Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Ministère des Anciens Combattants nous a informé du décès de 30 000 Incorporés de Force et la disparition de 10 000 d’entre eux.
Que sont-ils devenus ? Nous ne le savons pas. Leurs familles sont restées dans l’angoisse de l’incertitude, depuis 75 ans. Elles sont passées de l’espoir au désespoir espérant toujours des nouvelles.
Espoir. Le retour de Jean-Jacques Remetter en avril 1955, après 10 ans de goulag, était la preuve qu’il y avait des déportés militaires encore vivants derrière le Rideau de Fer.
Si nombre d’entre eux furent tués lors de combats ou de bombardements, victimes d’exécutions sommaires en essayant de déserter ou de rejoindre les lignes soviétiques ou américaines, d’autres furent faits prisonniers et internés dans des camps tels que celui de Tambov où la malnutrition les affaiblirent et souvent les achevèrent.
Qu’advint-il des survivants ?
Nous savons par des témoignages que les Soviétiques, à la recherche de bons ouvriers et de techniciens, proposèrent à un certain nombre d’entre eux : la sortie du camp et le retour la vie civile en Union Soviétique à la condition qu’ils acceptent de travailler pour eux et de prendre une nouvelle identité (le plus simple étant d’épouser une femme soviétique et de prendre son nom).
Certains acceptèrent. Combien ? Nous l’ignorons.
Personnellement, j’ai connaissance d’un tel cas : la mère d’un disparu bas-rhinois a eu la surprise à la fin des années 1950 (sous l’ère Kroutchev) de recevoir une lettre envoyée d’Union Soviétique par son fils officiellement porté disparu
Ce dernier écrivait qu’il était marié et vivait heureux. Il lui demandait de ne pas s’inquiéter pour lui et terminait en disant qu’il ne donnerait plus de ses nouvelles.
Cette lettre procura une immense joie à la mère, elle savait que son fils était vivant, mais également un crève-coeur : par ce courrier, elle apprenait qu’elle ne reverrait jamais son enfant. Pour diverses raisons, la famille n’exploita pas cette lettre qui a disparu avec la mort de la mère.
J’ignore le nombre de lettres de ce type qui furent envoyées, mais je suis convaincue qu’elle ne fut pas la seule. Toutes les lettres envoyées ne parvinrent pas à leurs destinataires pour divers motifs (décès, changements de domiciles, adresses obsolètes…).
Il me semble raisonnable de penser qu’il y a eu au minimum 500 survivants sur les 10 000 disparus qui sont restés en URSS et qui y ont fondé une famille. Tous ceux qui furent contraints de porter l’uniforme nazi et de combattre dans la Wehrmacht furent ostracisés par le régime soviétique (ex : le million de Soviétiques prisonniers de l’armée allemande).
Leurs descendants connaissent peu et mal l’histoire de leur père. Ils seraient sans doute heureux de connaître leur origine, leur ascendance. Ils connaissent l’histoire de leur mère, mais ont été contraints d’ignorer l’histoire de leur père. Pour se construire et se réaliser, chaque personne a le droit et le besoin de savoir d’où il vient.
Je m’adresse à toutes les familles d’Incorporés de Force dont un des membres est porté « disparu ». Il faut vous adresser à
• vos élus afin que la ministre de la Défense, le gouvernement demande à la Russie d’ouvrir ses archives militaires, ainsi qu’aux députés européens. L’incorporation de force est un problème européen : elle concerne 750 000 jeunes gens et 8 pays.
• à Madame von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ancienne ministre de la Défense de la RFA. Elle possède une connaissance approfondie de l’histoire militaire de l’Allemagne et doit nous aider.
Il n’est pas trop tard. Il n’est jamais trop tard pour celui qui veut agir. Les familles doivent garder l’espoir.
Je connais le cas d’une famille russe qui a retrouvé en 2018 les descendants de leur tante raflée en 1942 par les Allemands et déportée dans un camp de travail en Allemagne. Cette femme était officiellement décédée. Depuis la guerre, la famille avait fait de multiples démarches (ambassades, associations, ministère des Anciens Combattants, Croix-Rouge). Cette affaire a été résolue grâce à un détective privé. Les deux familles se sont retrouvées avec une joie indescriptible. J’espère que ce type de retrouvailles pourra se renouveler.
Ces faits m’ont déterminée à écrire cet article.
Le 24 août 2021, nous allons commémorer le 79e anniversaire des décrets de l’incorporation de force. J’aimerai que, ce jour-là, les élus nous annoncent qu’ils vont entreprendre des démarches au plus haut niveau de l’Etat pour que la Russie nous ouvre ses archives et nous dise ce que sont devenus nos 10 000 disparus. Leurs familles ont le droit de savoir.
Aujourd’hui, le temps de la rancoeur est remplacé par le temps de l’apaisement. Nous devons tous unir nos forces. L’Histoire ne s’arrête pas. Elle continue chaque jour, écrite par chacun d’entre nous.
Je terminerai en rappelant que le dernier duc de Lorraine, François III, lors de son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche, emmena avec lui plusieurs milliers de Lorrains pour mettre en valeur le Banat serbe. Dans cette région, l’Allemagne nazie incorpora de force 10 000 de leurs descendants. Après la guerre, un ancien consul de France en Yougoslavie réussit à faire sortir de ce pays quelques centaines de leurs descendants qui revinrent avec joie dans la patrie de leurs ancêtres et s’installèrent dans un village partiellement abandonné dans le Vaucluse, à Pernes-les-Fontaines, après un exil de deux siècles de leurs familles.
Peut-être aurons-nous la joie d’accueillir quelques-uns de nos cousins russes ? Nous n’avons pas le droit de les abandonner. Les retrouver est un devoir sacré.
L’Evangile nous apprend que le bon berger va chercher les brebis qui se sont égarées pour les ramener.
Renée Baudot, le 4 août 2021