Après le 8 mai 2010…
Le 8 mai 2010 restera un jour historique pour notre pays, la France. Le président de la République, M. Nicolas SARKOZY, est venu à Colmar, présider les commémorations de la Victoire de 1945.
Avec clarté, avec solennité, il est venu dire à la France entière ce que fut l’incorporation de force de 130.000 citoyens français, alsaciens et mosellans, dans la Wehrmacht ou dans les Waffen SS du pire dictateur du 20 Siècle, Adolph HITLER.
Les anciens, ceux qui ont aujourd’hui au moins 83 ans et qui constituaient la dernière classe d’âge obligée d’endosser l’uniforme honni, ceux de la classe 1927, avaient les larmes aux yeux.
Un Président de la République est venu proclamer à la face de la France qu’ils n’étaient pas des traitres. Il a serré la main tremblante de vieillesse et d’émotion de quelques-uns d’entre eux.
Puis il est reparti. Aussi vite qu’il était venu.
Mais rien ne sera plus comme avant.
Avant, des français se permettaient de cracher à la figure d’autres français, dont le tort était d’habiter du mauvais côté des Vosges, ils étaient donc des « boches ».
Avant planait sur l’Alsace et la Moselle le soupçon récurrent de leurs affinités électives avec l’Allemagne.
Avant, le procès de Bordeaux, en 1953, était encore dans les mémoires et l’on ne se souvenait volontiers que des 13 jeunes alsaciens incorporés de force dans la division « Das Reich » de sinistre mémoire pour ses forfaits commis à ORADOUR s/GLANE et dans le Sud Ouest de la France. 13 « monstres », plus un quatorzième réellement volontaire, ont incarné les « trahisons » des Alsaciens Mosellans dans l’imaginaire collectif des Français dont la grande majorité n’avait, cela va de soi, rien à se reprocher.
Avant, il n’y avait guère que quelques historiens qui avaient oeuvré courageusement pour que la Vérité soit faite sur l’histoire singulière et tragique de ces territoires abandonnés par Vichy à l’ogre germanique.
Avant, quelques anciens incorporés de force et quelques rares élus s’étaient démenés pour obtenir la reconnaissance de la Nation toute entière.
65 ans sont passés.
Depuis le 8 MAI de cette année, beaucoup de choses ont changé.
Des hommes ignominieusement traînés dans la boue, y compris par des compatriotes prompts à tirer la couverture de la vaine gloriole à eux, au prétexte que eux ont fui l’incorporation de force, sont aujourd’hui réhabilités. Ils furent, dixit le Président de la République, des victimes du nazisme, la pire des oppressions.
J’étais parmi les représentants des associations patriotiques et d’anciens combattants. J’ai senti le poids qui tombait de leurs épaules. Plus personne ne pourrait désormais, sans mauvaise foi, mettre en doute leur fidélité à la France. Ils sont partis silencieux et soulagés. J’en suis heureux pour eux.
J’ai aussi pensé à notre père, Charles, à notre oncle Lucien, les deux seuls enfants de nos grands parents paternels. Le premier, porté disparu sur le front de l’Est en juillet 1944. Le second, tué dans les Carpates, également en 1944.
Ce beau discours de Nicolas SARKOZY, que changeait-il pour eux ?
La France va-t-elle enfin se décider à lancer de véritables recherches pour tenter de retrouver les traces de ses enfants morts et disparus ?
A l’instar de l’Allemagne qui a mis en oeuvre un vaste réseau de chercheurs de tombes pour ses soldats ensevelis, la France va-t-elle mobiliser des moyens propres ?
Auront-ils droit, comme d’autres, à l’hommage de la Nation toute entière, à l’Arc de Triomphe, un hommage à la hauteur du « crime de guerre » enfin reconnu dont ils furent les victimes ?
Questions parmi d’autres, aujourd’hui sans réponse.
Je veux bien croire qu’il faille agir étape par étape. On ne cesse de nous conseiller cette patience.
Mais le temps est compté. Les uns après les autres, ils disparaissent, ceux qui furent directement concernés.
Et puis, dans nos rangs d’orphelins de guerre, les décès aussi s’additionnent chaque année.
Nous n’avons, pour ce qui nous concerne, les fils et les filles de ces jeunes citoyens français envoyés comme chair à canon sur le front de l’Est, notamment, avec sur le dos l’uniforme de leurs pires ennemis, endossé sous la menace de représailles, nous n’avons rien entendu qui puisse nous ouvrir les portes de la reconnaissance que nous attendons nous aussi, depuis qu’en 2000 et en 2004, les gouvernements français ont décidé de réparer les souffrances particulières de certains orphelins de guerre, à l’exclusion de beaucoup d’autres.
Nous devons apparemment comprendre que, à défaut de moyens financiers, l’Etat nous adresse aujourd’hui des paroles consolatrices.
Croire que nous pouvons nous contenter de discours, aussi émouvants soient-ils, c’est mal connaître la détermination qu’a fait naître dans nos rangs, l’injustice commise par la France, en s’acquittant financièrement de sa dette auprès de quelques uns et en discriminant les autres.
La grandeur d’une Nation réside dans l’égale manière de prendre soin de tous ses enfants.
Bernard Rodenstein
président
10 mai 2010