A partir de 1942, des Français ont été enrôlés de force dans les forces armées de l’Allemagne nationale-socialiste. Ce sont des victimes d’un crime contre l’humanité qui a été commis par le IIIe Reich et que la Bundesrepublik refuse aujourd’hui de reconnaître. Ce qui a obligé Renée Baudot à entamer un procès en Allemagne pour obtenir justice.
Que pensez-vous de la polémique du Mur des Noms ?
Je la qualifierai d’un seul mot : inconvenante. Il est temps d’y mettre un point final. Pour ce faire, je citerais le témoignage du Mosellan Albert Hoffstetter, ancien de la France Libre, colonel de réserve, titulaire de nombreuses décorations dont les états de services ne sont pas minces. Un grand Monsieur.
« Seuls les Alsaciens et les Lorrains anciens de la France Libre, qui étaient placés dans les mêmes conditions que les « Malgré-Nous », c’est-à-dire qui vivaient dans les deux provinces annexées au moment de leur évasion, ont le droit moral de porter un jugement (…). On imagine la terrible épreuve morale et le drame de conscience auxquels furent soumis ces jeunes. On ne leur laissait plus que le choix entre deux attitudes : risquer leur jeune vie pour un régime qu’ils détestaient et sous un uniforme qu’ils abhorraient ou mettre en danger la liberté et la vie de leur famille. Leur honneur fut de choisir la première solution que leur dictait la piété familiale. Que ceux qui ne se sont jamais trouvé confrontés à un dilemme aussi dramatique leur jettent la première pierre, s’ils en ont le courage » (J. Burg, Les Malgré-Nous et autres oubliés, 1991, p.487–488).
Où en êtes-vous dans votre procédure pour faire reconnaître par l’Allemagne l’incorporation de force comme crime contre l’humanité ?
Je viens de recevoir une nouvelle lettre de l’Auswärtiges Amt (Ministère des Affaires Etrangères allemand). Avant de la commenter, faisons un peu d’histoire : l’Allemagne est responsable de la Seconde Guerre mondiale qui a entrainé plus de 50 millions de morts. C’est la guerre la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité. Le 8 mai 1945, le maréchal Keitel a signé la capitulation sans conditions. En sa qualité de chef des armées du IIIe Reich, il a été condamné à mort par le Tribunal de Nuremberg et exécuté pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Après la guerre, Konrad Adenauer, antinazi assoiffé de pouvoir, s’allia aux nazis pour reconstruire l’Allemagne. Il fit de l’amnésie du IIIe Reich (« der Verbrecherstaat » selon les termes d’Eugen Kogon) l’axiome de la reconstruction de la République Fédérale d’Allemagne.
Pendant le IIIe Reich, les Allemands avaient chanté « Lili Marlen », Konrad Adenauer devint leur chef de chœur et leur fit chanter « Non, je ne regrette rien (…) balayé, oublié, je me fous du passé (…) ! Balayé pour toujours, je repars à zéro (…). Aujourd’hui, ça commence avec Toi [Konrad Adenauer] ». Il a voulu construire une Allemagne démocratique avec les anciens nazis. Peut-être voulait-il démontrer que les nazis étaient des antinazis qui l’ignoraient ? Le chancelier Adenauer a « ripoliné » la façade de l’Allemagne nazie en oubliant de faire le ménage à l’intérieur. L’Allemagne n’a jamais été dénazifiée, comme l’explique l’ouvrage La seconde histoire du nazisme du professeur Alfred Wahl. Je ne citerai qu’un exemple, celui du docteur Hans Globke, secrétaire d’Etat à la chancellerie de Konrad Adenauer. Il est l’auteur du « décret sur la nationalité en Alsace, Moselle et Luxembourg du 23 août 1942 servant de base à l’instauration du service militaire obligatoire » (F. Stroh, M. Quadflieg (dir.), L’incorporation de force dans les territoires annexés par le IIIe Reich, 2016 ; p.197).
La récente lettre que nous avons reçue du Ministère des Affaires Etrangères allemand est dans la ligne de la précédente lettre : l’Allemagne reconnaît que des citoyens français ont été incorporés de force dans la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale, mais elle réfute tous les arguments juridiques énoncés dans le mémoire présenté par mon avocat allemand – également professeur de Droit à l’Université – qui a bénéficié de l’expertise du professeur Jean-Laurent Vonau de l’Université de Strasbourg. Pour l’Allemagne, il n’y a eu ni crime de guerre, pourtant reconnu par le Tribunal de Nuremberg, ni crime contre l’humanité.
En ce qui concerne la lettre du chancelier Willy Brandt de 1972, dans laquelle le prix Nobel de la Paix reconnaît que l’incorporation de force était contraire au droit des gens (« Rechtswidrig »), l’Auswärtiges Amt, dirigé par le ministre Sigmar Gabriel, membre du SPD (Parti social-démocrate) comme Willy Brandt, pense que cette lettre ne prouve pas que l’incorporation de force de citoyens français dans la Wehrmacht et la Waffen-SS soit contraire à la Convention de Genève et au Statut de Rome. On reste pantois devant tant de mauvaise foi. Ce courrier date du 29 mars 2017, il aurait pu être écrit en 1943…!
Enfin, cette lettre nous apprend que les gouvernants allemands auraient regretté l’incorporation de force à plusieurs reprises. A ma connaissance, cela n’a eu lieu ni à Metz, ni à Strasbourg. En revanche, je sais que le président Joachim Gauck a déclaré à Oradour-sur-Glane, le 4 septembre 2013, que l’incorporation de force était « une affaire franco-française ». M. Gauck oubliait que les décrets sur l’incorporation de force ne portaient ni la signature du général De Gaulle, ni celle du maréchal Pétain.
Cette lettre est inacceptable ! Après avoir assassiné 40000 de nos concitoyens, les Allemands assassinent leur mémoire : l’incorporation de force n’était pas la version « militaire » du programme Erasmus !
Après la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas eu de traité de paix entre nos deux pays parce que l’Allemagne était alors divisée. En 1990, lors de la réunification, nos gouvernants auraient dû exiger la signature d’un traité de paix pour régler tous les problèmes en suspens et plus particulièrement l’incorporation de force de citoyens français et l’euthanasie de malades mentaux français, deux crimes contre l’humanité commis par le IIIe Reich et non reconnus par l’Allemagne. Je suis d’autant plus étonnée que le président Mitterrand était le seul président des IVe et Ve Républiques à avoir vécu quelques semaines en Moselle annexée lorsqu’il s’est évadé d’Allemagne. Il était le seul à avoir une réelle connaissance de la dictature nazie subie par nos parents. Pourquoi notre nouveau gouvernement actuel ne réfléchirait-il pas à la signature d’un traité de paix avec l’Allemagne ? Il n’existe pas de prescription dans ce domaine.
Que souhaitez-vous ?
Je souhaite que le gouvernement allemand s’approprie les paroles du chancelier Willy Brandt prononcées le 7 décembre 1970 à l’intention du peuple allemand dans une allocution radiodiffusée depuis Varsovie où il s’était rendu pour demander pardon au peuple polonais : « Nous sommes adultes (…), nous devons avoir le courage de regarder notre passé en face ». Je souhaite à l’Allemagne un chancelier de la dimension de Willy Brandt.
Actuellement, l’Allemagne vit dans l’amnésie de son passé. Il lui faut réviser son histoire, s’en souvenir et non la réécrire. Cette histoire ne commence pas le 9 mai 1945 ! Tant que les chanceliers allemands n’assumeront pas leur histoire, l’Europe ne pourra pas progresser. Comme le relate la revue Frieden (2/2014), éditée par le Volksbund, ni la chancelière A. Merkel, ni le chancelier G. Schroeder, invités aux cérémonies du Débarquement du 6 juin 1944 en Normandie, ne se sont rendus au cimetière militaire de La Cambe où reposent 24000 soldats de l’armée allemande – et parmi eux quelques incorporés de force – pour s’incliner devant leurs morts sous prétexte de la présence de soldats de la Waffen-SS. Cela a logiquement suscité des protestations de la part de familles allemandes dont les fils avaient été versés d’office dans la Waffen-SS.
Berthold Brecht a écrit : « Malheur au pays qui a besoin de héros ». Je lui réponds : « Honte au pays qui n’honore pas ses soldats morts pour la patrie ». Tous les soldats tombés pour leur patrie méritent le respect.
Pour conclure, je rappelle que je mène ce combat pour l’Honneur, je me bats pour l’euro symbolique. Les Namibiens ont attendu 112 ans que l’Allemagne reconnaisse leur génocide, j’espère que nous n’attendrons pas aussi longtemps.
Dans l’immédiat, pensons à préparer la commémoration du 75e anniversaire des décrets sur l’incorporation de force et à honorer tous les incorporé(e)s de force encore vivant(e)s.
Propos recueillis par Nicolas Mengus
Mon père ; RINGWALD Marcel né le 10 juin 1921 en Moselle et habite actuellement
30 Grand’ Rue 57930 MITTERSHEIM a été incorporé de force par les allemands pendant la 2ème guerre
mondiale pour aller combattre avec eux en Russie. Il est donc Malgré Nous et aimerait connaitre ses droits
ainsi que l’adresse de l’ organisme qui gère les dossiers de ces incorporés de force dans l’armée
allemande.Peut être a t-il droit à une rémunération ? Merci pour votre réponse C Ringwald
Bonjour,
Pour ces questions, voyez avec l’ADEIF du Bas-Rhin, 12 rue Kuhn à Strasbourg. Ils ont des permanences le mercredi après-midi ou avec l’ONAC.
N. Mengus