Parqué comme du bétail par les Améri­cains

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Il y a 70 ans, le Reich alle­mand avait capi­tulé depuis cinq mois, mais ce n’était pas encore la fin des souf­frances pour tous. Incor­poré de force dans les Waffen SS, André Haas, de Mues­pach, se trou­vait alors dans un camp de prison­niers tenu par les Améri­cains. Parce qu’il était SS malgré lui, il devait dormir dehors, dans un trou qu’il s’était creusé.

André Haas est de la classe alsa­cienne maudite : celle de 1926. Celle qui, souvent, s’est retrou­vée incor­po­rée de force dans la Waffen SS. Quand il est parti malgré lui sous cet uniforme terrible, il n’avait que 17 ans. Il en a 89 depuis vendredi et il vit toujours, avec son épouse Marie-Louise, dans la maison pater­nelle de Mues­pach. André a subi une attaque céré­brale à l’au­tomne 2010. Il n’est plus en mesure d’évoquer ses souve­nirs de guerre, mais le trau­ma­tisme demeure : il lui arrive de citer le nom d’Adolf Hitler devant les aides-soignan­tes…

Heureu­se­ment, cet homme qui a mené la carrière paisible d’un employé de bureau dans une société de trans­ports, à Saint-Louis, avait couché par écrit, sur une dizaine de pages manus­crites, un résumé de son parcours durant la Seconde Guerre. Et, surtout, deux mois avant son attaque, sa nièce et filleule, Marie-Line Allen, avait procédé à une inter­view filmée dans le cadre d’un projet scolaire en Cali­for­nie, où elle enseigne le français (lire ci-dessous). Dans cet entre­tien d’une heure, sautant souvent du français au dialecte, André raconte cette période comme il ne l’avait sans doute jamais fait. Avec fran­chise, pudeur et émotion. « Je crois qu’a­vec l’âge, il avait besoin de parler et, d’une certaine manière, de se faire pardon­ner » , confie aujourd’­hui sa filleule. Car même quand on n’y est pour rien, il est parfois diffi­cile d’échap­per au senti­ment de culpa­bi­li­té…

« 30 kilos 400… »

Nous repre­nons aujourd’­hui des extraits de ces témoi­gnages d’An­dré, issus de ces deux sources : son texte manus­crit et la vidéo de Marie-Line. Subjec­tifs, certes, mais d’abord sensibles, tous les souve­nirs de ces témoins de l’hor­reur doivent être écou­tés. Ceux d’An­dré ont l’in­té­rêt supplé­men­taire d’abor­der des aspects peu évoqués, comme le fait d’avoir été témoin de massacres (lire ci-contre) et le sort réservé aux Malgré-Nous SS à la toute fin de la guerre. Car il y a tout juste 70 ans, si l’Al­le­magne nazie avait capi­tulé depuis cinq mois, André et certains de ses cama­rades étaient encore loin d’être au bout de leurs peines.

« À partir du 1er octobre 1945 , témoigne ainsi André, j’ai eu le contact, le triste contact, avec les Améri­cains… Je me suis retrouvé dans un camp à Heil­bronn, dans le Bade-Wurtem­berg. C’était un camp analogue au Stru­thof. Nous étions 30 000 soldats enfer­més là-dedans, dont 800 SS. Mais alors que les prison­niers issus de la Wehr­macht étaient logés dans des baraques, ceux de la Waffen SS devaient dormir dehors : nous étions comme du bétail… Pour nous proté­ger, on avait juste une pelle pour creu­ser un trou, deux couver­tures et une bâche. Ça a duré comme ça tout le mois d’oc­tobre. Heureu­se­ment, le temps était clément et presque sans pluie… La nour­ri­ture ? C’était ce qu’on donne aux cochons, on ne peut pas dire autre­ment ! Deux ou trois cuillères d’un mélange de bette­raves, de pommes de terre crues, de pain… Juste assez pour faire reve­nir la souf­france de la faim. Les Améri­cains voulaient punir les SS ! Pour eux, c’étaient les plus grands des meur­triers. Ils n’ima­gi­naient pas qu’il pouvait y avoir dans le lot des incor­po­rés de force alsa­ciens et lorrains, là contre leur gré… »

À comp­ter du 1er novembre 1945, André s’est retrouvé dans un autre camp, à Darm­stadt, dans des condi­tions plus décentes : « On dormait dans des tentes de 16 hommes. La Croix-Rouge est passée à la mi-novembre pour nous faire remplir des formu­laires, afin de préve­nir nos familles. Mais, quand il s’agis­sait des SS, les Améri­cains ont retardé l’en­voi de ces cour­riers… Fina­le­ment, on a pu être libé­rés en février grâce à une délé­ga­tion mili­taire française, qui a expliqué notre cas aux Améri­cains. »

Ce n’est donc qu’en février 1946, soit neuf mois après la victoire alliée du 8 mai 1945, qu’An­dré a pu rentrer en Alsace. « Au Wacken, à Stras­bourg, on nous a donné des vête­ments civils et on a été exami­nés par des docteurs. J’ai été pesé trois fois, et, je ne le croyais pas, mais ça a été confirmé trois fois : je pesais 30 kilos et 400 grammes. J’avais 19 ans et demi… Je suis revenu dans mon village le 3 février, un dimanche, le jour de la fête patro­nale, la Saint-Blaise ! Personne ne savait que j’étais vivant et je suis appa­ru… Pendant long­temps, je n’ai pas pu manger norma­le­ment : je devais manger très peu, sinon j’au­rais pu mourir… »

« Mourir une fois, ou survivre tous les jours »

A-t-il alors raconté faci­le­ment ce qu’il venait de vivre ? « J’ai dit des choses avec le temps… Mais il est impos­sible de comprendre à quel point c’était horrible quand on ne l’a pas vécu corps et âme ! Avoir vu tous ces morts, être toujours dans l’an­goisse du jour d’après, toujours entre la vie et la mort… Dans la guerre, on sait à l’avance qu’on va vers le malheur ! Des fois, on ne réali­sait qu’au matin qu’on avait dormi sur des cadavres, telle­ment on était usés… Il n’y a que deux choses pendant la guerre : mourir une fois, ou survivre tous les jours. »

Nous sommes allés saluer André, à Mues­pach, avant de publier son témoi­gnage. Il n’a rien ajouté à ce qu’il avait déjà dit et écrit, mais il a eu la luci­dité de lancer ce dernier message : « J’es­père que ça n’ar­ri­vera plus ! »

Source : http://www.lalsace.fr/haut-rhin/2015/10/13/parque-comme-du-betail-par-les-ameri­cains

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