« Retour sur le parcours de Charles Hertrich » – Article paru dans les DNA-Erstein trans­mis par Yves Scheeg

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Le 18 février 1943, neuf jeunes hommes d’Er­stein ont été incor­po­rés de force dans l’ar­mée alle­mande. Charles Hertrich, menui­sier à Erstein, était l’un de ces Malgré-Nous. Dans un témoi­gnage poignant, son fils Fernand revient sur cette période sombre de l’his­toire alsa­cienne.

 

Les conflits, les guerres, les régimes poli­tiques tota­li­taires engendrent des situa­tions indi­vi­duelles et fami­liales drama­tiques et trau­ma­ti­santes qui pour­raient sembler d’une autre époque. Pour­tant, 76 ans après la publi­ca­tion du décret instau­rant l’in­cor­po­ra­tion de force des Alsa­ciens dans la Wehr­macht, l’ar­mée alle­mande du IIIe Reich, cette part de l’his­toire reste mécon­nue dans le reste de la France.

Tambov : « C’est la faim, le froid, l’injus­tice. Et puis le silence. »

Les Malgré-Nous doivent encore et toujours se justi­fier sur leur incor­po­ra­tion dans l’ar­mée alle­mande. Le récit de Fernand Hertrich ne concerne que le vécu de son père mais est édifiant à cet égard. « Beau­coup de jeunes hommes, explique-t-il, avaient déjà effec­tué leur service mili­taire sous l’uni­forme français, leur culture et leur appar­te­nance étaient françaises. L’Al­sace a certes été annexée par l’Al­le­magne, mais eux n’étaient pas Alle­mands. » Le jour de leur convo­ca­tion, le 18 février 1943, neuf Erstei­nois chan­taient la Marseillaise dans les rues d’Er­stein en guise de protes­ta­tion. Arrê­tés immé­dia­te­ment par la « Feld­gen­dar­me­rie », ils ont été inter­ro­gés. Le père de Fernand Hertrich a été interné au camp du Stru­thof avant d’être envoyé sur le front russe en Ukraine, le 30 mars 1943.

Là, les combats font rage et, sous la pluie d’obus lancés par les orgues de Staline, Charles Hertrich, mouchoir blanc accro­ché au fusil, s’est jeté dans les rangs de l’en­nemi. Son uniforme alle­mand ne plai­dant pas en sa faveur malgré ses nombreuses déné­ga­tions « Je suis Français, fran­zuski », disait-il. Il a rejoint alors la longue ligne de prison­niers, accom­pa­gné de son ami Eugène Schnei­der, égale­ment d’Er­stein.

A commencé alors la longue marche de Charles Hertrich vers le camp de Tambov, envi­ron 450 km à travers champs et forêts, mal vêtu, des chif­fons autour des pieds car on lui avait volé ses bottes. Son compa­triote Eugène est tombé malade en chemin. Les Russes l’ont évacué et personne n’a jamais su ce qu’il était devenu. C’est très affai­bli, qu’ils sont arri­vés enfin au camp de Tambov où furent inter­nés près de 15 000 Malgré-Nous alsa­ciens et mosel­lans.

Quatre uniformes diffé­rents

Dans son ouvrage Le Camp des Malgré-Nous alsa­ciens et mosel­lans prison­niers des Russes , l’au­teur, Gabrielle Claerr Stamm décrit Tambov en ces termes : « C’est la faim, le froid, l’injus­tice. Et puis le silence. » C’est ainsi que peuvent se résu­mer en quelque sorte tous les témoi­gnages des resca­pés. Un silence qui perdure puisque beau­coup de ceux qui en sont reve­nus n’osent pas en parler de peur d’être jugés.

À Tambov, Charles Hertrich est devenu cuve­lier et on lui servait pour ce travail jour­nel­le­ment 10 litres de soupe. Puis, après le pacte de non-agres­sion signé par Hitler et Staline qui consis­tait à libé­rer des prison­niers Alle­mands contre des prison­niers russes, le 7 juillet 1944, l’Er­stei­nois a eu la chance d’être parmi les 1 500 libé­rés du camp.

On le revêt alors de l’uni­forme russe et, dans des wagons à bestiaux où l’on ne pouvait pas tenir debout, il a été trans­porté jusqu’aux envi­rons de Téhé­ran pour être remis le 14 juillet 1944 aux auto­ri­tés anglaises. Au sortir du wagon, les 1 500 Malgré-Nous ont alors entonné La Marseillaise. Mais pour eux la guerre n’était pas encore termi­née, on les a trans­por­tés vêtu d’un uniforme anglais à Alger en traver­sant l’Iran, la Pales­tine, le Liban. Ils ont traversé la Médi­ter­ra­née via Tripoli avant de rejoindre l’Al­gé­rie. On leur a alors demandé de se porter volon­taire soit pour l’ar­mée de Koenig soit pour celle de De Gaulle afin de libé­rer la Provence. « Là, mon père a eu une permis­sion de huit jours. Il a pu reve­nir à Erstein avec l’ordre de rejoindre l’ar­mée d’oc­cu­pa­tion en Alle­magne. Il a refusé, il avait assez donné à cette guerre », confie son fils Fernand.

L’in­cor­po­ra­tion forcée, le front, le bruit des canons, le froid, la faim, les camps, les marches forcées, les trans­ports dans des wagons à bestiaux et le port de quatre uniformes diffé­rents… Toute une tranche de vie qui paraît invrai­sem­blable mais dont Fernand Hertrich a tenu qu’on s’en souvienne afin de préser­ver l’ave­nir.

Préci­sion

Charles Hertrich, incor­poré de force, n’a pas été interné au camp du Stru­thof comme indiqué dans nos colonnes ce mercredi mais au camp de Schir­meck. Incor­poré de force dans l’ar­mée du IIIe Reich, il s’est évadé en gagnant l’ar­mée russe. Là, il a été fait prison­nier et a été interné au camp de Tambov. Il y occu­pait la fonc­tion de cuve­lier. À chaque fois qu’il finis­sait une cuve, il rece­vait 10 litres de soupe. Le 7 juillet 1944, sur inter­ven­tion du géné­ral de Gaulle auprès de Staline, 1 500 Alsa­ciens-Mosel­lans de Tambov ont été libé­rés, Charles Hertrich en faisait partie. Il a été rapa­trié d’Al­gé­rie en France, à Tours, dans un camp de rassem­ble­ment où il a été affecté à un nouveau régi­ment d’oc­cu­pa­tion français qui devait partir en Alle­magne. Il a refusé de s’y rendre arguant « qu’il avait assez donné à cette guerre ».
Copie du rapport de Feld­gen­dar­me­rie concer­nant Charles Hertrich trans­mis par Claude Herold :

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