chan­ger les nazis de stra­té­gie et ils mirent en place la conscrip­tion obli­ga­toire dans la Wehr­macht et la Waffen-SS pour les jeunes Alsa­ciens et Mosel­lans par les décrets des 19 et 26 août 1942.

Les Alsa­ciens et les Mosel­lans ont une iden­tité de fron­tière. Ils sont les gardiens de la fron­tière de l’Est de la France depuis 1000 ans. Ils eurent à affron­ter de nombreuses inva­sions et ont déve­loppé un fort senti­ment patrio­tique.

Les appe­lés mirent en place divers stra­ta­gèmes pour échap­per à l’in­cor­po­ra­tion de force, mais l’aigle germa­nique resserra ses griffes morti­fères sur eux. Je ne donne­rai que deux exemples :

  • 500 appe­lés français furent condam­nés à mort par les tribu­naux mili­taires alle­mands et fusillés pour refus d’obéis­sance, de servir dans la Wehr­macht.
  • le 23 juin 1943, il y eut une jour­née d’émeutes à Sarre­gue­mines : 1250 appe­lés se révol­tèrent et se battirent à mains nues avec les Alle­mands, refu­sant d’être incor­po­rés sous la contrainte par l’en­nemi. Ils furent envoyés dans les pires endroits de la guerre. Rares sont ceux qui revinrent.

Ces conduites furent-elles celles de traîtres ou de héros et de patriotes ? Insul­ter les incor­po­rés de force revient à insul­ter les 40 000 morts – tombés au front ou au maquis, exécu­tés pour insou­mis­sion ou morts en dépor­ta­tion -, les 20293 réfrac­taires, les survi­vants et les familles qui se battent pour la justice et la vérité.

Les « Malgré-Nous » se sont sacri­fiés pour sauver leurs familles de la dépor­ta­tion (cf. loi sur la Sippen­haft ou respon­sa­bi­lité collec­tive du clan). A la fin de la guerre, le bilan était de 142 500 incor­po­rés de force (dont 15 000 jeunes femmes) et de 40 000 morts.

Lorsque les survi­vants furent rentrés de capti­vité, très majo­ri­tai­re­ment des camps d’Union sovié­tique – le stras­bour­geois Jean-Jacques Remet­ter fut le dernier prison­nier à rentrer en 1955, après 10 ans de goulag – le Gouver­ne­ment français attri­bua, par décret du 23 mars 1949, la qualité de « déporté mili­taire » à tous les enrô­lés de force dans l’ar­mée alle­mande ; le titre de « déporté du travail » fut attri­bué à ceux qui avaient été enrô­lés de force dans le Reich­sar­beits­dienst (Service du travail du Reich).

La police et la gendar­me­rie firent des enquêtes appro­fon­dies pour véri­fier leur oppo­si­tion au régime nazi. L’im­mense majo­rité des « Malgré-Nous » non-rentrés (de l’ordre de 98%) se vit attri­buer par une déci­sion judi­ciaire la mention « Mort pour la France », qui est indiquée sur leur acte de décès, et leurs noms furent gravés sur nos monu­ments aux Morts.

Le 8 mai 2010, lors du 65e anni­ver­saire de la Libé­ra­tion, le président de la Répu­blique, Nico­las Sarkozy, a déclaré à Colmar :

« Les « Malgré-Nous » ne furent pas des traîtres, mais des victimes. Je suis venu aujourd’­hui en Alsace pour répa­rer une injus­tice faite à des fils de France parce qu’ils portaient un uniforme qu’ils n’avaient pas choisi (…). Des « Malgré-Nous » incor­po­rés dans la Wehr­macht et envoyés sur le front de l’Est, la pire des souf­frances et la plus occul­tée (…). Au-delà de la souf­france que l’Al­sace a parta­gée avec tous les Français du fait de la guerre et de l’Oc­cu­pa­tion, il y a une souf­france terrible qu’elle est la seule, avec la Moselle, à avoir subie ».

Ces paroles d’un président de la Répu­blique repré­sentent la posi­tion offi­cielle de la France et ne sauraient être contes­tées dans notre pays.

Les incor­po­rés de force furent victimes d’un crime contre l’hu­ma­nité que la Répu­blique Fédé­rale d’Al­le­magne n’a pas reconnu à ce jour. Néan­moins, dans une lettre datée du 28 juin 2018, le géné­ral alle­mand Wolf­gang Schnei­de­rhan, ancien chef d’Etat-Major géné­ral de la Bundes­wehr et actuel président du Volks­bund (orga­nisme respon­sable de l’en­tre­tien des cime­tières mili­taires alle­mands en Europe et au Moyen-Orient) m’a écrit :

« Il est diffi­cile de faire son deuil lorsque l’Etat respon­sable nie sa respon­sa­bi­lité, ce qui est incom­pré­hen­sible. Ce crime contre l’hu­ma­nité est large­ment méconnu. Ce qui est regret­table« .

Le géné­ral Wolf­gang Schnei­de­rhan est un offi­cier alle­mand, fin connais­seur de l’his­toire mili­taire de la Seconde Guerre mondiale. Il fait office de ministre des Anciens Combat­tants, l’Al­le­magne ayant un gouver­ne­ment très resserré. Il pour­rait donner des leçons parti­cu­lières à tous les spécia­listes auto-procla­més de l’his­toire euro­péenne qui ignorent que l’in­cor­po­ra­tion de force est un problème euro­péen qui concerne 8 pays et 750 000 hommes dont 250 000 sont décé­dés (chiffres four­nis par le Volks­bund), sans oublier le million de prison­niers sovié­tiques obli­gés de combattre sous l’uni­forme nazi et dont le sort fut drama­tique à la fin de la guerre.

En conclu­sion Monsieur, vous n’êtes qu’un connais­seur super­fi­ciel de l’his­toire euro­péenne et vous ne possé­dez aucune légi­ti­mité pour décer­ner des brevets de patrio­tisme. Vous n’êtes qu’un petit Monsieur.

Il faut que toutes les attaques igno­mi­nieuses contre les « dépor­tés mili­taires » cessent !

C’est pourquoi il faut que toutes les familles concer­nées agissent !

Les discours léni­fiants lors des commé­mo­ra­tions ne sont pas suffi­sants pour obte­nir satis­fac­tion. Il faut agir avec fermeté et déter­mi­na­tion !

Je me bats,

  • pour que l’Al­le­magne recon­naisse l’in­cor­po­ra­tion de force comme crime contre l’hu­ma­nité, ce qu’elle refuse pour l’ins­tant. Néan­moins, elle recon­naît que l’in­cor­po­ra­tion de force est une grave infrac­tion Droit pénal inter­na­tio­nal. C’est bien, mais c’est insuf­fi­sant.
  • pour que les hautes auto­ri­tés de la Répu­blique Fédé­rale d’Al­le­magne viennent à Metz, à Charly-Oradour (village près de Metz dont 39 habi­tants réfu­giés à Oradour-sur-Glane furent massa­crés par les nazis le 10 juin 1944) et à Stras­bourg, présen­ter les excuses offi­cielles de leur pays à notre popu­la­tion. Cela se fera lorsque l’Al­le­magne aura à sa tête une person­na­lité poli­tique avec une stature de chef d’Etat. C’est mon voeu le plus cher.
    C’est la mission et la respon­sa­bi­lité de notre géné­ra­tion.

Il s’agit d’un combat pour l’Hon­neur. Je ne réclame pas d’argent. Je ne veux pas d’argent. L’Hon­neur n’a pas de prix !

Renée Baudot, le 14 décembre 2023

3 Responses to Je suis fière d’être la nièce d’un « Malgré-Nous », par Renée Baudot

  1. andré clauser dit :

    Tout à fait d’accord avec vos propos – ce soi-disant spécialiste ? de quoi ?

    Je suis FIER d’être le fils d’un incorporé de force (j’ai 76 ans)

    Portrait de mon père sur ce site

  2. Meyer dit :

    Moi aussi tout à fait d’accord avec ces propos ! Et je suis , moi aussi, fille d’un incorporé de force (j’ai 67ans) revenu invalide de guerre en 1946.

  3. Michel Klein dit :

    Bravo et merci à madame Renée Baudot pour son texte si bien argumenté, ce monsieur Martin-Genier est un imposteur de l’histoire. Je suis Commissaire Général en retraite et j’ai servi la France pendant 40 ans, mon père était un malgré nous qui n’a jamais pardonné à l’Allemagne nazie de l’avoir privé de sa jeunesse et de ses études, il est parti à 19 ans et reviendra trois ans plus tard avec un poids de corps de 39 kgs du camp de Tambov, au diable tous ces ânes qui ne connaissent rien à notre histoire Alsacienne, au diable ces commentateurs de salons.
    Je suis fier d’être le fils d’Alfred Klein né le 20 juillet 1923 dans le Bas-Rhin, incorporé de force dont la seule mention sur la tombe est « ancien de Tambov ».
    Michel Klein

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