Dans leurs yeux brillaient des étoiles, ces jeunes gens ont compris ce que les anciens avaient été incapables de leur expliquer. L’esprit de Tambov les habitait encore, ils venaient de fouler cette terre remplie de milliers de jeunes français d’Alsace et de Moselle, de jeunes du Luxembourg, de Belgique, de Pologne et de Tchequie. Incorporés de force par les nazis, qui n’ont pas eu la chance de retrouver le clocher de leur village. Ils ont pu prendre la mesure du génocide que notre province a subi en silence et résignation, avec la terrible tragédie de leur paisible village d’Oradour en toile de fond. Les horreurs de la guerre, lointaines mais toujours embusquées là où on ne les attend pas.
Un groupe de jeunes de 18 à 20 ans sous le stress de leurs émotions, avait du mal à accepter la séparation, les uns repartaient pour Metz, les autres pour Oradour-sur-Glane, les autres encore avaient déjà été récupérés par leurs parents. Ils ont eu du mal à accepter de se séparer tellement l’émotion était vive, l’aventure qu’ils venaient de vivre n’est pas anodine. Comme les Malgré-Nous survivants il y a 70 ans ils se sont retrouvés sur le parvis de la gare de Strasbourg, ils avaient pris le chemin du retour incapables de comprendre qu’il fallait à présent se séparer et reprendre la vie normale. Comme les survivants ils ont pris des chemins différents, après avoir vécu une aventure qui longtemps leur collerait à la peau, mais hier il y avait aussi le chemin d’Oradour. Par-dessus les haines, pardessus les incompréhensions, pardessus les non-dits ces jeunes gens avec des étoiles dans les yeux, ont pu se poser les vraies questions. Ils sont descendants des victimes d’Oradour, ils sont descendants des victimes de l’incorporation de force sous contrainte des Alsaciens et Mosellans.
Un miracle qui fut possible grâce à la ténacité des membres de l’Association Pèlerinage Tambov, Madame Marlène Dietrich et son équipe peut être fière de cette rencontre extraordinaire entre nos deux provinces. Partir à Tambov pour entretenir les fosses communes des victimes d’un drame méconnu, volontairement occulté par une frange des dirigeants français, trop occupés à cacher les turpitudes d’une époque à présent lointaine mais si proche dans nos cœurs. Nous sommes à présent avec les quelques rares survivants de ce drame, les héritiers directs qui avons vécu l’absence de nos pères dans notre chair. Les uns enterrés à la hâte à Tambov, les autres dans l’un des multiples camps de prisonniers de l’immense Russie. Nous devons inlassablement expliquer, enseigner et faire comprendre que nos pères n’étaient ni des nazis ni des fanatiques, mais seulement de pauvres garçons qui avaient le choix de baisser la tête ou d’accepter que leurs parents soient déportés.
Gérard MICHEL, président de l’association des Orphelins des Malgré-Nous d’Alsace Moselle