Je m’intéresse, avec le président cantonal des Anciens combattants de Breteuil, dans l’Eure, Daniel Gicquel, au sort d’un Malgré-Nous enterré dans notre cimetière, avec cette épitaphe : « Ici repose un Alsacien inconnu fusillé par les Allemands en juin 1944« . Une plaque plus récente du Souvenir Français indique : « Soldat alsacien inconnu mort en juin 44 ».
Je m’intéresse tout d’abord à donner un nom à ce pauvre malheureux, à savoir de quelle unité il faisait partie (la division « Das Reich », par exemple, qui comptait dans ses rangs de nombreux Malgré Nous ou plutôt la 21e Panzer-Division déployée à l’Est de Caen en juin 44 ?).
Est-ce un traître à la patrie nationale-socialiste allemande qui avait visiblement déserté pour rejoindre les lignes alliées ?
Malgré la confusion des combats à l’époque, il y a certainement une trace écrite quelque part de cette exécution auprès du commandement allemand, non ?
Et pourquoi ce malheureux a-t-il été enterré sans ses « papiers » ? Les Allemands qui l’ont abattu les auraient-ils pris ? Ou alors
s’en est-il débarrassé dans sa désertion pour ne pas être identifié ?
Avec Daniel Gicquel et de notre porte-drapeau Claude Lemonchois, nous avons commencé notre enquête par une visite au cimetière pour nous recueillir et prendre une série de photos de la tombe de ce malheureux.
Ensuite, nous nous sommes rendus dans la rue où ce pauvre diable a été abattu. Un témoin – une femme – aurait assisté à l’exécution, et, bien entendu, nous sommes à sa recherche. Nous allons aussi prendre contact avec les résistants de l’époque, heureusement encore en vie.
Maintenant, la question se pose : qui aurait décidé d’inhumer cet Alsacien et lui aurait « offert » une tombe chrétienne, avec une stèle gravée, un crucifix : le curé de l’époque – près de 90 ans – qui, selon des témoignages recueillis se serait retiré quelque part en Normandie ? Nous aimerions beaucoup pouvoir consulter les registres épiscopaux des années 44 ou faire appel à ses souvenirs.
En ce qui concerne les registres de notre mairie : aucune trace.
Mais, d’après une employée, il y aurait des archives au grenier ; elle nous a promis de les consulter à la première occasion. D’où ma question : y aurait-il quelqu’un, en Alsace, qui aurait eu vent de ce drame, voire un témoin direct ?
Avec mes plus vifs remerciements.
Philippe Tisserant
Courriel : ph.tisserant@orange.fr
Réaction de Jean-Marie Arnold suite à la parution d’un article à ce sujet dans « L’Alsace » du 6.4.2013 :
Je suis moi-même le frère d’ un » Malgré-Nous » (né en 1926) et disparu en Poméranie en janvier 1945. Je voulais juste vous informer – mais peut-être le savez-vous – de l’ existence d’ un ouvrage intitulé » ENFANTS MAUDITS » de Jean-Paul PICAPER et Ludwig NORZ , éditions DES SYRTES, paru en 2004. Ouvrage qui relate des existences d’ enfants conçus par des soldats allemands avec des filles françaises et notamment en Normandie. La probabilité que ce soldat inconnu soit le père d’ un de ces enfants est fort vraissemblable : cet enfant serait alors âgé de 68 ans sans doute et pourrait donc encore être vivant. Et son père a peut-être voulu fuir l’ armée pour rejoindre sa mère… Mais si on n’ a jamais rien révélé à l’enfant il sera difficile de le trouver. Pourtant le fait que la tombe soit si bien construite révèle bien l’ existence d’ un lien affectif quelque part. Il y a chez nous , en Alsace, des situations semblables… Sans doute connaissez-vous aussi l’ existence des Archives de la Wehrmacht à Berlin : si ce soldat a été fusillé sur condamnation, il devrait être fiché dans ces archives, mais les recherches nécessitent la connaissance de son nom… S’ il a été abattu incognito par des soldats réellement allemands en tentant de fuir, c’ est plus difficile à trouver. Sans doute savez-vous aussi que chaque soldat alsacien enrôlé dans la Wehrmacht était individuellement surveillé par un vrai allemand ( lié à la Gestapo ) : très peu de chance de pouvoir se sauver… Un autre alsacien a été fusillé après l’ attentat de Von Staufenberg siimplement parce qu’il aurait dit : » Merde, c’ est bien dommage qu’il l’ a raté… » ( son surveillant l’ avait dénoncé ! ). Excusez-moi si je vous ai donné des indications que vous connaissez déjà. Mais, je pense que la diffusion de votre recherche dans notre région vous apportera sûrement des éléments de réponse: l’ Association de Recherche sur les Malgré-Nous vous contactera sans doute aussi, si ce n’ est déjà fait. Grâce à toutes ces victimes, nous sommes aujourd’hui en période de paix. Je vous souhaite le succès dans cette bonne entreprise de recherche. Bien à vous. Jean-Marie Arnold
* Article paru dans « L’Alsace » du 18.5.2013 transmis par Claude Herold :
L’énigme du Malgré-nous inconnu de Normandie n’a pas encore été résolue. Mais certains souvenirs remontent à la surface…
« Dès que j’ai lu l’article, ça m’a sauté aux yeux ! J’ai tout de suite pensé à lui… » La Mulhousienne Jacqueline Roth, née Brandt, a eu un flash : le Malgré-nous inconnu, celui dont on a évoqué le mystère entourant la tombe normande dans L’Alsace du 6 avril, ce pourrait être, croit-elle, un certain Guy Hartmann.
« Une famille aisée »
« Je l’ai connu en 1941, à Mulhouse , raconte-t-elle. Nos familles nous donnaient à tous les deux des cours clandestins, hors du système scolaire nazi. Je suis de 1925 et j’ai l’impression qu’il était un peu plus jeune que moi. On aurait dit qu’il sortait juste de l’enfance. C’était un beau garçon, avec les cheveux blonds… » Ce Guy était issu « d’une famille d’industriels du textile originaire de la vallée de Munster. C’était une famille francophile et aisée. Son père avait un bon poste à la SACM. »
Si Jacqueline Roth a fait le rapprochement avec l’inconnu de l’article, c’est qu’elle a appris que cet ancien camarade est lui aussi mort en juin 1944 en Normandie, « à l’arrière de la côte. Et je pense que ses parents auraient pu lui offrir cette tombe, tout en gardant une certaine discrétion… ».
Par ailleurs, suggère la Mulhousienne, il ne faudrait pas chercher avec son seul prénom, car « à l’époque, les prénoms français étaient germanisés. Ainsi, mon frère Alain était rebaptisé Heinrich, car son deuxième prénom était Henri… ».
Une femme sur la tombe
Rien ne permet de dire pour l’instant que l’intuition de Jacqueline est la bonne. La base officielle du ministère de la Défense et des Anciens combattants – qui recense l’ensemble des victimes ayant obtenu la mention « Mort pour la France » – contient un seul Hartmann déclaré décédé en Normandie. Il se trouve que celui-ci prénomme effectivement Guy… Mais ce Guy Jean Pierre est né en 1924 à Strasbourg et est décédé le 7 août 1944 à Hamars, dans le Calvados, à 170 km à l’ouest de Breteuil, où se trouve la tombe du Malgré-nous inconnu.
À Breteuil même, les anciens combattants qui mènent l’enquête ont recueilli quelques bribes d’informations supplémentaires depuis la parution de l’article. Une dame du village – d’origine alsacienne ! – leur a confié que ce Malgré-nous servait d’interprète, qu’elle l’avait vu emmené par un peloton en armes à travers le village, juste avant sans doute qu’on ne l’exécute. Être interprète permettait d’entrer en contact avec la population… et encourageait donc les projets de désertion. Peu après la guerre, on aurait vu, toujours selon cette dame, une femme venir déposer le crucifix qui figure encore sur la tombe. La suite au prochain épisode…