En réaction à l’article « Vichy et les soldats alsaciens et mosellans » http://www.malgre-nous.eu/spip.php?article1282, Jean-Claude Streicher nous a transmis un texte précisant certains points. Nous l’en remercions bien vivement.
Ce texte est le 8e chapitre d’une biographie à paraître sur le général Huntziger, « L’Alsacien du maréchal Pétain ». N’y sont abordées que les
interventions du général Huntziger sur la question d’Alsace-Lorraine en tant que président de la Commission française d’armistice à Wiesbaden d’abord (pendant 2 mois), puis comme ministre secrétaire d’Etat de la Guerre du maréchal Pétain. Ce rôle est très limité dans le temps, puisque le général Huntziger a été tué dans un accident d’avion le 12 novembre 1941 et qu’il n’a pas eu affronter la question de l’incorporation des Alsaciens-Lorrains dans la Wehrmacht.
8. Défense de l’Alsace française
Dès le début de son séjour à Wiesbaden, le général Huntziger est
également intervenu sur l’annexion de fait de l’Alsace et du département
de la Moselle, alors que les premières protestations de L’Humanité
clandestine ne datent que du 10 décembre 1940 (1).
Le 6 juillet, la délégation française remet ainsi une note contre la
prétention d’un détachement militaire allemand de former à St-Etienne un
train de réfugiés alsaciens et lorrains.
Le 10 juillet, le général Huntziger signale au général von Stülpnagel
les premières atteintes allemandes à la souveraineté française dans le
Haut-Rhin, le Bas-Rhin et la Moselle, dont le remplacement des préfets et
des sous-préfets. Le préfet de Strasbourg avait même été emmené à
Stuttgart, et le sous-préfet de Molsheim expulsé. Il s’étonne aussi que
des réfugiés originaires des trois départements, qui se trouvaient dans
la Loire, aient été rassemblés par des patrouilles motorisées et ramenées
par voie ferrée dans leur région d’origine. Huntziger demanda à
Stülpnagel de lui faire connaître tous renseignements. Il n’en reçut
aucun.
De son côté, Stülpnagel avait alors protesté contre les difficultés
que le gouvernement français multipliait pour empêcher les « Allemands
d’Alsace-Lorraine » de renter chez eux. A quoi Huntziger opposa que la
convention d’armistice avait été signée avec « la France totale, telle
qu’elle était établie dans ses frontières avant son entrée en guerre ».
Stülpnagel redit aussi qu’il n’admettait pas que l’expression
Alsaciens-Lorrains de communauté allemande soit contestée : « Le
gouvernement du Reich allemand revendique pour lui le droit d’accorder
aide et protection à tous les membres de la communauté allemande, si loin
qu’ils puissent être établis hors des frontières du Reich ». Il demandait
donc le rapatriement des Alsaciens-Lorrains de communauté allemande se
trouvant dans les camps de jeunesse, en métropole comme en Afrique du
nord (12).
Le 18 juillet, Léon Noël demande la mise en liberté des préfets et
sous-préfets Agard, Alapetite et Viguié.
Les 24 juillet et 1er août, la délégation française proteste contre le
rattachement du réseau d’Alsace et de Lorraine au réseau ferré allemand.
Le 7 août, le général Huntziger interpelle le ministre Hemmen sur les
premières mesures allemandes en Alsace et en Lorraine (2).
Le 8 août, 61 officiers alsaciens adressent de Toulouse une lettre au
général Huntziger, avec copie au Dr Ménétrel, secrétaire particulier du
Maréchal : « Nous vous demandons, supplient-ils, de bien vouloir avec
tout votre coeur et votre ténacité d’Alsacien d’intervenir, aussitôt que
s’annonceront les négociations du futur traité de paix, pour que l’Alsace
reste française. La France sans l’Alsace n’est pas la France » (3).
Mais à la mi-août, Huntziger ne peut que constater, désabusé, que « la
séparation est de plus en plus étanche ».
Le 19 août, il reparle à Hemmen des violations allemandes de la
convention d’armistice en Alsace et en Moselle.
Le 1er septembre, il remet une note à von Stülpnagel protestant contre
l’emploi par les Allemands de l’expression « Allemands d’Alsace-Lorraine
» (4).
Deux jours plus tard, le 3 septembre, en fin d’après-midi, avant de
s’envoler pour Vichy, qui venait de le nom-mer ministre secrétaire d’Etat
à la guerre, il remet à Stülpnagel la première « protestation solennelle
d’ensemble » du gouvernement français contre les mesures prises par le
gouvernement allemand en Alsace et en Moselle.
Le récit de Paul Reynaud
Paul Reynaud, l’ancien président du conseil, en a raconté la genèse.
Le maréchal Pétain, écrit-il, est resté trop longtemps « silencieux »,
quand « l’Alsace-Lorraine a été arrachée à la patrie ». Il n’a commencé à
bouger qu’après le 15 août, lorsque des Messins s’étaient rassemblés
devant la statue commémorant leur libération de 1918. Bürckel, gauleiter
depuis le 7 août précédent, en avait tiré prétexte pour expulser sans
préavis de Moselle les Lorrains de langue française, faire arracher les
poteaux-frontière et les reporter à leurs emplacements d’avant 1918.
« Le Maréchal et le général Weygand, poursuit Paul Reynaud, firent
d’abord la sourde oreille. Personne ne bougea à Vichy, où l’on feignit
d’ignorer les événements tragiques de Metz et de Strasbourg. Il fallut,
pour alerter Vichy, l’intervention énergique et courageuse de deux
représentants de la Lorraine, MM. Moncelle et Béron. C’est sur leur
insistance, après de multiples démarches, et le 3 septembre seulement,
que le Maréchal se décida. A quoi ? A adresser une protestation
solennelle à Hitler ? Allait-il rappeler au Führer qu’il croyait avoir
traité « dans l’honneur, entre soldats » ? Allait-il saisir l’opinion
mondiale, au lendemain du jour où le président des Etats-Unis avait
déclaré que son pays ne reconnaîtrait pas une annexion par la force ?
Hélas, non ! Pétain savait fort bien que, s’il élevait cette protestation
solennelle, et si elle restait sans effet, il devait quitter les ombrages
de Vichy. Tout se réduisit à l’envoi d’une note adressée à la commission
d’armistice et signé du général Huntziger, chef de notre délégation à Rethondes » (5).
En voici le texte :
Note pour M. le général d’infanterie de Stülpnagel, président de la
commission allemande d’armistice
Objet : mesures prises par le gouvernement du Reich dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle
Mon général,
D’ordre de mon gouvernement, j’ai l’honneur de vous transmettre la
déclaration suivante :
Depuis l’entrée des troupes allemandes dans le Haut-Rhin, le Bas-Rhin et
la Moselle, les autorités allemandes d’occupation ont pris un grand
nombre de mesures qui ont pour effet de priver la France de ses droits de
souveraineté sur ces territoires. Parmi ces mesures, le gouvernement
français ne veut citer que les suivantes :
1. les préfets, sous-préfets et maires, ainsi que nombre de
fonctionnaires d’origine non locale et dont les tendances passaient pour
suspectes, ont été évincés de leurs sièges respectifs.
2. Mgr Heintz, évêque concordataire de Metz, a été chassé de son
diocèse, plusieurs membres du clergé tant séculier que régulier ont été
expulsés sous le prétexte qu’ils étaient de langue et de mentalité
françaises.
3. Mgr Ruch, évêque concordataire de Strasbourg, s’est vu interdire
l’accès de son diocèse et, par voie de conséquence, la reprise de son
ministère.
4. M. J. Burckel a été nommé le 7 août 1940 gauleiter de Lorraine et M.
R. Wagner, gauleiter d’Alsace. La première de ces provinces a été
rattachée au gau de Sarre-Palatinat et la seconde, à celui de Bade.
5. L’Alsace et la Lorraine ont été intégrées dans l’administration de
l’Allemagne. La frontière et la police douanière ont été portées à la
limite territoriale de ces provinces.
6. Les chemins de fer ont été incorporés dans le réseau allemand.
7. L’administration des PTT a été prise en mains par les postes
allemandes, qui substituent graduellement au personnel en place leur
propre personnel.
8. La langue française a été éliminée tant de la vie administrative que
de l’usage public.
9. Les noms des localités ont été germanisés.
10. La législation raciale de l’Allemagne est introduite dans le pays
et, à la faveur de cette mesure, les Israélites sont expulsés, ainsi que
ceux des nationaux que l’autorité allemande tient pour des intrus.
11. Seuls les Alsaciens et les Lorrains qui consentent à se reconnaître
comme étant de souche allemande sont admis à réintégrer leurs foyers.
12. Le patrimoine des associations de caractère politique et des Juifs
est frappé de confiscation, de même que les biens acquis postérieurement
au 11 novembre 1918 par les Français.
Rien n’illustre mieux l’esprit qui anime ces mesures, en elles-mêmes
arbitraires, que les paroles prononcées publiquement, le 16 juillet à
Strasbourg, par M. R. Wagner. Parlant de l’élimination en cours de tous
les éléments de souche ou de nationalité étrangère, ce haut fonctionnaire
affirmait que le dessein de l’Allemagne était de régler une fois pour
toutes la question d’Alsace.
Une pareille politique, qui ne saurait être le fait d’organes d’occupation subordonnés, équivaut à une annexion et est formellement contraire aux engagements souscrits par l’Allemagne à Rethondes. En effet, c’est avec la France entière, dans ses frontières de 1939, que
l’Allemagne a signé la convention du 22 juin 1940. C’est l’intégrité de
la France entière que l’Allemagne a comprise dans la convention
d’armistice en précisant que le gouvernement français avait le devoir
d’administrer les territoires occupés et non occupés sans limitation
territoriale aucune.
Fort de son droit, le gouvernement français élève une protestation
solennelle contre les mesures prises en violation de la convention
d’armistice à l’égard des départements alsaciens et lorrains et de leurs
populations, ce qui constitue une annexion de fait de ces territoires.
Veuillez agréer, mon Général, l’assurance de ma haute considération,
Huntziger (5).
Bien entendu, cette protestation n’eut aucune réponse. Hemmen, le
président de la délégation économique allemande, aurait simplement dit :
« Je n’ai pas d’opinion, je n’ai qu’une fonction » (6).
« Que va faire Pétain, poursuit Paul Reynaud ? Aura-t-il un sursaut ?
Aucun. Il reste à Vichy et, six semaines plus tard, à Montoire, il va
mettre sa main dans la main du bourreau de l’Alsace-Lorraine » (5).
Pas de publicité
Mais nous avons également la version de Paul Baudouin, le ministre des
affaires étrangères du Maréchal. Le samedi 24 août 1940, écrit-il, «
après le conseil restreint, nous restons seuls, le général Weygand et moi
avec le Maréchal. Nous lui expliquons qu’il n’est pas possible de ne pas
protester solennellement à Wiesbaden contre toutes les mesures prises par
les Allemands en Alsace-Lorraine, qui privent la France de ses droits de
souveraineté. Je vais faire préparer, dit Baudouin, une déclaration du
gouvernement français très ferme qui serait remise le plus tôt possible
par le général Huntziger au général von Stülpnagel. Le Maréchal nous
approuve, mais il reste inébranlable dans son refus de rendre publique
cette protestation. Je lui réponds que notre silence nous rend complices
des Allemands. »
Et cependant le Maréchal persista dans son refus de la rendre publique
(7). Maurice Catoire, de la direction des Services de l’armistice, le
déplora également. « Malheureusement, aucune publicité, écrit-il, ne fut
donnée à la protestation du 3 septembre 1940, de sorte que nos
compatriotes l’ignorèrent et que la radio de Londres trouva dans le
silence officiel du gouvernement français relativement aux affaires
d’Alsace et Lorraine un levier puissant pour sa propagande » (8).
Dans ses propres mémoires, le général Weygand s’attribue, de même, le
mérite d’avoir obtenu, malgré « l’opposition de M. Laval »,
vice-président du conseil, la remise de cette première protestation
solennelle d’ensemble. Il était d’avis, lui aussi, à lui donner plus de
bruit : « J’insistai ensuite au conseil des ministres pour qu’un
caractère plus solennel et mondial fut donné à cette protestation. Je
rappelai celle qui avait été formulée en 1871, en exprimant l’espoir que
nous montrerions dans cette circonstance un courage égal à celui des
Français qui, 70 ans auparavant, à Bordeaux, n’avaient pas craint
d’élever leurs voix contre l’injustice. Ce fut en vain. Notre
protestation ne dépassa pas Wiesbaden » (9).
Mais l’explication de Paul Reynaud du silence du Maréchal n’est sans
doute pas la bonne. Jacques Laurent-Cély, qui était alors au Service de
l’information, en rapporte une bien différente. « Les Allemands sont des
sadiques, aurait dit le Maréchal. Si je publiais la protestation (du 3
septembre 1940), ils broieraient les Alsaciens ». « Malgré sa haine de
l’Allemand et sa volonté de résister à leurs empiètements, ajoute
l’auteur de Prénom Clotilde, le Maréchal aura toujours tendance à céder
finalement à cause de la crainte qu’il a d’attirer des représailles sur
la nation française et surtout sur les prisonniers » (10).
Les Alsaciens-Lorrains des Chantiers de Jeunesse et de l’Armée d’armistice
La question alsacienne-lorraine resta à l’ordre du jour pendant tout
le second semestre 1940 et au-delà, mais concentrée sur celle des jeunes
alsaciens-lorrains restés dans l’armée d’armistice et les chantiers de
jeunesse, et dont les Allemands réclamaient le rapatriement. Cette fois,
Vichy avait les moyens d’outrepasser la simple protestation écrite. Il
pouvait empêcher, filtrer et/ou saboter ce rapatriement.
Tout d’abord, il convient de rappeler que ce rapatriement s’inscrit
dans un triple mouvement : le retour volontaire chez eux d’une bonne
partie des Alsaciens-Lorrains évacués en septembre 1939 dans le sud-ouest
; le retour volontaire dans les départements du nord des fuyards de la
débâcle ; ainsi que la libération des Alsaciens-Lorrains de l’armée
française faits prisonniers en mai-juin 40 par les Allemands pour peu
qu’ils se reconnaissent Volksdeutsch par écrit.
Les Allemands avaient commencé à se poser en protecteurs de tous les
Alsaciens et Lorrains en zone libre par la note du 3 août du général
Mieth. Vichy n’avait pas cru devoir y répondre. Puis le 29 août, le
général von Stülpnagel était intervenu lui-même pour demander le retour
des jeunes Alsaciens et Lorrains retenus dans les camps de jeunesse et
l’armée d’armistice (4).
Vichy crut d’abord n’y mettre aucun obstacle, ne se doutant pas encore
de l’annexion des trois départements. Le 30 août 1940, le général d’armée
Colson, alors secrétaire d’Etat à la guerre, donna ainsi la consigne aux
généraux commandant les régions militaires de ne pas décourager les
militaires alsaciens et lorrains voulant rentrer chez eux, leur demandant
même de les délier de tout engagement pour leur épargner toute
complication avec les Allemands. La question de ce retour s’était posée,
semble-t-il, à Toulouse, où existait un détachement de la Légion d’Alsace
et de Lorraine, commandée par le commandant Goussot (11).
Puis, ayant pris conscience que les trois départements étaient
purement et simplement annexés, Vichy se ravi-sa. Il se mit à vouloir
freiner le rapatriement des militaires, se mettant ainsi en contradiction
avec l’article 16 de la convention d’armistice, qu’il ne cessait
d’invoquer par ailleurs pour favoriser le retour des réfugiés dans les
départements du Nord et ainsi contrer leur germanisation.
Mais les Allemands étaient assez bien informés de la situation,
puisque leurs commissions de contrôle faisaient le tour des principaux
camps et casernements. Le 12 septembre, l’une d’elles s’était ainsi
présentée au camp de jeunesse de Rochefort-Montagne, à l’ouest de
Clermont-Ferrand, au pied du Mont-Dore. Elle avait fait convoquer les 11
Alsaciens qui s’y trouvaient pour leur demander s’ils désiraient rentrer
en Alsace. Deux semaines plus tard, le 30 septembre, le général Mieth
exigea la libération et le rapatriement de 150 autres Alsaciens-Lorrains
se trouvant au camp de jeunes de la forêt domaniale de Tronçais, à
l’ouest de Moulins (Allier). « Ils sont traités comme des prisonniers,
souligne-t-il. Ils reçoivent une mauvaise nourriture et n’ont pas le
droit de fréquenter la population civile. Les vêtements civils et les
fiches de démobilisation leur ont été retirés. Leur logement est
rudimentaire et antihygiénique » (12).
En octobre, le général von Stülpnagel renouvelle ses exigences :
libération et rapatriement de tous les Alsaciens-Lorrains retenus dans
l’armée d’armistice et les camps de jeunesse. Le mercredi 23, Huntziger
les expose en conseil restreint à Vichy. Les accepter, c’était
reconnaître l’annexion de fait. Baudouin s’y opposa donc « fortement » en
soulignant « une fois de plus, combien il est regrettable que le
gouvernement n’ait pas eu le courage de mettre le pays au courant des
actes graves que les Allemands se sont permis en-dehors de la convention
d’armistice. Si nous nous écartons de cette convention, dit-il, nous
sommes grignotés, mangés, perdus. Le pays ignore tout ce que nous faisons
pour le défendre. Comment aurait-il confiance en nous ? » (7) .
Vichy ne s’étant pas exécuté, von Stülpnagel revient à la charge par
lettre le 15 novembre, suite à un incident survenu lors de la visite
d’une commission de contrôle dans un camp de jeunesse près de Pau. Sept
Alsaciens s’étaient alors présentés spontanément à elle pour lui dire
qu’ils avaient été cachés le temps de cette visite, sous la menace de
peines sévères s’ils cherchaient à faire connaître aux Allemands qu’ils
désiraient rentrer chez eux. Aussi, avaient-il demandé asile et
protection à cette commission (2) (12) (13).
Stülpnagel rappela à cette occasion qu’une aide sans réserve était
accordée aux Volksdeutsche, qui demandaient protection aux autorités
allemandes en zone libre. Il exigea derechef la libération et le renvoi
dans leurs foyers de tous les Alsaciens-Lorrains dans l’armée et les
camps de jeunesse avant le 1er janvier 1941, qu’ils soient volontaires ou
non, à la seule exception de ceux dont les familles avaient déjà été
expulsées d’Alsace et de Moselle.
Résolution médiane
Même si cela revenait à un abandon de souveraineté, le général Doyen,
nouveau président de la délégation française de Wiesbaden, recommanda à
Vichy d’y consentir (2). Comme ministre commandant les forces
terrestres, Huntziger prit finalement une résolution médiane. Il s’opposa
à tout rapatriement forcé et jugea inacceptable un recensement des
Alsaciens et des Lorrains en zone libre. De l’autre côté, il ordonna de
laisser les jeunes Français originaires des trois départements
accomplissant leurs obligations légales de service civil retourner dans
leurs foyers, s’ils le souhaitaient. Il demanda même « de fermer les yeux
sur les évasions des Alsaciens et Lorrains enrôlés dans les chantiers de
la jeunesse, voire dans certains cas, de les leur faciliter » (13).
Certains de ces Alsaciens-Lorrains avaient effectivement été forcés
d’entrer ces camps. Et Huntziger ne voulait pas avoir à les renvoyer chez
eux, mécontents. Pour faciliter leur évasion, ils furent regroupés dans
les camps les plus rapprochés de la ligne de démarcation. Les évadés ne
devaient être ni recherchés, ni punis. Mais concernant les appelés de
l’armée, dit Huntziger, « il n’était pas possible de tolérer les évasions
». En conseil restreint, il pro-posa de promettre aux Allemands que les
Alsaciens et Lorrains qui le souhaitaient seraient libérés. En
contre-partie, il demanderait que les commissions allemandes de contrôle
ne fassent plus aucune inquisition dans aucune des trois armes. En son
for intérieur, il était persuadé que la moitié des 3 500 Alsaciens et
Lorrains subsistant dans l’armée, comme des 4 000 appelés des Chantiers
de jeunesse choisiraient de rester en zone libre.
Mais ce compromis est rejeté à Wiesbaden. Un nouveau conseil restreint
en rediscuta donc le 7 décembre, sans le Maréchal. Huntziger proposa de
répondre aux Allemands que les jeunes Alsaciens-Lorrains seront laissés
entièrement libres de rester ou de partir. Et si cette réponse ne
suffisait pas, une commission de contrôle allemande serait admise à
vérifier qu’aucune pression n’est exercée. Le général Doyen promit ainsi
le 18 décembre à Wiesbaden que tous les jeunes gens originaires des trois
départements seront libérés avant le 1er janvier 1941, qu’ils soient dans
les camps ou dans l’armée d’armistice. Et qu’ils seront acheminés de la
zone libre en zone occupée au moyen de 7 trains (2) (12).
André Lavagne, le chef adjoint du cabinet civil du Maréchal, avance
que 4 416 jeunes Alsaciens et Lorrains, franchirent alors la ligne de
démarcation (4). Mais dès la fin du mois de décembre, von Stülpnagel
protesta qu’au lieu des 7 trains chargés des 4 500 hommes escomptés,
seuls 700 hommes avaient pu être rapatriés en Alsace-Lorraine même. Sans
doute, un grand nombre des libérés s’étaient-ils égayés dans la nature et
fondus dans la masse des réfugiés restés en zone libre. Ceux qui avaient
choisi de rester dans l’armée d’armistice, en tout cas, furent dissimulés
sous de fausses identités et de faux papiers.
La question n’était pas éteinte pour autant. En mai 1941, les
Allemands remettent encore à Wiesbaden une liste de 2 400 militaires
Alsaciens-Lorrains non rentrés (2). En août 1941, ils affirmèrent encore
qu’il restait environ 2 000 Alsaciens-Lorrains sous les drapeaux,
munis de faux papiers. Ils protestent également contre la survivance
d’unités alsaciennes, telles que le 152e RI (le 15.2 de Colmar) ou une
demi-brigade de chasseurs à pied qui arborait l’écusson d’Alsace et dont
le drapeau était orné des armes des principales villes de la province (8)
(13).
En 1941, les Allemands demandent également que les Alsaciens-Lorrains
engagés volontaires de l’armée d’armistice puissent rentrer eux aussi.
Mais seuls 12 sous-officiers et 215 soldats le demandèrent alors, selon
Maurice Catoire. Vichy persista dans son refus de tout rapatriement
forcé. Les Allemands n’eurent donc d’autre ressource que de menacer de la
confiscation de leurs biens tous ceux qui refusaient de se laisser
rapatrier après le 31 juillet 1942 (11).
Une dernière intervention de Huntziger sur ces questions est signalée
le 13 mai 1941. En tant que ministre secrétaire d’Etat à la guerre, il
adresse alors au ministre de l’Education nationale la note n° 14.897/DSA
fixant des conditions très strictes au rapatriement des mineurs en
Alsace-Lorraine. A partir de 15 ans accomplis, une demande des intéressés
devait ainsi être exigée en plus de la demande de la personne investie à
leur égard de la puissance paternelle. De plus, les autorités allemandes
ne pouvaient se substituer aux parents. Même les demandes par elles
produites devaient être examinées quant à leur authenticité et leur
sincérité.
Edouard Coeurdevey, le directeur de l’Ecole normale d’instituteurs
catholiques d’Obernai repliée à Solignac, près de Limoges, donna lecture
de cette note à l’ensemble de ses élèves le samedi soir 14 mai. Ceux-ci
l’accueillirent avec enthousiasme : « Mes grands garçons ont brusquement
senti qu’ils étaient protégés contre tout arbitraire et qu’ils devenaient
maîtres de leur avenir. Ils ont entonné le chant « Vous n’aurez pas
l’Alsace et la Lorraine ». Ils y ont mis un accent passionné quand le
couplet fait dire « Et notre coeur vous ne l’aurez jamais ». Quelques-uns
ont prononcé « chamais ». C’était un beau spectacle émouvant », écrit le
directeur Coeurdevey, dans son rapport du 20 mai 1941 au secrétaire
général du rectorat (14).
Jean-Claude Streicher
Notes :
(1) Jacques Duclos : « Mémoires », t. 3, Livre club Diderot, 1974, p. 93.
(2) Alphonse Irjud : « Vichy proteste en silence », Saisons d’Alsace,
n° 117, p. 47–56. (3) Louis Noguères : « Le Véritable procès du
Maréchal Pétain », Fayard, 1955, 664 p. (4) Louis Cernay : « Le
Maréchal Pétain, l’Alsace et la Lorraine, Faits et documents, 1940–1944
», Paris, Les Îles d’or, 1955, 180 p. (5) Paul Reynaud : « La France à
sauvé l’Europe », t. 2, Flammarion, Paris, 1947, p. 494–497. (6) Lothar
Kettenacker : « L’attitude du gouvernement de Vichy face à l’annexion de
fait de l’Alsace-Lorraine dure la seconde guerre mondiale », Revue
d’Alsace, 2006. (7) Paul Baudouin : « Neuf mois au gouvernement », La
Table ronde, 1948, 435 p. (8) Maurice Catoire : « La direction des
Services de l’Armistice », Berger-Levrault, 1955.
(9) Weygand : « Mémoires, Rappelé au service », Flammarion, 1950, t. 3.
(10) Cécil Saint-Laurent : « Prénom Clotilde », Presses de la Cité, 1957,
p. 146. (11) www.malgre-nous.eu. (12) Jacques Delperrie de Bayac : «
Le royaume du Maréchal. Historie de la zone libre », R. Laffont, 1975,
414 p. (13) Robert O. Paxton : « L’armée de Vichy. Le corps des
officiers français, 1940–1944 », Tallandier, 2004, 586 p. (14) « La
communauté de Solignac », Saisons d’Alsace, 1992, n° 117, p. 902.
Voir également : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/varia/de-saigon-a-marseille-un-convoi-annamite-journal-candide-du-13-aout-1941–14867 et sur le crash de l’avion du général Huntzinger : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/varia/14217–14217