Un grand roman sur les incorporés de force mais pas que…
« Il n’y a pas d’anciens Malgré-nous. C’est le premier secret. Ceux qui le sont le sont pour toujours » Voilà une des phrases de ce roman puissant que l’auteure (qui a déjà livré deux ouvrages, tient une chronique sur France Inter et dans Philosophe Magazine) a dédié à son père Lucien Fritsch.
Avec un titre aussi peu en rapport avec un récit qui se nourrit de l’histoire de Thomas, incorporé de force à 17 ans dans l’armée allemande puis emprisonné le camp soviétique de Tambov , comment deviner qu’on tient un roman où intervient un thème si rare ? Quel génie de l’auteure d’avoir entremêlé le destin d’un Malgré-nous alsacien et de son frère (qui lui ne reviendra pas de l’enfer russe) avec celui d’une mère ! Soit donc Elisabeth qui a des soucis avec sa fille Vina parce qu’elle même a des soucis au lycée. La meilleure solution est de quitter Paris et de passer du temps en Alsace chez un grand oncle qui vit seul dans une maison proche de la forêt. D’abord farouche, l’adolescente en révolte est doublement apaisée par la nature et par ce vieil homme solitaire. Lui a des secrets, elle aussi, ça rapproche… On passe de l’un à l’autre, du vieil homme à la jeune fille, de la PMA en Inde à la tragédie des Malgré nous. C’est fort bien documenté (notamment grâce au témoignage de Gérard Richert qui avait été attaqué par un commando de femmes soldats soviétiques lors du repli de la Wehrmacht), c’est un roman à plusieurs voix qui fait voyager le lecteur dans plusieurs pays et à plusieurs dates . Au final, une façon moderne et antique, comme dans le théâtre grec, pour parler de façon actuelle de l’incorporation de force. Grâce à l’ouverture d’esprit de deux éditrices d’une grande maison, voilà une audacieuse façon de commémorer les 80 ans des sinistres décrets instituant l’incorporation de force.
M.G-L
°« La femme et l’oiseau », Isabelle Sorrente, éditeur JC Lattès, 388 pages, 20, 90 euros