TROIS QUESTIONS A JEAN THUET, PRESIDENT DE LA FEDERATION DES ANCIENS DE TAMBOW

Commentaire (0) Documents, Les incorporés de force

 

Vous êtes un de ces jeunes Français d’Al­sace à avoir été enrôlé de force dans l’Ar­mée alle­mande. Pouvez-vous nous rappe­ler votre vécu de Malgré-Nous ?

 

J’ai effec­tué le RAD à Quaken­brück, puis, quinze jours après mon retour, j’ai été enrôlé dans la Wehr­macht. A Bara­no­vice, en Russie, nous nous trou­vions dans un Stütz­punkt. Notre mission était de lutter contre les parti­sans et, surtout, de garder la voie ferrée qui passait non loin. Plus tard, nous avons été envoyés au front. La « quié­tude » des périodes d’ins­truc­tion était bien loin. Avec un ami mulhou­sien, nous étions réso­lus à déser­ter, mais cela n’était pas aussi simple qu’on pour­rait le croire.

C’est au cours de l’of­fen­sive alle­mande du 3 octobre 1943, desti­née à reje­ter les Russes au-delà du Dniepr, que je me suis évadé. Quand les combats ont cessé à 5 heures du matin, je me suis retrouvé du côté russe. En fin de jour­née, après une marche de trois heures, j’ai été enfermé dans un premier camp de prison­niers.

Après avoir refusé de retour­ner dans les lignes alle­mandes pour faire l’es­pion, j’ai été trans­féré dans un autre camp. Là, j’ai été hospi­ta­lisé à cause d’une jaunisse. Lorsque j’ai appris que les Alsa­ciens allaient être envoyés en Algé­rie, je me suis signalé comme guéri. C’est ainsi qu’a­près un voyage de 12 jours, je me suis retrouvé au camp de Tambow. Je suis celui qui a la plus longue expé­rience visuelle de Tambow, du début du camp jusqu’en 1945. Je suis aussi un des rares malades à être revenu de l’hô­pi­tal de Kirsa­nov.

C’est en 1945 que je suis rentré. Après avoir été démo­bi­lisé, j’ai séjourné en maison de repos jusqu’au début de l’an­née 1946. C’est à cette époque que j’ai dessiné de mémoire les scènes de la vie au camp de Tambow.

 

Vous prési­dez la Fédé­ra­tion des Anciens de Tambow (FAT) depuis de longues années. Quels sont les objec­tifs de la Fédé­ra­tion et esti­mez-vous qu’ils ont été atteints ?

 

C’est au mois de mai 1965 que j’ai créé la Fédé­ra­tion des Anciens de Tambow. Notre objec­tif, dans lequel de nombreux anciens prison­niers se sont recon­nus et ont adhéré (nous avions rassem­blé 6000 personnes à Mulhouse en 1967), ne se limi­tait pas à l’en­tre­tien du souve­nir du camp. Nous avons œuvré, d’une part, pour que les souf­frances que les Alsa­ciens et les Mosel­lans y ont endu­rées soient connues et recon­nues ; le montage d’une expo­si­tion itiné­rante et la créa­tion de monu­ments en Russie, en Alsace et en Lorraine y ont large­ment contri­bué. D’autre part, la Fédé­ra­tion a veillé, grâce à la publi­ca­tion d’ou­vrages et d’un bulle­tin d’in­for­ma­tion, à ce que l’his­toire du camp de Tambow ne soit ni falsi­fiée, ni poli­ti­sée, en parti­cu­lier avant la peres­troïka.

Les personnes inté­res­sées trou­ve­ront des infor­ma­tions supplé­men­taires sur le site Inter­net de la Fédé­ra­tion : www.tambow.com.

Qu’en est-il du camp de Tambow lui-même ? Comment voyez-vous l’ave­nir du site ? Pensez-vous que des fouilles archéo­lo­giques permet­traient de mettre au jour des vestiges de l’an­cien camp et de les mettre en valeur ?

 

Des fouilles archéo­lo­giques ne donne­raient rien. Tout était construit avec des poutres en bois avec rien en-dessous. Et nous n’avions rien à cacher, aucun objet. Quant à l’ave­nir du site, je pense que ce ne sont pas les jeunes qui le mettront en valeur quand les resca­pés du camp seront morts.

 

Propos recueillis par Nico­las Mengus en 2004

 

 

 

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