Ce récit est le résumé de ce que nous a confié Monsieur Maurice Orvain, âgé de 6 ans en 1944. Maurice Orvain fut élu pendant 32 ans et Maire de Montigny. Il a été également élu secrétaire départemental de l’association des anciens maires et Vice-président départemental : ACPG – CATM – TOE.
Au printemps 1945, deux Alsaciens, Incorporés de force, en uniforme, arrivent en mairie de la commune de Montigny (Manche). Ils sont reçus par Monsieur Albert Luce : instituteur, secrétaire de mairie et résistant. Monsieur Victor Pigeon, le maire, comprend très bien ces deux jeunes garçons âgés de 18 ans. Il les confie à Louis Besnard, qui en toute responsabilité en assure la protection. Il prend dans sa ferme Charles Rohner.
Louis Besnard confie le second évadé : Albert Thomas à Thérèse Orvain, sœur de Madame Louis Besnard.
Thérèse Orvain vit seule dans sa ferme avec son fils Maurice, car son mari est prisonnier en Allemagne depuis le début de la guerre. Les deux fermes sont éloignées de moins de 1km. Tout allait à peu près bien jusqu’à la quinzaine qui précéda la libération.
En effet, un état-major allemand prend possession de la maison d’habitation de Thérèse Orvain. Elle est alors contrainte avec Léa: la salariée, Albert Thomas l’évadé et son fils Maurice d’aller habiter une dépendance. Albert Thomas comprenant tout ce que disaient les Allemands, ne voulut pas mettre ses sauveurs en péril. Avec des habits, que l’on pourrait dire du dimanche et ses faux papiers obtenus en mairie, il est parti pour retrouver sa famille.
Quelques mois plus tard, dans une lettre adressée à Madame Thérèse Orvain, il disait que sa famille avait été déportée en Allemagne, qu’il partait à sa recherche et qu’ensuite il reviendrait voir ses amis normands.
Hélas, plus jamais de nouvelles. Tout laisse à penser que cette déportation est une application de la « Sippenhaft » consécutive à l’évasion d’Albert.
Charles Rohner était malade, ses poumons étaient gravement atteints. Il fut hospitalisé dans les Alpes et y serait décédé en 1945.
» Les informations nous provenant et les Allemands quittant notre maison et Montigny en hâte laissaient penser à une libération prochaine. La 90ème Division américaine nous libérait le 1er août 1944″.
Peu de jours après, Madame Thérèse Orvain, déjà accablée par tout ce qu’elle avait subi, fut accusée d’avoir accueilli et protéger un soldat allemand. Les Américains se montrèrent très sévères. Faute d’interprète, les échanges n’étaient pas possibles. « Les Américains voulaient tous nous emmener et nous interner. Notre chance fut grande : un enfant de 7 ans du nom de Jacques Solé était caché dans notre famille. Il était disait-on parisien et mit à la campagne par ses parents. Nous ne savions pas qui ils étaient ». Aussitôt la région libérée, les parents vinrent retrouver leur fils. Le père parlait anglais. Il expliqua la vérité aux Américains qui s’excusèrent auprès de Madame Orvain. Des collaborateurs avaient accusé faussement Madame Thérèse Orvain afin de se disculper, eux, pour le commerce qu’ils avaient pratiqué avec les occupants. Ils furent condamnés.
Monsieur Orvain rentra de captivité mais hélas il était malade des poumons et très affaibli.
Graduellement, la vie familiale reprit mais elle était toujours envahie par les souvenirs terribles de cette sale guerre.
Les souvenirs laissés par Albert et Charles sont et resteront impérissables. La famille Orvain souhaite retrouver les familles de ces courageux incorporés de force pour faire connaître la détermination dont ils firent preuve pour rester français.
Maurice Orvain, comme beaucoup de Normands, se fait un devoir d’honorer les Alsaciens et les Mosellans pour leur patriotisme.
Jean Bézard
Charles Rohner, à gauche, et Albert Thomas à Montigny.