KNECHT JACQUES ET RENE – Deux destins tragiques

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin

 

Aucun traité n’ayant réglé la ques­tion de l’Al­sace-Moselle après l’ar­mis­tice du 22 juin 1940, le régime nazi procéda à une annexion dégui­sée dont la consé­quence la plus grave fut l’in­cor­po­ra­tion de force. Parmi les morts et dispa­rus, les fils de la famille Knecht, de Stras­bourg-Robert­sau: René, 19 ans, et Jacques, 21 ans, fusillé en Bavière, après avoir s’être battu avec la Résis­tance en Ardèche.

« J’avais 5 ans quand des gens en uniforme sont arri­vés à la maison » se souvient Jacque­line Knecht-Mosser, une Stras­bour­geoise habi­tant à la Robert­sau, le berceau de la famille Knecht. « On m’a fait sortir de la maison et d’al­ler jouer dehors… J’ai alors entendu le cri de ma mère. Ce cri… Quelque chose qui m’est resté dans les oreilles ».

José­phine, née Hengy, vient d’ap­prendre que son fils Jacques, incor­poré de force à 18 ans, ne revien­drait plus: « Elle n’avait pas de nouvelles de lui depuis long­temps, mais l’es­poir était toujours là. Ma mère allait à la gare ou à Kehl, quand ils (les Alsa­ciens incor­po­rés de force) arri­vaient, elle leur montrait la photo… ».

En mai 1945, la famille reçoit une lettre du curé de Manching zur Ingol­stadt, Otto Frey, qui avait assisté Jacques dans ses derniers jours à la prison. Il écrit en alle­mand: « Peut-être saviez-vous que votre fils était tombé dans les mains des nazis. En novembre, il fut condamné à mort pour déser­tion et espion­nage. Le 21 février 1945, le juge­ment a été exécuté (…) Jacques reçut les saints sacre­ments avec une grande dévo­tion et s’ache­mina vers la mort dans l’es­prit d’être le martyr d’une idée folle. Il s’est soumis à la sentence avec courage et calme émus) ».

L’épi­logue du parcours d’un jeune Stras­bour­geois oublié de l’his­toire, interné durant 7 mois dans des prisons alle­mandes, décoré à titre post­hume de la croix de Guerre avec palme et de la médaille de la Résis­tance.

De la Komman­dan­tur de Tour­non à la Résis­tance

La famille Knecht et ses quatre enfants fut évacuée en 1939 de Stras­bourg en Dordogne: « Je suis née à Sigou­lès en 1940 », explique Jacque­line, « D’ailleurs dans ma classe, à l’école de la Robert­sau après guerre, presque personne n’était né à Stras­bourg et c’était toujours des noms de ville diffé­rents qu’on enten­dait! ».
Charles, le fils aîné, employé à la SNCF, vit à Lyon, « c’est comme ça qu’il s’en est sorti ». Pendant l’Éva­cua­tion, la famille avait été bien accueillie: « Mais mes parents voulaient reve­nir chez eux, à la Robert­sau. En famille, on parlait alsa­cien, c’était fonda­men­tal: mes parents voulaient plus rien d’au­tre… ils avaient changé quatre fois de natio­na­lité. »

Une fois reve­nus en Alsace, les Knecht mesurent le chan­ge­ment, même si le père retra­vaille à la pape­te­rie. Raymond, le plus jeune fils, est incons­cient du danger: « A 15 ans, il a pris le train jusqu’à Schir­meck avec des copains: ils voulaient déli­vrer le camp ! Heureu­se­ment des gens les ont dissua­dés! ». Pourquoi a-t-il formé ce projet fou?
« Comme Jacques avait déserté de la Wehr­macht et que Charles était à Lyon, on était sur la liste pour monter au Stru­thof », explique Jacque­line. « Les gendarmes alle­mands avaient dit avaient dit à mes parents: « Ou vos fils se présentent ici ou c’est vous qui allez au Stru­thof… ». Fina­le­ment, « les papiers étaient prêts, mais ma mère connais­sait la femme du commis­saire de la Robert­sau, elle est allée la voir à la gendar­me­rie, rue Boeck­lin, et c’est ça qui leur a sauvé la vie ».

En 1943, Jacques Knecht, 18 ans, est incor­poré de force dans la Wehr­macht. La famille garde toujours ses lettres, forcé­ment écrites en alle­mand et soumises à la censure: « Il nous a d’abord écrit de Pologne. Puis il a été ramené en France pour être traduc­teur-inter­prête à la Komman­da­tur de Tour­non, prés de Lyon ». Jacque­line n’avait que trois ans mais de son grand frère, dont le prénom est proche du sien, elle dit avoir « gardé des flashes, de quand il est revenu en permis­sion… ». Ce qu’elle sait appar­tient à l’his­toire fami­liale, elle qui a grandi dans une ambiance de grande tris­tesse: « Quand ma mère venait me cher­cher à l’école, elle faisait plus vieille que son âge, elle était toujours habillée en noir et pleu­rait souvent ».

jpg_KNECHT_Jacques.jpg Ci-contre : Jacques Knecht, incor­poré de force dans la Wehr­macht en 1943 à 19 ans et mort en héros de la Résis­tance.

A la Komman­dan­tur, Jacques a du entendre parler de la Résis­tance: « On sait par ses lettres qu’il voulait d’abord retrou­ver son frère aîné à Lyon et qu’il n’a pas réussi. On suppose qu’il a ensuite eu des infor­ma­tions sur la Résis­tance lors des inter­ro­ga­toires de prison­niers. ». Mais comment s’est-il échappé de son poste? A-t-il libéré des prison­niers qui lui ont donné des habits civils? Ce qui est certain, et attesté par des docu­ments de l’ar­mée française, c’est qu’entre avril et juillet 1944, Jacques Knecht (Jackie dans la Résis­tance) avait rejoint les F.F.I. dans la commune du Chey­lard.
‘ »Mes parents n’ont jamais voulu aller là bas, ni personne de la famille. Je suis la seule ». Jacque­line, avec son mari François, a réussi à surmon­ter sa douleur, « il y a deux ans seule­ment ». Le couple a reçu un excellent accueil de l’as­so­cia­tion* qui s’oc­cupe de restau­rer le château de la Chèze. Celui là même où les résis­tants ont été encer­clés par les Alle­mands lors d’une bataille les 5 et 6 juillet 1944.

Le 27 juillet 44, le lieu­te­nant Perrin dit Basile, comman­dant une compa­gnie F.F.I. de l’Ar­dèche, certi­fie que Jacques Knecht, « cité à l’ordre de la région FTPF Ardèche lors d’un combat à Douce-Plage prés de Tour­non » a disparu lors de la bataille du Chey­lard: « Soldat d’un courage allant jusqu’à l’hé­roïsme, a parti­cipé à de nombreuses expé­di­tions et combattu dans la vallée du Rhône. Après avoir combattu toute une jour­née côte à côte avec son lieu­te­nant lors d’une attaque alle­mande au Chey­lard, a été encer­clé par l’en­nemi. Porté disparu, les cadavres muti­lés n’ont pu être iden­ti­fiés (…). La France, l’Al­sace peuvent être fiers de tels fils ».

Un autre gradé, l’adju­dant Delvec­chio écrit en 1953: « Après nous avoir rendu divers services tout en conser­vant son poste à la Wehr­macht, Knecht rejoi­gnait un corps francs à Lamastre. Après divers enga­ge­ments contre les Alle­mands à Douce-Plage, Jacky tombait à mes côtés en même temps que Roger Davion, de l’Isère. Laissé pour mort au cours de cet enga­ge­ment, son corps ne fut pas retrouvé lors du repli de l’Afrika Korps ». Et pour cause! « J’ap­prends que mon cama­rade , griè­ve­ment blessé, fut emmené par les Alle­mands, puis déporté et fusillé ». Le cour­rier du curé bava­rois à la famille du jeune Stras­bour­geois confirma ceci. Long­temps après et grâce à ce prêtre qui s’était occupé du corps, la famille fit rapa­trier le cercueil au cime­tière de la Robert­sau. Jacques Knecht y repose dans la tombe fami­liale, loin des honneurs rendus à d’autres jeunes résis­tants comme Guy Môquet.

jpg_KNECHT_Rene_.jpgQuand à son frère René, porté disparu sous l’uni­forme alle­mand en Hongrie, il avait écrit à sa famille peu de jours avant sa probable mort, le 5/10/44, en commençant sa lettre par « Erde« , quelque part « sur la terre », igno­rant où le destin l’avait amené.

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Ci-dessus : A la Robert­sau, les deux frères ont désor­mais une rue à leur nom.

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