De retour de Strasbourg
La presse régionale a annoncé, il y a une quinzaine de jours, que la
Fondation franco allemande se réunirait en AG ouverte, ce mercredi matin
17 Février 2010, à Strasbourg, dans les locaux de l’ENA.
A l’ordre du jour, une importante modification des statuts permettant à
l’actuel président, André BORD, ancien Ministre , de devenir membre à vie
(sic) et de tourner la page de l’indemnisation des incorporés de force
alsacien –mosellans durant la seconde guerre mondiale.
L’heure est à l’élargissement des coopérations transfrontalières voire
mondiales puisque des voyages sont prévus en Chine et en Afrique.
Notre association régionale des pupilles de la nation, orphelins de guerre
d’Alsace (APOGA), forte de 7OO membres dont environ 70% sont fils et
filles de soldats français incorporés de force dans la Wehrmacht ou dans
les Waffen SS et qui ont été tués ou portés disparus, notamment sur le
front de l’Est, face aux armées soviétiques, a voté une motion de
protestation dans laquelle elle réclamait principalement d’avoir sa place au
sein de cette fondation en charge de la gestion des fonds versés par la
République fédérale allemande en réparation des préjudices dus à
l’incorporation de force.
La presse ayant heureusement relayé ce texte, André BORD a chargé Me
Yves MULLER, secrétaire de la Fondation, de me faire savoir par
téléphone, hier matin, que ma présence n’était pas souhaitée et que je
devais m’abstenir de venir à cette rencontre.
C’était une raison majeure pour que je me déplace.
Avec Gabrielle Teissier, Jules Jambois, Robert Grimont et quelques
membres de l’APOGA, nous nous sommes trouvés devant les grilles
fermées de l’ENA et sous la surveillance de plusieurs véhicules de police.
L’entrée m’a été personnellement refusée. Les consignes avaient été
données.
Avec quelques membres de l’OPMAM, l’association des amis de Bernard
ERNEWEIN qui militent pour l’indemnisation des orphelins d’incorporés de
force par la République fédérale allemande, nous sommes restés sur le
trottoir pendant deux heures, dans le froid et sous la pluie.
France 3 Alsace a été témoin de notre refoulement de même que la presse
régionale.
Dans cette situation » d’exclus » il nous a été donné de voir arriver les
convives munis d’un bristol officiel. Tomi UNGERER, le sénateur Philippe
RICHERT, le Ministre François LOOS, le maire de COLMAR, le Président de
Région, des chefs d’entreprises, Gilbert GRESS, le Président de
l’Université, des Messieurs et des Dames bcbg dont l’une tirait son petit
chien à une laisse.
Je n’ai pu m’empêcher de demander à cette dernière si le quadrupède
était invité lui aussi, elle m’a fièrement répondu que oui. J’en ai
logiquement conclu qu’il valait mieux être chien qu’orphelin de guerre !
Il y avait aussi beaucoup de convives allemands. La Fondation entretient
d’excellentes relations avec des amis allemands, ce qui est louable mais
qui interroge aussi sur les investissements réalisés en Allemagne avec de
l’argent allemand versé en dédommagement des préjudices subis par des
français sous uniforme honni. Ce mauvais, ce très mauvais mélange des
genres mériterait d’être éclairci. Nous aimerions savoir aussi si Monsieur
TOEPPFER de Hambourg exerce une quelconque influence et si oui,
laquelle, sur la Fondation. Nous sommes troublés par certains usages qui
ont été fait par ces fonds et par le patrimoine constitué. Des rumeurs
circulent depuis des années et qui font froid dans le dos.
Il me semble que les orphelins que nous sommes devraient avoir le droit
de savoir certaines choses. C’était le sens de notre demande
d’aujourd’hui : pouvoir siéger au CA. Pas de réponse est une réponse. Les
grilles fermées la confirment.
Toutes les personnalités interpelées, interrogées sur le pourquoi de notre
mise à l’écart ont paru sérieusement gênés ou se sont dits être dans
l’ignorance de ce problème.
A vrai dire nous n’attendions rien, nous n’espérions rien, d’une Fondation
qui nous a toujours ignorés, nous les enfants de ceux qui ne sont plus
rentrés.
Mais cela ne nous fera pas nous taire. Forts de la légitimité que nous
donnent nos pères morts ou disparus, nous entendons interpeller encore
et encore.
Ci-joint le texte de la déclaration que je souhaitais lire devant l’Assemblée.
Elle est restée dans ma poche.
Bernard Rodenstein
Président de l’APOGA
Ce que Bernard Rodenstein aurait dit s’il avait été autorisé à entrer à l’ENA
17 Février 2010
Monsieur le Président, (à vie !)
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil d’administration de la fondation,
Au nom des orphelins de guerre, pupilles de la Nation, d’Alsace, je voudrais dire à tous les anciens incorporés de force qui oeuvrent au sein de la « Fédération Entente Franco-allemande », (FEFA), notre reconnaissance pour le travail accompli depuis la fin de la guerre de 1939–1945 afin que nul n’oublie ce que fut ce drame particulier pour toute notre province et pour les 140.000 jeunes hommes enrôlés de force, en particulier.
Nous savons que votre combat pour la mémoire ne fut pas simple et que de nombreuses résistances ont dû être surmontées. Peu de personnes se sont intéressées au sort si singulier de l’Alsace et de la Moselle et peu comprennent aujourd’hui encore, comment on a pu porter l’uniforme honni de la Wehrmacht ou des SS et être déclaré mort pour la France.
L’antinomie est évidente.
Elle était tragique pour le plus grand nombre de ceux qui ont du la vivre dans leur propre chair. Elle a collé à leur peau encore pendant des décennies après la guerre et une forme de honte les a submergés.
Vous avez fait honneur à l’histoire de l’Alsace en vous investissant dans les
négociations qui ont conduit à la réparation, par l’Allemagne, des préjudices qui nous ont été causés.
Grâce à votre Fondation, des actions importantes ont été entreprises pour
dépasser le climat de méfiance voire de haine qui a suivi les années d’après guerre. Vous avez utilement contribué, avec les fonds versés par la République Fédérale d’Allemagne, à la nécessaire réconciliation imposée par l’évidence de l’union des Etats européens.
Pour tout cela, nous vous remercions.
Si nous intervenons aujourd’hui dans vos débats, au moment où vous vous
décidez à changer vos statuts et vos objectifs, c’est que contrairement à vous, nous n’avons pas le sentiment que la page de l’incorporation de force peut être tournée.
Vous avez eu la chance de revenir et de continuer à vivre parmi les vôtres, malgré tous les mauvais souvenirs gravés dans votre chair et dans votre esprit.
Vous avez eu le temps de pardonner et de reconstruire.
Nous, ici présents, sommes les enfants de quelques uns de ceux qui, hélas, ne sont plus revenus.
Nos pères font partie des quelques 40.000 soldats français traînés de force sur le front de l’Est, avec sur le dos un uniforme haï, qui ne sont plus rentrés, tués au front ou portés disparus.
Notre drame d’orphelins n’est pas achevé.
Il ne se passe pas un jour et c’est encore plus vrai depuis que nous prenons nous-mêmes de l’âge, sans que nous ressassions la douleur due à l’absence de l’être cher qui nous a été injustement enlevé du fait d’un intolérable crime de guerre.
Nous ne pouvons pas consentir à vos décisions de ce jour.
Vous agissez comme si vous étiez seuls concernés et comme s’il vous
appartenait aujourd’hui, à la veille de la disparition de la génération du feu, de décider de la suite des opérations et notamment de l’usage qui sera fait de l’argent et du patrimoine de la Fondation.
Consentez enfin à reconnaître en nous les héritiers de votre histoire. Nous
l’avons subie et nous la subissons comme vous. Nous avons vu nos mères, folles de désespoir, devoir faire face à leur veuvage et à la prise en charge, seules, des enfants qu’elles avaient mis au monde avec leurs maris plus jamais rentrés.
Nous avons été meurtris moralement et matériellement et nous nous
interrogeons rétrospectivement sur le sens de nos cartes d’identité de pupilles de la Nation. En quoi la nation nous a-t-elle adoptés ? En quoi nous est-elle venue en aide ?
Vous est-il venu à l’esprit, à vous, membres de la fondation à la tête d’un capital non négligeable, de nous offrir un billet de train pour nous rendre, au moins une fois dans nos vies, à l’endroit où nos pères sont supposés avoir été tués et ensevelis à tout jamais ?
La liste de nos griefs est longue.
Aujourd’hui nous ne vous présentons cependant qu’une seule revendication : admettez que nous avons notre mot à dire pour la suite des événements. Faites nous une place dans votre conseil pour que nous puissions donner notre avis, à la place de ceux qui sont absents et qui comme vous, auraient mérité d’être là.
Vous pouvez ne pas nous entendre, vous pouvez nous chasser et nous demander de passer notre chemin. L’Etat français, lui aussi, nous dit cela depuis que nous demandons avec insistance de pouvoir bénéficier des mêmes dispositifs d’indemnisation que les orphelins de parents juifs (décret de Juillet 2000), les orphelins de parents victimes d’actes de barbarie (décret de Juillet 2004) et que les orphelins de Harkis (décret de 2005).
Le Gouvernement, malgré les engagements formels du Président Sarkozy en 2007, n’en prend pas le chemin. Nos protestations réitérées restent sans effet.
L’incorporation de force n’est toujours pas reconnue comme un acte de barbarie, sauf en Belgique et au Luxembourg.
Nous voulons simplement vous assurer que nous sommes déterminés à ne plus nous laisser faire et à rester silencieux comme nous l’avons été trop longtemps.
Au sein de l’APOGA (Association des pupilles de la Nation, orphelins de guerre d’Alsace) et en lien avec la Fédération nationale des pupilles de la Nation (FPN) nous mettrons tout en œuvre pour troubler la sérénité de celles et de ceux qui continuent à vouloir nous ignorer et à ignorer les traces encore douloureuses de la barbarie des hommes infligée à d’autres hommes.
Nous en faisons le serment.
Fait à Strasbourg ce 17 Février 2010.
Bernard Rodenstein, président