Votre communiqué diffusé par l’antenne nationale de France 3 n’est PAS une réponse à notre lettre ouverte adressée à Monsieur le Ministre J.-Y. Le Drian (voir http://www.malgre-nous.eu/spip.php?article3507), mais une adresse collective probablement destinée à la presse (voir http://www.malgre-nous.eu/spip.php?article3525).
Elle s’ouvre sur le succès de la soirée du 2 mars dernier consacrée à l’Histoire. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’intérêt que portent les téléspectateurs à notre passé commun et précisons que seul le documentaire consacré à la division allemande « Das Reich » a fait l’objet de très nombreux commentaires négatifs, voire hostiles.
Nous regrettons que ce communiqué minimise les réactions en faisant allusion à quelques courriels qui auraient été adressé à France 3 Alsace. Il n’évoque pas l’afflux des commentaires indignés adressés aux responsables et médias locaux et n’évoque pas non plus les cent-vingt-neuf signataires de la lettre ouverte au nombre desquels on compte un très grand nombre d’historiens.
Par ailleurs, il élude le fond du reproche qui a été fait et se dédouane de toute forme d’insulte à la Mémoire en expliquant que la question de l’incorporation de force est résumée par cette phrase: « C’était une manière comme une autre de prétendre que j’étais volontaire, alors que je n’avais rien signé, pas le moindre engagement ».
Où parle-t-on d’incorporation de force ?
Comment France 3 peut-il passer outre ces termes utilisés deux fois dans le documentaire : le gros des troupes était constitué d’Alsaciens. Seul le chiffre de 6000 Alsaciens est considéré comme une erreur.
Il était absolument nécessaire d’expliquer la présence de moins de 800 Alsaciens dans la 2e division blindée « Das Reich ». En quelques phrases, il était possible de rappeler le contexte de l’Annexion de provinces françaises au Reich national-socialiste et celui de l’incorporation de force, un authentique crime de guerre.
Dans sa structure, ce documentaire s’ancre sur deux « personnages » (terme utilisé par l’auteur) : une résistante et un Waffen-SS. Ce dernier est incarné par un Alsacien, Elimar Schneider, personnage ambigu présenté comme le principal témoin de l’histoire de la « Das Reich ».
– Un incorporé de force alsacien principal témoin de l’histoire de la « Das Reich » ? Pourquoi ne pas avoir utilisé le témoignage d’un Waffen-SS allemand ?
France 3 se dit attachée à la rigueur.
Il nous semble qu’un documentaire historique se doit de présenter les faits de la façon la plus équilibrée et objective possible.
En mettant en place « des personnages, des rebondissements, un acmé » selon ses propres termes, Michael Prazan propose un roman historique dans lequel le téléspectateur est invité à aimer le bon et à détester le méchant, ce dernier étant le nazi incarné par un Alsacien.
S’il est possible d’admettre qu’une certaine mise en scène peut être utile pour capter l’attention, elle nous semble clairement préoccupante quand elle en arrive à conduire une thèse.
Par ailleurs, sur le plan purement historique, ce documentaire présente un grand nombre d’erreurs, de raccourcis et d’omissions qui ont été relevées par de nombreux historiens et qui portent à s’interroger sur les méthodes d’investigations utilisées :
En février 1944, ce ne sont pas 6000 Alsaciens qui ont été incorporés de force dans la « Das Reich », mais environ 800, dont une partie sera rapidement versée dans la division « Frundsberg ».
Cette surreprésentation des Alsaciens se retrouvera au procès d’Oradour en 1953 : 13 incorporés de force, 1 volontaire et seulement 7 Allemands.
Elimar Schneider, même si c’est un authentique Malgré-Nous, n’est pas représentatif de l’ensemble des incorporés de force. D’autres témoignages d’anciens de la « Das Reich » existent.
Seule une partie de cette division a été mise à disposition de la Gestapo et de la Milice dans le cadre de la lutte contre la Résistance française.
Le rôle d’Otto Kahn est passé sous silence. Il est pourtant le commandant de la 3e compagnie à Oradour.
Le rôle du sous-préfet Roche, qui a négocié (grâce à son excellente connaissance de la langue allemande) avec les Allemands lors des événements de Tulle, est également passé sous silence.
La « Das Reich » était subordonnée au Haut-Commandemant de la Wehrmacht.
Lammerding et consorts étaient protégés par les Alliés : en échange de leur liberté et de leur tranquillité, les officiers Waffen-SS s’étaient engagés à reprendre les armes, aux côtés des Alliés, en cas de guerre avec l’URSS.
Cette division Waffen-SS, qui a marqué l’année 1944 par son passage en France, passionne historiens et chercheurs depuis des décennies. Il suffit de se référer à l’abondante bibliographie traitant, peu ou prou, du sujet, tant en langue anglaise, qu’en allemand ou en français. Cette documentation est facilement accessible.
Le réalisateur ne saurait être tenu pour le seul responsable de ce que nous considérons comme un naufrage de la Mémoire. En effet, il est l’héritier de toute une littérature d’après-guerre qui donne au lecteur – ici au téléspectateur, 70 ans après les faits ! – une Histoire écrite par le vainqueur et non une Histoire écrite par des historiens.
Au total, 2,3 millions de téléspectateurs, auxquels s’ajouteront ceux d’Arte et les acquéreurs du futur DVD, auront appris, en dehors de toute forme de contextualisation, que des Alsaciens ont communié dans le crime au sein de la Waffen-SS. Est-ce vraiment cette image désastreuse et fausse de la Mémoire « qui doit être partagée avec la plus grande rigueur auprès du plus grand nombre » ?
Marie-Laure de Cazotte, écrivain
Nicolas Mengus, historien