ORADOUR-SUR-GLANE ET LE PROCES DE BORDEAUX. Lettre ouverte à Hervé Le Tellier, par Marie Goerg-Lieby, prési­dente de l’AERIA

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Stras­bourg 10 juin 2024

Lettre ouverte à Hervé Le Tellier

 

Comme d’autres , j’avais appré­cié votre précé­dent livre , « L’Ano­ma­lie », celui qui s’est vendu à 1,5 millions d’exem­plaires et qui a élec­trisé les lecteurs et les jurys. Aurez-vous égale­ment le prix Goncourt pour votre dernier livre « Le Nom sur le Mur » ?

Je souhaite que non.

 

Vous décri­vez dans une forme clas­sique la décou­verte fortuite du nom d’An­dré Chaix sur le mur d’une maison que vous avez ache­tée dans la Drôme et l’enquête qui vous permet de décou­vrir la person­na­lité d’une résis­tant commu­niste mort à 20 ans sous les balles alle­mandes. Vous écri­vez que « ce n’est pas un roman » cette histoire et que vous n’êtes « pas non plus histo­rien », remer­ciant ceux et celles qui vous ont donné des réponses à vos « ques­tions parfois naïves ».

A vos lecteurs vous dites « Pardon­nez moi les quelques erreurs car bien sûr il y en a ; parfois les mémoires vacillaient, les récits se contre­di­saient. Croyez-moi malgré tout, j’ai essayé de ne pas tricher ». Eh bien pour moi c’est loupé : vous avez essayé mais pas réussi.

Car c’est bien de la triche­rie que ce long passage page 59 où vous évoquez le drame d’Ora­dour sur Glane et le procès de Bordeaux. Ainsi cette phrase veni­meuse : «  On n’a pas voulu empri­son­ner les « malgré nous » alsa­ciens de la 2e divi­sion  SS Das Reich qui repré­sentent pour­tant les deux tiers des accu­sés ». Ben voyons, c’est si simple !

Un mini­mum de conscience histo­rique vous aurait permis de savoir que les 13 accu­sés incor­po­rés de force dans l’ar­mée alle­mande (le 14e était volon­taire, mineur légal comme la majo­rité des autres) étaient assis à côté d’autres lampistes. Mais alle­mands ceux là, parce que la justice française ne s’était pas donné les moyens de quérir les gradés alle­mands, les donneurs d’ordre, les vrais respon­sables.

Ainsi le comman­dant Heinz Lammer­ding, mort en 1971 dans son lit en Alle­magne, SS Brigade Führer et Gene­ral­major der Waffen SS, Comman­deur de la 2e divi­sion SS Das Reich dans le sud de la France. Oradour-sur-Glane, c’est lui. Et d’ailleurs en 1953 au tribu­nal de Bordeaux, Lammer­ding est jugé pour crimes de guerre pour les massacres de Tulle et d’Ora­dour-sur-Glane, condamné à mort par contu­mace. Il reste en Alle­magne où il crée une entre­prise de travaux publics. Et Heinz Barth « l’as­sas­sin d’Ora­dour sur Glane » mort à 86 ans dans son lit en RDA, l’ex-Répu­blique démo­cra­tique alle­mande qui ne le jugera qu’en 1983. Il y a aussi l’of­fi­cier Otto Weidin­ger, mort en 1990, qui fut jugé puis acquitté faute de preuves. Ou encore Otto-Erich Kahn mort en 1977 dont plusieurs témoins du procès attestent de la bruta­lité à Oradour.

Mais non, pour vous les Alsa­ciens incor­po­rés de force selon le décret nazi du 25 août 1942 sont forcé­ment les seuls et prin­ci­paux coupables. Ne me faites pas croire que vous igno­rez que l’Al­sace et la Moselle n’ont pas été occu­pées mais bel et bien annexées de fait, ratta­chées de force au IIIe Reich ! Que la langue française y était inter­dite, que les noms de famille et les prénoms à conson­nance française furent obli­ga­toi­re­ment germa­ni­sés à l’état civil comme les noms de rues et de de places, que les livres en français ont été brûlés, que le mark alle­mand, les lois alle­mandes, le système scolaire, l’en­doc­tri­ne­ment idéo­lo­gique perma­nent, les repré­sailles pour les familles d’éva­dés sans oublier les timbres postes y ont été impo­sés dés l’été 1940. Bien sûr que vous le savez !

Ou alors à quoi ça sert d’avoir un docto­rat, d’avoir fait des études de jour­na­lisme au pres­ti­gieux CFJ et d’avoir travaillé au Monde ?

Mais dans le fond, quelle était votre inten­tion en compa­rant gros­siè­re­ment comme vous le faites « la pauvre Creuse rurale » et « la riche Alsace indus­trielle » ?  Et pourquoi la Creuse puisque Oradour-sur-Glane est en Haute-Vienne ? Vous pensiez peut-être à Marc Bloch, profes­seur à l’Uni­ver­sité de Stras­bourg « repliée » en 1939 à Cler­mont-Ferrand, histo­rien, auteur de « L’étrange défaite » rédi­gée à Bourg-d’Hem dans la Creuse, résis­tant fusillé ?

Riche l’Al­sace ? Vous croyez vrai­ment  que de chan­ger quatre fois de natio­na­li­tés en un siècle, ça vous faci­lite les choses écono­mique­ment ? Chan­ger de maitres, de langues, de monnaies et de marchés ? Et que c’est formi­dable de voir ses fils porter plusieurs uniformes et les savoir soupçon­nés à chaque fois  d’être des traîtres poten­tiels ?

Enfin, perfi­die suprême, vous glis­sez : « L’Al­sace seule région de France où personne n’a jamais été nazi ».

Tiens donc, jamais entendu parler du « Siche­rung­sla­ger Vorbrück-Schir­meck », un camp dit de sûreté pour 15 000 Alsa­ciens-Mosel­lans réfrac­taires au nazisme ? Ni du KZ Natz­wei­ler Stru­thof ? Oui vous devez savoir, le seul camp de concen­tra­tion construit dans l’hexa­gone français ! Celui où dans le camp souche et les camps annexes des deux côtés du Rhin furent dépor­tés 52 000 résis­tants de toute l’Eu­rope ? Eh oui aussi des Français d’Al­sace. Par exemple Raymond-Lucien Klée, né à Hague­nau en 1907, résis­tant gaul­liste dès 1940, reçu à l’agré­ga­tion de philo­so­phie, arrêté au lycée Hoche de Versailles où il ensei­gnait, déporté Nuit et Brouillard au KZ Natz­wei­ler Stru­thof où il fut assas­siné en avril 1944 par un kapo français.

Pour être dans l’ac­tua­lité, puisque le collège de sa ville natale de Brumath vient d’être inau­guré sous son nom, je voudrais savoir si Marcel  Weinum était pour vous un nazi alsa­cien ? Condamné à mort, déca­pité à 18 ans en 1942 à la prison de Stutt­gart, il était le chef du groupe de jeunes résis­tants  La Main Noire qui avait harcelé les nazis à Stras­bourg durant deux ans jusqu’à jeter une grenade dans la voiture du Gaulei­ter Wagner.

Oui car en Alsace et en Moselle il n’y avait plus d’ad­mi­nis­tra­tion française, plus l’ombre d’un préfet mais bien deux Gaulei­ter.

Vous en savez assez ou plutôt vous n’avez pas voulu en savoir assez pour écrire un livre qui eût été inté­gra­le­ment le bel hommage à André Chaix qu’il aurait mérité d’être.

 

Marie Goerg-Lieby, prési­dente de l’AERIA,

en accord avec Jean-Marie Esch, président des Amis du mémo­rial de l’Al­sace-Moselle, vice-président de l’AERIA

 

° Asso­cia­tion pour des Etudes sur la Résis­tance des Alsa­ciens, fondée en 2002, conven­tion­née avec les Amis de la Fonda­tion de la Résis­tance.

cour­riel : lare­sis­tan­ce­de­sal­sa­ciens6768@g­mail.com

site inter­net : aeria-lare­sis­tan­ce­de­sal­sa­ciens.fr

siège : 2 rue de Barr 67201 Eckbol­sheim

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