Jean Jux : Lorsque meurt la liberté

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En cette année où
l’on commé­more
l’es­cla­vage, le formi­dable
livre de Jean
Jux nous parle d’une
autre forme d’as­ser­vis­se­ment.

lorsquemeutlaliberte.jpgL’en­fance de Jean Jux
va, comme celle de tous
les Français d’Al­sace et
de Moselle, être boule­ver­sée
par la guerre et
l’An­nexion de ces deux
régions au IIIe Reich
nazi. Il se souvient de ces soldats français de 39–
40 qui pensaient être en « Bochie » une fois les
Vosges traver­sées ; l’ap­pel du 18 juin entendu à
la radio ; l’An­nexion où régnait la peur et la méfiance
 ; Pétain appe­lant la France à colla­bo­rer ;
l’obli­ga­tion pour son père, fonc­tion­naire, d’adhé­rer
au parti ou – c’était un moindre mal – d’adhé­rer
à l’Opfer­ring ; le défilé, dans les rues de
Mulhouse en 1942, des volon­taires français de
la divi­sion « Char­le­magne » (« Et dire que les
Français nous traitent, nous, Alsa­ciens, de
Boches!
 » murmura un des spec­ta­teurs).
Il se souvient aussi de ses cama­rades René, de
Danne­ma­rie, André, de Retz­willer, Marcel, de
Boll­willer (premier incor­poré de force de ce village
tué sur le front russe), ou encore de François,
de Ballers­dorf. André et René ont été exécu­tés
pour tenta­tive de fuite vers la Suisse afin
d’échap­per à l’in­cor­po­ra­tion de force (tragé­die
de Ballers­dorf, février 1943). Quant à son cousin
Alfred, Malgré-Nous lui aussi , il fut déclaré
mort « pour le Führer, le peuple et la patrie »
(décembre 1943), puis, après guerre, « pour la
France ».
Vient le RAD (juin 1943): « Si déjà nous étions
vendus, troqués à l’en­nemi (…), nous nous
voulions libres de pensées et de senti­ments;
ce n’étaient que nos corps qui allaient à l’es­cla­va­ge…

 ». Au cours de cette période, la popu­la­tion
était domi­née par la peur d’être dénoncé,
souf­frait de la perte de sa liberté, de la mort ou
de la dispa­ri­tion de ses enfants lors des bombar­de­ments
des villes ou sur le front.

À la fin du mois d’oc­tobre 1943, la classe 1925
de Boll­willer apprend sa prochaine incor­po­ra­tion
dans la Wehr­macht; les trois quarts ne survi­vront
pas à la guerre. Les jeunes Alsa­ciens, jusqu’ici
consi­dé­rés par les nazis comme
« Volks­deut­scher Elsäs­ser » (« Alsa­ciens de
souche popu­laire alle­mande ») deve­naient, du
fait de leur enrô­le­ment dans l’Ar­mée alle­mande,
des « Reichs­deutsche », des « Alle­mands du
Reich ». Cette distinc­tion pouvait mener les récal­ci­trants,
en cas de rébel­lion, direc­te­ment au
pelo­ton d’exé­cu­tion. Cepen­dant, « l’aigle alle­mand
étrei­gnant avec ses griffes la croix gammée,
n’était pas le guide de nos pensées,
mais le rappel constant de notre servi­tude
 ».

Rencon­trant à la fois des fana­tiques et des Alle­mands
très humains, Jean Jux se fait de précieux
et sincères cama­rades, dont Rudi avec qui
il fait équipe pour conduire des voitures hippo­mo­biles
sur le front Est. Après un passage dans
une compa­gnie disci­pli­naire, ce qu’il voit lors
d’une course effré­née pour échap­per aux Sovié­tiques
lui vaudra de remarquer : « Il est des moments
où la source des larmes se tarit ; il est
des moments où l’on ne peut même plus être
écoeuré
 ». Et pour­tant… Au début de l’an­née
1945, il échappe à l’en­cer­cle­ment dans la poche
de Fisch­hau­sen. C’est là, dans un village à mi-chemin
entre Fisch­hau­sen et Kœnig­sberg (peut-être
Gros­shei­de­krug), qu’il a vu ce que les Sovié­tiques
firent subir à des civils en repré­sailles
d’une contre-attaque alle­mande pour débloquer
l’ac­cès à Kœnig­sberg : « Il y avait aussi
des cadavres de femmes (…) qui traî­naient un
peu partout comme des objets sans valeur
qu’on avait jetés là…
 ». Le spec­tacle qu’il décou­vrit
ensuite dans une maison pillée lui retourna
l’es­to­mac.

Puis Jean Jux se retrouve coincé dans Kœnig­sberg assié­gée. C’est l’en­fer qui se déchaîne et la
mort des derniers cama­rades. Le 10 avril 1945,
tout est fini… ou presque. Jean Jux était alors
loin d’ima­gi­ner ce qu’al­laient lui réser­ver les Sovié­tiques.
Inster­bourg, Novo-Sibirsk, Tambow…
des noms symboles d’as­ser­vis­se­ment, d’injus­tices,
de souf­frances et de milliers de morts. Il
ne retrouva ses foyers que le 27 octobre 1945.

L’après-guerre a été marquée par le procès
d’Ora­dour, à Bordeaux en 1953. Jean Jux se
souvient d’un des 13 Malgré-Nous accu­sés qui
préféra quit­ter ce monde « à peine deux ans
après ce procès, ne pouvant suppor­ter la
honte et le poids énorme de ce crime qu’on
lui avait injus­te­ment fait porter… ».

N.M.

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