Suite à la diffusion du documentaire « Das Reich. Une division SS en France » sur France 3 et la levée de boucliers qu’elle a suscitée, les ADEIF (Association des Déserteurs, Evadés et Incorporés de force) du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont porté plainte contre le réalisateur et la maison de production, estimant que l ‘assimilation étroite faite entre les « Malgré-Nous » et les crimes de la Waffen-SS est diffamatoire.
A l’audience du 16 juin 2015, au Tribunal de Grande Instance de Strasbourg, Me Simonnet, représentant les ADEIF avec Me Darbois, a exposé les faits et attentes de ces dernières. Il a notamment rappelé que la première diffusion du documentaire « Das Reich. Une division SS en France » avait provoqué « remous et turbulences », à tel point que France 3 avait renoncé à sa rediffusion pourtant programmée. La version diffusée ensuite sur Arte est une version corrigée, qui ne contient plus de passages litigieux. Mais, le DVD, qui est commercialisé, reprend la version initiale du film et insiste sur le fait que, en 1944, le gros des troupes était composé d’Alsaciens – « pas moins de 6000 Alsaciens » – et qu’aucun d’entre eux, incorporé de force ou engagé volontaire, n’a purgé « la plus petite peine de prison ».
Les avocats du réalisateur et de la société de production ont, de leur côté, dénoncé l’imprécision de l’assignation et contesté la qualité pour agir des ADEIF dont, pourtant, l’une des missions est « la sauvegarde des intérêts patrimoniaux et moraux » de leurs membres. Or, elles ne peuvent représenter que des vivants – et Me Simonnet de rappeler, à ce sujet, que, du côté de la partie adverse, « on a été jusqu’à dire qu’il n’y avait plus de Malgré-Nous vivants » !
Or, puisque les ADEIF avaient déjà été en justice contre les propos négationnistes de Robert Hébras – procès qu’elles avaient d’ailleurs perdu -, pourquoi ne seraient-elles pas fondées à agir ?
Raviver des blessures pour des raisons purement mercantiles
La liberté d’expression a, bien entendu, été au centre des débats. Me Simonnet a rappelé qu’il y avait une différence notoire entre émettre une opinion discutable et émettre une accusation contre des particuliers (ici, les « Malgré-Nous »). Et qu’on était en droit, dans le cadre de ce documentaire, d’exiger du réalisateur un véritable travail d’historien : utilisation d’une méthode historique, devoir d’objectivité et vérification des informations, ceci permettant d’éviter de déformer les faits et de risquer de publier des propos diffamatoires portant atteinte à l’honneur des personnes visées. Or, en amont du documentaire, il n’y a pas eu de débat contradictoire ou de recherche sur l’incorporation de force en général et dans la Waffen-SS en particulier, ce qui aurait permis d’éviter d’avancer des chiffres pour le moins fantaisistes. Cette absence de probité scientifique s’illustre notamment dans le fait que les accusés n’ont pas prouvé que ce qu’ils disaient était vrai. « Les imputations proférées ne reposent pas sur des faits précis », faits « que le spectateur prendra pourtant pour une pure vérité ».
« Lorsqu’on touche à des sujets aussi délicats, aucune erreur n’est permise »
La mise en relation des crimes de Tulle, Oradour et de ceux commis par les Einsatzgruppen sur le front Est (avant 1944 !) avec les Alsaciens ne peut qu’amener à en conclure : Alsaciens = gros des troupes = criminels de guerre. Le choix de l’auteur d’axer son œuvre sur les crimes de la « Das Reich » rend cette association d’idées encore plus forte. La façon dont est présenté Elimar Schneider, un « Malgré-Nous » qui sert de fil rouge à la démonstration, comme un « Allemand ethnique » assimile les « Malgré-Nous » aux nazis et, donc, à des criminels. Il est placé face à Violette Szabo, dont on ne peut qu’admirer le courage et l’héroïsme face aux nazis. Il est également présenté comme représentant des « Malgré-Nous », mais ayant des propos ambigus. D’après l’avocat, ce sont surtout ces propos, particulièrement durs à l’égard des combattants de la libération, que l’on retiendra ; on oubliera qu’il a sauvé deux otages lors des terribles pendaisons de Tulle, mettant fin à la poursuite des exécutions. Ainsi, on assimilera Elimar Schneider à l’ensemble des incorporés de force qui passeront, de fait, pour des « salauds ». L’enchaînement est parfaitement orchestré et abouti aussi à l’assimilation des crimes perpétrés sur le front soviétique (d’avant 1944) aux « Malgré-Nous » de 1944. La conclusion du documentaire est inéluctable : les incorporés de force sont des criminels.
L’excuse de « bonne foi » est-elle admissible ? Non, selon Me Simonnet, puisque le réalisateur et son conseiller historique ont reconnu que leurs chiffres étaient erronés – une extrapolation sans distinction, par exemple, du type d’unités – et qu’ils ont disparu de la version diffusée sur Arte. Ceci montre qu’il n’y a pas eu d’enquête sérieuse et que, tant pour un journaliste que pour un historien, l’exactitude des faits aurait dû être vérifiée, les sources auraient dû être recoupées. On n’est pas dans la rigueur, malgré ce qu’avait déclaré le réalisateur : « Lorsqu’on touche à des sujets aussi délicats, aucune erreur n’est permise. Il ne faut jamais prêter le flanc à quoi que ce soit » (Le Monde du 18.4.2015).
En conséquence, les ADEIF demandent la saisie des DVD qui auraient pu être remplacés par la version corrigée qui, elle, ne fait pas l’objet de contestations. Mais on a préféré raviver des blessures pour des raisons purement mercantiles, conclu l’avocat.
Une preuve de bonne foi du réalisateur
Me Majster, l’avocat du réalisateur Michaël Prazan, a rappelé que ce dernier était apprécié par le milieu pour son travail remarquable et sa connaissance extrêmement précise de cette époque, soulignant aussi qu’il n’avait jamais fait l’objet d’attaques aussi inouïes. De fait, il souligne qu’il n’est pas là pour faire de l’Histoire, mais du Droit afin de défendre la liberté d’expression.
Le premier point soulevé est le délai trop court accordé – 7 jours au lieu de 10 jours – pour établir une défense sereine du réalisateur qui n’a pas pu établir la véracité des faits. Le second est de démontrer la nullité de l’assignation dans laquelle il est question de propos diffamatoires envers les « Malgré-Nous » et les Alsaciens. Or, l’assignation repose sur une contradiction : on ne peut être à la fois dans le cas d’une diffamation d’un particulier et dans celle d’un groupe, car la peine encourue n’est pas la même. Mais il s’interroge sur l’existence du délit reproché ? En effet, la diffamation contre un groupe n’existe que si ledit groupe est protégé par la loi du 29.7.1881 et la diffamation à l’égard de groupes régionaux n’existe pas. Il se trouve que le groupe de personnes, « Malgré-Nous » et Alsaciens, n’est pas protégé par cette loi de 1881.
La qualité à agir des ADEIF est aussi remise en cause. En quoi de dire qu’il y a eu 2000 ou 6000 Alsaciens dans la « Das Reich » porte-t-il atteinte à l’honneur ? Selon lui, le réalisateur a voulu montrer que ce sont les Alsaciens qui, du fait de leur incorporation forcée, ont payé un très lourd tribut à la guerre. Il cite aussi l’exemple des Alsaciens réfugiés à Oradour mentionnés dans le reportage – il n’y a donc pas que les incorporés de force qui soient cités – mais oubliant, comme dans le reportage, les Mosellans qui étaient bien plus nombreux.
Il souligne qu’il n’y avait pas que des Alsaciens dans la « Das Reich », mais aussi des Ukrainiens, des Hongrois, des Allemands… sans préciser qu’il ne s’agit pas forcément d’incorporés de force, de déportés militaires… Il confirme aussi que le documentaire se centre sur l’année 1944… Alors nous pourrions nous demander pourquoi s’appesantir sur des images tournées avant 1944 et sur le front Est de surcroît ? Quant aux Lorrains (Mosellans) souvent cités, on n’en connaît pas, à l’heure actuelle, au sein de la division « Das Reich ». On peut cependant admettre qu’il s’agit d’une reprise – sans discernement – de l’appellation courante d’ « Elsässer-Lothringer ». En conclusion, le DVD ne fait qu’évoquer les Alsaciens présents dans la « Das Reich » et la correction apportée au commentaire est une preuve de la bonne foi du réalisateur. Il n’y aurait donc aucune propos diffamatoire.
Pas de faits précis à reprocher
L’avocat de la société de production Nilaya, Me Sarfati, reprend et développe les arguments de son collègue. Il souligne d’emblée que « sur le terrain juridique, on est dans le flou le plus total » et insiste sur le fait que les « Malgré-Nous » sont bien des incorporés de force. Ce pléonasme laisserait-il entendre qu’être incorporé de force vous empêche automatiquement d’être un criminel ? Et de citer la présence de Roumains ou de Biélorusses dans les rangs de la division, sans à nouveau préciser si, eux, ont été enrôlés de force. Rappelons que la Roumanie et la Hongrie étaient, à l’époque, des alliés de l’Allemagne nazie, ce qui n’est pas le cas des provinces françaises annexées.
Il affirme, lui aussi, qu’il n’y a pas de faits précis à reprocher documentaire, qu’on se place dans un débat historique et souligne que les corrections apportées par le réalisateur ne sont pas un aveu de faiblesse, mais l’expression d’un ouverture d’esprit, d’une ouverture au dialogue. On pourra objecter que l’intervention de ce dernier, sur France 3 Alsace, n’a, dans ce cas, pas été convaincante.
L’avocat a également évoqué Robert Hébras, sauvé par un « Malgré-Nous » alsacien – en fait, un réfugié – et a fait une confusion entre Tulle et Oradour. Mais, peu importe, cela lui a permis d’évoquer le procès perdu par les ADEIF contre Robert Hébras, « félicitant » même ces associations pour avoir eu la brillante idée d’attaquer en justice un rescapé d’Oradour, tout en mimant un applaudissement –les motifs de cette action semblent insignifiants. Cette pantomime a eu l’effet de produire quelques sursauts de protestation dans l’assemblée. Tout comme le fait de dire que, en 1953, au procès d’Oradour, aucun Alsacien n’avait purgé de peine. Alors pourquoi avoir amnistié, peu après le verdict, les 13 incorporés de force et avoir emprisonné l’engagé volontaire ? Tout ceci porterait à croire à une méconnaissance de l’Histoire.
Elimar Schneider, un des fils rouges, a également été évoqué. Il avait 17 ans au moment des faits. « C’est un gamin », dit l’avocat qui poursuit que cette seule donnée de l’âge l’absous des crimes. Or, il n’était pas plus jeune que les natifs de 1926 condamnés en 1953 : à cette époque, le fait qu’ils étaient mineurs au moment des faits ne les a pas empêché de comparaître devant un tribunal militaire. L’avocat ajoute à propos d’Elimar Schneider : « Il manquait de discernement ». Peut-on réellement admettre qu’un jeune de 17 ans ne sache pas faire la différence entre le mal et le bien ?
Violette Szabo a aussi été évoquée, mais on en retiendra surtout qu’elle était « d’une beauté époustouflante ». Aurions-nous, dans ce documentaire, un face à face entre la bête et la belle ?
Au total, l’avocat estime donc que les ADEIF ont entamé une procédure abusive, qu’elle exerce une véritable censure, une « tentative d’immixtion dans la liberté d’expression insoutenable » pour un pays démocratique. Insoutenable au point de dire que l’ADEIF du Bas-Rhin violait ses propres statuts, montrant par là que « le déshonneur est du côté de l’ADEIF ». Quant à l’ADEIF du Haut-Rhin, ses statuts sont visiblement « tout aussi poussiéreux » et que les attaques répétitives lancées par ces associations sont une manière de conjurer un passé que ne passe pas. Inutile de dire que cette dernière saillie a provoqué des remous dans l’assemblée. Mais il a voulu se faire rassurant : il n’y a pas de soucis pour corriger les prochains DVD…
En toute fin d’audience, dans le brouhaha provoqué par la plaidoirie qui s’achève, la présidente se fait alors confirmer, par les défenseurs, qu’ils persistent et signent en continuant à diffuser la première version du DVD, objet de la plainte des ADEIF.
La décision de justice sera rendue le 30 juin 2015.
Nicolas Mengus