Fille de Strasbourgeois,
épouse d’un
Américain, Mady
Fehlmann-Blackburn a
eu une riche idée : recueillir
les témoignages
de ses parents et de leurs
amis pour proposer un
regard croisé de sept jeunes Alsaciens et Alsaciennes
confrontés aux
tourments de la Seconde
Guerre mondiale.
Alfred Fehlmann, incorporé de force, tente de
s’en sortir au mieux, ce qui lui a parfois valu
d’être traité de fayot, voire de collabo par ses
camarades alsaciens. Sur le front russe, son but
est d’échapper, coûte que coûte, à la captivité
en URSS.
Germaine Reichardt est, en 1941, internée au
camp de Schirmeck pour une chanson antinazie.
De retour chez elle, elle est terrorisée : « Une
peur terrible, qui ne me lâchait jamais… Je ne
voulais pas parler de Schirmeck, et la terreur
d’être arrêtée à nouveau me hantait en permanence.
La technique des nazis avait marché:
pour le moment, ils m’avaient bien dressée…
». Par la suite, elle va animer, avec René
Chevalier et d’autres amis, le journal Heimatgruss
à destination des incorporés de force.
Sa sœur, Madeleine est veuve de guerre et maman
à 19 ans. Il lui a fallu subvenir à ses besoins et à
ceux de son enfant.
Leur propre père, né en 1898 et qui avait donc fait son service militaire
dans l’Armée allemande, s’est engagé en 1939
dans la Légion Etrangère, car il était toujours officiellement
de nationalité allemande ! Âgé de
44 ans, il est incorporé de force dans la Kriegsmarine à Toulon. Déserteur, il est dénoncé, arrêté
et fusillé en août 1944.
Félix Wachtel s’est aussi investi dans la publication
du Heimatgruss avant d’être enrôlé de force.
Ayant eu la faiblesse de croire à la propagande
l’incitant à rejoindre les alliés soviétiques, il
échappe de justesse à la mort dans le camp de
Tambow. Son récit a tellement ébranlé son
grand-père, pourtant communiste convaincu,
que celui-ci est devenu un anti-communiste fervent
! De retour en Alsace, Félix a eu la surprise
de découvrir que sa désertion et sa condamnation
à mort par les Allemands « pour indignité
militaire » lui valait d’avoir un casier judiciaire…
en France !
Marguerite Fehlmann, elle, poursuit ses études
pour devenir professeur d’éducation physique.
Pour avoir le droit d’enseigner, elle doit prouver
qu’elle n’a pas d’ancêtres juifs. Ayant parmi ses
élèves des enfants de responsables du parti, elle
doit composer avec les exigences des nazis.
Jean-Pierre Apprill, incorporé de force, a connu
les terribles conditions de détention dans les
camps de prisonniers américains : « Le régime
auquel nous étions soumis ressemblait davantage
à celui d’un camp d’extermination
qu’à celui d’un camp de prisonniers de guerre
».
Raymond Hutt, lui, est envoyé sur le front de
l’Est, face aux partisans de Tito « qui ne faisaient
pas de prisonniers: ils achevaient tous
les blessés, à coups de crosse ou de pierre ».
Même en tant qu’incorporé de force, il se refuse
à déserter et à rejoindre ces derniers : d’autres
Alsaciens ont disparu en tentant l’aventure et
certains se trouvent peut-être dans les charniers
d’Agram, au nord de Zagreb, où plus de 10000
civils et prisonniers de guerre ont été assassinés
en juin 1945 ! Mais Raymond a constaté que
cette cruauté n’était pas l’apanage des troupes
de Tito : les Ustachis – volontaires croates alliés
aux Allemands – ont également eu un comportement
barbare vis-à-vis de leurs compatriotes
serbes. Il en convient volontiers : si il a pu survivre,
c’est grâce à la camaraderie qui soudait
les hommes de son unité.
En somme, ce sont des récits d’amitié, d’amour,
de tristesse et de mort qui sont rassemblés
dans ce volume. Un pan d’histoire(s) du XXe
siècle dont on ne saurait que recommander la
lecture.
Nicolas Mengus