Stèle de morts français à Kara­ganda-Spassk

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L’ori­gine de la décou­verte du site rela­tée par Bertrand Fessard de Foucault, alors ambas­sa­deur de France au Kaza­khs­tan

« La « décou­verte » s’est faite par un ancien combat­tant kazkhs­ta­nais qui habi­tait à Almaty. Il avait servi dans la Résis­tance et avait indiqué à notre atta­ché mili­taire que certains de ses cama­rades alsa­ciens avaient fini à Spassk. Il était géologue expert en recherche pétro­lière et mon colla­bo­ra­teur l’avait rencon­tré lors du 14 juillet 1993 à l’Am­bas­sade. Il avait été ensuite invité chez lui et lui avait raconté ce qu’il avait fait pendant la guerre ».

En 1993, une liste de 18 Français est trans­mise à l’Am­bas­sade (voir en pièce jointe). Mais il se pour­rait que ce nos compa­triotes aient été bien plus nombreux. Des recherches pour­raient être entre­prises via l’am­bas­sade de France à Astana.
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La stèle de Kara­ganda (http://www.gulag.memo­rial.de/lager.php?lag=191)

Extrait du jour­nal person­nel de l’am­bas­sa­deur de France, Bertrand Fessard de Foucault

« De Kara­ganda et Spassk à Almaty, dimanche 8 Mai 1994

Moment de grande beauté et d’in­tense émotion. Au virage en montée de la route allant de Kara­ganda à Almaty, kilo­mètre 30, sur la gauche, une plaine qui s’élève un peu et que rien ne distingue vu de la steppe, sinon qu’elle fait vis-à-vis d’une petite garni­son entre­te­nant des véhi­clules blin­dés légers. Là sont enter­rés, Dieu sait comment… depuis 1945–1950 des prison­niers de guerre qu’on a exté­nué de travail et de mauvais trai­te­ments.

La liste depuis décembre nous dit – pour les Français – qu’il s’agit de « malgré nous ». Je suis là cinquante ans après leur arri­vée de force. Le colo­nel B. m’a accom­pa­gné, réti­cent mais disci­pliné, sans uniforme : il finance avec moi. Et sans lui, je n’au­rais jamais péné­tré pour cela le milieu mili­taire. Il assure. Sa femme nous accom­pagne. Avant-hier soir encore, nous n’étions pas sûrs d’avoir les auto­ri­tés mili­taires et la musique. Dans la plaine, ils sont là, quelques para­chu­tistes à uniforme sable foncé à facies japo­nais, mitraillettes à la hanche, la musique plus bava­roise. Nos couleurs enserrent une stèle de magni­fique propor­tion, bloc de granit à la silhouette de menhir, terre battue de vant. Je suis ému aux larmes. Comme si souvent, je sais, et main­te­nant éprouve que la volonté d’un homme peut écrire l’His­toire.

Depuis avant-hier soir, mon instance a triom­phé de tout et fait réflé­chir : les toasts et conver­sa­tions – presque toujours trop louan­geurs à mon endroit – montrent qu’on accepte de réflé­chir aux souf­frances, aux désastres humains de la guerre et pas seule­ment à la « victoire ». Même « mes » prêtres sont là : l’abbé Dumou­lin, pas 35 ans, qui de Monaco dont il est suffra­gant vient tous les ans un mois ou deux à Kara­ganda et qui va diri­ger le sémi­naire du diocèse d’Asie centrale, et le vicaire géné­ral alle­mand de « Berlin » (quar­tier de Kara­ganda, la capi­tale écono­mique du pays), qui, il y a quinze jours, avaient initié la danse pour qu’on ne nous y allions pas. Ce sont des SS nous susur­rait-on… Peut-être, et alors ? Ce que je condamne ici, c’est le tota­li­ta­risme : celui des nazis ayant conduit à ces aber­ra­tions, à ces enrô­le­ments, à ces lois aveugles ou à ces embri­ga­de­ments, celui de Staline, sinon du commu­nisme dont certai­ne­ment les camps furent encore plus abomi­nables que ceux de l’Al­le­magne hitlé­rienne, si c’est possible.
J’en ai écrit le commu­niqué de presse, je m’en suis expliqué mardi après-midi avec un de mes jour­na­listes affi­dés celui d’ASIA, croyant à des protes­ta­tions comme à Sara­tov ou à Volgo­grad, et depuis avant-hier systé­ma­tique­ment j’ai déve­loppé le pourquoi de mon geste.

Ce matin, tout est parfait ; le temps est avec nous, je suis ému et – je crois, confir­ma­tion video – beau. Je suis la France, je parle lente­ment et très fort, il n’y a que le vent pour s’op­po­ser (…). Le drapeau tombe comme j’avance à la stèle, c’est très beau. Dumou­lin lit l’épitre aux Corin­thiens, nous réci­tons le Notre-Père, le silence, les hymnes, les mitrailletes. Plus tard, nous parcou­rons la plaine, il y a des tombes encore visibles, sable et cailloux perçant l’herbe, senteurs de la steppe, fils de fer barbebé, assem­blages usés de bois qui ne font pas une croix, mais quelque chose de plus proche de la pancarte, quoique sans nom ni matri­cule, un petit monu­ment lithua­nien de 1957, les Finnois auraient voulu venir bien aupa­ra­vant, les Japo­nais ont fait quelque chose plus récem­ment, il y aura les Italiens.

Nous marchons, disper­sés. Je ne pense plus à rien, j’avais les larmes aux yeux. J’ai fait ce que je voulais, et je le voulais parce que j’étais forte­ment inspiré. Des Français morts ici, tota­le­ment oubliés, si loin, si loin, et main­te­nant nous sommes là… ».

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Vue d’en­semble du site et des stèles.

 Pour en savoir plus sur le camp de Spassk : www.spassk7099.de

 Merci à Marie Bras­sart-Goerg et Claude Herold pour les infor­ma­tions complé­men­taires.

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