Le cri du cœur d’un incorporé de force, qui a eu la chance de retrouver son foyer. Pouvait-il se douter que 75 années plus tard . . . quelques charognards repus rongeraient les dépouilles blanchies de ses camarades.
UNE PERIODE SANS AUCUNE BLESSURE, SANS L’OMBRE D’UN RHUME, PARMI SES CAMARADES MORTS EN NORMANDIE.
RECIT D’UN JEUNE HOMME ALSACIEN,
ENROLE DE FORCE DANS LES WAFFEN SS EN FEVRIER 1944.
JUND René est né le 07 août 1926 à STRASBOURG-NEUDORF
Enrôlé de Force dans l’armée allemande le 08 février 1944 il avait alors 17 ans
Libéré fin juillet 1945
Son parcours débute en 1932 à l’école primaire de l’éducation nationale française, il en garde une écriture soignée et une orthographe rigoureuse, un pur produit de l’école de la république que la France avait réintroduit en Alsace Lorraine après la victoire de 1918. Comme tous les enfants des quartiers populaires le chemin de l’usine n’allait pas tarder et le voici devant la grande porte de la fabrique. Comme tant d’autres jeunes garçons des environs, il sera apprenti électromécanicien à 15 ans dans les ateliers de Graffenstaden, deux ans plus tard il remporte son CAP avec succès, le voilà armé pour la vie avec un solide bagage dans la poche.
Malheureusement depuis juillet 1940 les Allemands sont réapparus de ce côté du Rhin avec une nouvelle arrogance et le sentiment de supériorité qui les caractérise depuis la honteuse capitulation de l’armée la plus puissante d’Europe. L’administration française avait disparue, mais l’administration nazie veillait au grain. L’annexion « Illégale » de l’Alsace et de la Moselle allait bouleverser une existence paisible, finie la jeunesse insouciante. Depuis 1918 ils avaient retrouvé leur nationalité française, ils étaient à nouveau des habitants de l’hexagone et fiers de l’être. Fini les parties de pêche le long de l’Ill qui baigne de ses méandres poissonneuses le grand faubourg industrieux du Sud de Strasbourg. Illkirch-Graffenstaden et sa « Faverick », les plus belles locomotives à vapeur sortaient de ses usines, on y trouvait un travail bien rémunéré et des métiers nouveaux.
Le grand tourbillon de la guerre venait de s’amorcer et son mouvement circulaire l’entraînerait malgré lui au fond de l’abîme. Mais pour lui et ses amis ils seraient du mauvais côté du front, dans les batailles les plus redoutables pour un monde libre. Il avait à peine dix-sept ans et déjà le passage obligatoire dans le RAD le conduisit pendant trois mois dans la Ruhr. A peine sortis de l’enfance on leur inculquait l’ordre et la discipline, on les endurcissait au froid dans des baraques sans chauffage avec pour toute protection une simple couverture de laine. Ils étaient à présent les jouets du Führer et de son abominable « calife » Himmler, qui voulait en faire de parfaits petits soldats, ou de la chair à canon, comme les « Janissaires » du monde Ottoman. Le gauleiter Wagner appliquait les directives avec le zèle appuyé des compagnons de la première heure du Führer. Wagner était un des nombreux nazis fanatiques depuis la création du parti, il avait participé au putsch de 1923 à Munich.
A la suite du RAD avec son endoctrinement et ses exercices d’ordre serré la bêche sur l’épaule, une courte permission lui permit de revoir ses parents à Illkirch. L’ordre de mobilisation dans l’armée allemande ne se fit pas prier et c’est avec trois de ses amis du faubourg qu’ils se dirigèrent vers la caserne Mannstein, direction Oberhausbergen où les attendaient les convois. Des hommes en armes jalonnent le chemin au cas où l’un ou l’autre se raviserait à fausser compagnie au Führer. Plusieurs centaines de jeunes Alsaciens nés en 1926 furent entassés, début 1944 dans les trains des « déportés militaires », au mépris des plus élémentaires règles humanitaires signées en 1919 entre les nations, à la fin du 1er conflit mondial.
L’ambiance est lourde ils ne savent pas où ils vont être envoyés, certaines rumeurs circulent dans les wagons, on évoque la destination de Stettin ou Königsberg en Prusse Orientale. En réalité ils ont compris, qu’il faut suivre les ordres hurlés par quelques sous/officiers fanatiques aux uniformes impeccables, ne pas se soumettre équivaudrait à une rééducation au camp de Schirmeck-Vorbruck, ou pire la déportation de toute la famille en Silésie, avec la spoliation de tous leurs biens en prime. Qui pouvait imposer une telle barbarie à sa maman à sa petite sœur ou sa grand’ mère . . . Comme tant d’autres il s’est sacrifié pour préserver d’instinct, sa famille, d’autres l’ont fait pour protéger leur femme et leurs enfants. « Je n’avais jamais quitté Illkirch à part le RAD en Allemagne, c’était la première fois que je voyais l’autre côté des Vosges ». Le train s’ébranle ils ne savent pas où ils vont, certains évoquent la Pologne d’autres Berlin. A la lecture des panneaux situés dans les gares ils comprennent qu’ils se dirigent vers le centre de la France. Le voyage s’éternise et c’est au bout de trois jours qu’ils arrivent près de Bordeaux, au camp de Souge.
Quelle ne fut leur surprise, ils sont incorporés au milieu d’anciens de la SS, dans la redoutable Division Das Reich. Déportés dans la SS . . . d’ordinaire il fallait être volontaire pour figurer dans cette formation de fanatiques nazis, eux n’avaient rien demandé et qui plus est ils étaient encore des civils Français, protégés par les accords de La Haye. Encasernés dans un gigantesque camp, au milieu des hommes à la réputation sulfureuse, or René constate que ces derniers étaient des hommes ordinaires avec leur qualités et leurs défauts, souvent sans initiatives ils attendaient « les ordres », la guerre en avait-elle fait des robots ? Le comble de l’ironie était que les anciens Waffen SS du régiment, tous des volontaires, ne voulaient pas croire que les jeunes recrues venues d’Alsace, n’étaient pas des engagés volontaires . . .
Au camp de Souge, on leur avait enfin (après quinze jours) attribué des habits militaires, plus d’un des appelés était venu avec son seul costume, celui de communiant ou de confirmant, avec les manches et les pantalons trop courts, les boutons de la veste boudinant le torse. Des garçons ordinaires, des garçons du peuple qui ne s’étaient même pas posés la question de la légalité de leur incorporation.
Après tout ils étaient jeunes et le dépaysement était fort bien réussi, contrairement aux conditions inhumaines dans le froid, de ceux qui avaient été appelés sur le front de l’Est. René prend quelques initiatives dans la section concernant le ravitaillement en victuailles et le voilà promu responsable de la chambrée. Entre temps, ils avaient rejoint, avec leur unité, une grande caserne à Montauban. Au camp de Souge leur apprentissage du dur métier de soldat se fit par une grande opération de salubrité, en nettoyant les armes revenus du front Russe, les matériels de guerre, gisaient en vrac dans les camions souillés de boue et de sang. . . Leur unité le régiment der Führer à laquelle ils appartiendraient à présent avait été durement touchée au cours des combats à l’Est. Décimée au deux tiers de ses effectifs en hommes et en matériels, les combattants étaient à présent au repos dans la douce et insouciante France qui s’était réfugiée dans les bras du Maréchal. Ils avaient emménagé entretemps dans l’école du village de Pujols sur Ciron, les lits superposés remplaçaient les bancs des salles de classe, sombres présages.
Ainsi se passent les mois durant lesquels ils apprennent le métier, le « Drill » avec l’Unterscharfuhrer (sergent) Jochum qui est particulièrement sévère, René apprend à obéir mais aussi à se rebeller ce qui ne doit pas déplaire à son sergent, ce dernier lui offre à boire un soir dans leur « foyer », René refuse de trinquer avec son tortionnaire, (einen Schweinehund . . .) mais le sergent lui fait comprendre (le travail c’est le travail . . . mais le schnaps c’est le schnaps !). Ainsi se déroulent les mois d’instruction, René n’a qu’une obsession, il lui faut fuir de cet univers d’autant plus que les nouvelles sont très mauvaises. Son grand frère Alfred est tombé sous la mitraille le 9 avril 1944, sur le front de l’Est en pays Russe. Comme c’était la règle il avait sollicité une permission, mais elle fut finalement annulée pour cause de montée au front suite au débarquement du 6 juin en Normandie. A la fois ravi et déçu par cette terrible nouvelle, il ne pourra pas consoler ses parents dans ses bras.
Malgré les condamnations à mort pour tentatives de désertion, l’idée de fuir cet univers avec son encadrement fanatique devient récurrente. Les occasions ne manquent pas, plus d’une fois il eût pu se soustraire à la surveillance de ses supérieurs, mais qu’arriverait-il à sa famille ? Les nouvelles les plus alarmantes se répandaient entre Alsaciens « La Sippenhaft », menace suprême à l’encontre des familles et du cercle proche, paralysait toutes les tentatives d’évasion. Le journal local les Neuensten-Nachrichten de Strasbourg, signalait et publiait les désertions, les peines de mort et les mesures de rétorsion appliquées à la famille. Qu’arriverai-il à sa maman à son père et à ses grand parents s’il décidait de se cacher dans le maquis ? On spoliait même les biens jusqu’à l’outil de travail de la famille du déserteur, la terrible sanction pendait au-dessus de sa tête comme l’épée de Damoclès. Ainsi du mois de février au mois de juin tout se passa dans un calme relatif, ils étaient bien nourris, seuls les cris des supérieurs et les entrainements soutenus leur rappelaient leur condition de militaires. Leur internement était loin d’être carcéral, ils disposaient de permissions de sortie et pouvaient se promener librement certains soirs dans la bourgade. Maintes fois il eût pu déserter mais à chaque occasion il se souvenait de la menace qui pesait sur la famille restée en Alsace. Les personnes exilées en Silésie ou a Schirmeck étaient citées dans les journaux locaux et rares furent ceux qui allaient tenter l’aventure, au risque de faire payer durement aux siens, les envies de fuir l’armée du Führer.
Vint le 06 juin 1944 avec le débarquement des alliés, ce fut un bouleversement total, l’ordre de rejoindre la Normandie leur fut donné le 8 juin à Montauban. Avec la onzième compagnie forte de 120 hommes dont environ 40 Alsaciens qui eux n’avaient jamais connu la guerre, juchés sur leur SPW (Schützen Panzer Wagen) les semi chenillés équipés quelques fois de canons anti chars ou anti aériens. Quatre sections de 30 hommes avec chacune sa spécialisation, ils allaient remonter vers les troupes américaines et Anglaises, sans encombre et sans accrocs sérieux avec la résistance. Il se souvient parfaitement que leur chemin traversa le village de Saint-Junien, (de nombreuses familles alsaciennes y avaient été évacuées en 1939), une petite bourgade près d’Oradour sur Glane, qu’il ne connaissait pas encore . . .
Une seule fois le véhicule de tête s’était fait tirer dessus dans un village par des partisans, un soldat fut tué le commandant donna l’ordre au servant du canon anti-aérien de riposter. Le convoi ne s’arrêta pas et ils arrivèrent pour la plupart sains et saufs en Normandie. C’est dans ces conditions que René fit connaissance avec le pays Normand et la mer (qu’il verra quelques semaines plus tard, pour la première fois lors de sa salutaire traversée vers l’Angleterre) !
Leur cantonnement s’établit fin juin dans une école à Lessay, dès les 4 et 5 juillet ils firent connaissance avec le front, cela s’est passé à Vesly avec sa petite église construite sur un terrain légèrement en terrasses. Dès le 7 juillet les premiers morts furent évacués du champ de bataille vers le cantonnement, au moins quatre Alsaciens faisaient partie des malheureux officiellement tombés près de la Haye-du-Puits, dont René Sorgius, André Rohrbach, René Erb et Raymond Landenwetsch, ils avaient en réalité essayé de s’évader en agitant vainement un drapeau blanc . . . pétrifiés dans leurs trous, sur leurs lignes de défense à l’approche des Américains. Mais les premières lignes de choc n’avaient pas la réputation de faire des prisonniers, l’autre hypothèse de leur mort serait la sentence mortelle appliquée aux déserteurs par la Waffen SS elle-même. Sorgius était un jeune homme de Rosheim, grand et élégant sur la photo, il avait de beaux cheveux roux bouclés, c’étaient les premiers morts dans sa section. Le baptême du feu avait fauché parmi d’autres, ces quatre jeunes hommes d’à peine 18 ans, le bal des vampires avec sa fanfare tragique avait commencé.
L’Alsace était loin, l’insouciante jeunesse aussi, il était temps de se concentrer sur la survie et coûte que coûte d’appliquer les consignes qu’on leur avait apprises, creuser un trou individuel, quel que soit l’état de fatigue, porter le casque d’acier en toute circonstance et celles de s’abriter dans l’angle mort protecteur d’un talus ou d’un monticule quelconque. Toutes ces consignes lui avaient sauvé la vie, mais son ange gardien avait veillé sur lui et lui avait souvent évité le pire. Les trois premiers jours dans le secteur de Lessay-Périers-Coutances, furent un véritable massacre, l’église de Coutances partiellement détruite gisait à terre, les victimes étalées dans les gravats, des images d’apocalypse hantent quelque fois ses souvenirs. La chance encore la chance a voulu, que René soit affecté lors de ces terribles combats, à un char armé d’un canon long et heureusement inutilisable dans le secteur. René est resté en retrait posté sur la colline avec le reste de l’équipage, spectateur du carnage qui se déroulait en contre-bas. Les bombardements, les feux roulants d’artillerie et les mitraillages soutenus allaient durer jour et nuit, venant de la mer, de la terre et du ciel. Une atmosphère irréelle dans un vacarme continu de déflagrations. Le tout sous une petite pluie fine et permanente qui allait les engluer dans un bourbier de glaise et de sang. Dans sa rage de survivre il se souvient d’avoir utilisé la plaque de signalisation du village de Périers, pour couvrir son trou d’homme creusé à la hâte pour la Xieme fois. La moitié de leur effectif fut anéanti en trois jours, des 120 hommes qui avaient quitté la région de Montauban une dizaine de jours auparavant, il ne restait plus que 60 soldats. Parmi les premières victimes se trouvaient ses camarades d’Illkirch, René Erb et Raymond Landenwetsch, le troisième Lucien Kieffer a disparu quelques jours après. René Sorgius cité plus haut et André Rohrbach faisaient également partie du convoi mortuaire. Le camarade Lazarus de Truchtersheim eu moins de chance, mort d’un éclat d’obus ses camarades n’ont pas eu le temps ni l’occasion de l’enterrer dignement, sa dépouille est restée allongée pendant trois jours dans le SWP, l’outil principal de transport des Waffen SS. Cet engin qui était affecté uniquement aux troupes SS, faisait d’eux des privilégiés, il leur évitait de longues et épuisantes marches dans la boue et le crachin.
Une autre fois lors d’un réflexe spontané, alors qu’ils roulaient tranquillement vers l’arrière avec leur SPW, au milieu d’une prairie du bocage, bien en vue et pas de couvert à moins d’une minute, trois « jabos » Jagd-bombers, des avions américains avec leurs étoiles sous les ailes, se sont dirigés vers eux . . . assurément c’était la fin. Le chauffeur pris de panique ne savait plus quoi faire, alors René s’est emparé du fanion de la croix rouge qui traînait au fond du véhicule et debout sur le SPW dans un geste désespéré il a agité le minuscule bout de toile à l’effigie de la croix rouge . . . le souffle coupé et au bout d’un temps qui lui parut une éternité les trois avions ont repris de l’altitude comme par miracle . . . Une fois de plus René avait eu raison de croire que tous les hommes n’étaient pas foncièrement mauvais, il fallait avoir la rage de survivre, quelques-uns priaient en secret, lui avait la baraqua et il ne le savait pas encore. Comme ce jour où il aidait un brancardier à évacuer un camarade blessé, une équipe de GI postés bien en vue au bout d’un champ les observais, sa foi dans l’humanité lui a permis de continuer leur route vers le salut, les américains avaient aussi des principes. Une autre fois, avec un camarade ils ont eu l’occasion d’empêcher un viol, (le viol était puni de mort par les directives militaires allemandes). Une jeune fille près d’une ferme était partie traire les vaches, ils ont observé de loin le manège de deux soldats en uniforme de la Wehrmacht, deux volontaires Russes, qui l’avaient épiée et suivie. La malheureuse fut entraînée vers un petit bosquet, mais René et son camarade dans leur uniforme de SS firent grande impression sur les deux moujiks, la balle engagée dans le canon aussi. Le manège avait été observé par les gens de la ferme toute proche et la reconnaissance des parents de la toute jeune fille fut un rayon de soleil dans cette boucherie à ciel ouvert.
Les affrontements étaient dantesques, la puissance de feu des bâtiments de la marine américaine, conjuguée avec l’artillerie et les avions faisaient un barrage roulant de feu et de sang, les camarades étaient déchiquetés avant même qu’ils ne ferment les yeux, souvent le lendemain ils enterraient une bouillie immonde et difforme. Trois fois déjà ils avaient essayé de fuir vers les lignes ennemies, une fois vers minuit l’évasion échoua pour cause de corvée de ravitaillement en munitions. Avec ses amis alsaciens ils étaient convaincus qu’il valait mieux fuir en groupe pour s’entre aider en cas de pépin. Son affectation d’homme de liaison lui avait appris à se mettre à l’abri des tirs meurtriers, se déplacer constamment en crabe, ramper comme une taupe ne jamais se redresser, se méfier des snipers, de nombreux camarades ont laissé leur vie dans les chemins creux de Normandie. Plus tard il reviendra avec sa femme, dans ce bocage Normand pour essayer de comprendre où ils se trouvaient et où étaient les lignes amies et ennemies. Une petite église sur un petit promontoire, celle de Vésly, lui était restée dans la mémoire, de cette période ou jour et nuit un vacarme suivi d’explosions, de bruits de canons, d’avions et de bombardements, le tout servi avec les odeurs pestilentielles des cadavres humains et des vaches gonflées qui jonchaient les prairies et les chemins creux. Cette période terrible où il ne savait comment faire pour fuir cet enfer, retrouver le clocher de son village, ce clocher que si peu de ses camarades d’infortune ne reverraient jamais plus. Que faisait-ils dans cette horreur, eux qui n’avaient rien demandé, pris dans les mâchoires d’un conflit qui les dépassait, avec un uniforme sur le dos qui les désignait à une mort quasi certaine.
Vers fin juillet près de Mortain, René a décidé définitivement de tourner le dos aux allemands avec deux autres Alsaciens, Charles Daul de la Montagne Verte et Alfred Roser de Brumath. De la 11e compagnie et des 120 hommes qui la composaient, il ne restait plus qu’un groupe de 8 hommes sous les ordres du lieutenant Joseph Lang, il fut tué le 30 juillet 44. Se cachant comme des bêtes sauvages, tapis dans les fossés, l’officier qui dirigeait le groupe en leur faisant des signes avec ses bras, leur avait demandé de le suivre droit devant. C’est là qu’ils ont pris un chemin de traverse vers la droite, ils ne devaient plus jamais revoir le reste de leur groupe. Malheureusement à la fin de la colonne d’Alsaciens se trouvait un Allemand, ils n’ont eu d’autre choix que de l’entraîner dans leur fuite, or ce dernier ne s’aperçut de rien, il suivait. Plus loin alors qu’ils venaient de rencontrer un groupe de « Landser » de la Wehrmacht ils ont pu se débarrasser de leur encombrant camarade, au motif qu’ils devaient retrouver leurs armes cachées en bas de la colline.
René se souvient d’avoir quitté sa section ou ce qu’il en restait vers le 28 juillet, pour se retrouver le soir dans une ferme occupée par un couple de civils, des fuyards du bombardement de Saint-Lô. Deux jeunes agriculteurs d’environ trente ans, avec leurs jeunes enfants, deux fillettes de 8 à 10 ans, partis en toute hâte. Ils avaient trouvé deux vaches et quelques hardes et s’étaient réfugiés, harassés dans cette ferme abandonnée par leurs occupants.
La cachette leur fut offerte dans une grange recouverte de tôle ondulée, on les ravitailla avec du lait et du pain. Méfiant René ne leur avoua pas tout de suite qu’ils étaient des évadés, ce n’est que le lendemain qu’ils se confièrent aux malheureux civils qui avaient tout perdu, sauf leur vie. La première nuit ils avaient décidés de faire des tours de garde mais la fatigue les a terrassés et ils se sont réveillés dans la paille le lendemain matin le soleil était déjà bien levé, enfin libres. Une fois depuis leur cachette, ils ont pu observer un groupe de soldats allemands de passage auprès des civils apeurés, qui ne les ont pas dénoncés. Une autre fois alors qu’ils étaient cachés dans la paille un obus s’est abattu tout près d’eux. D’abord ce fut un bruit assourdissant, suivi d’une vague de cailloux sur leur toit de tôle ondulée, les ensevelissant sous la terre projetée par l’impact, personne dieu merci ne fut blessé lors de cet incident. Ils sont restés trois jours dans cette grange ravitaillés en nourriture par les civils normands, jusqu’à ce que les gentils agriculteurs leur aient annoncé que les américains avaient investi les lieux, c’est là qu’ils ont décidé de se montrer aux libérateurs avec leurs uniformes souillés et leur mines hagardes. Avant de se séparer de leurs bienfaiteurs ils cotisèrent une belle somme d’argent en leur donnant la solde désormais inutile, ils n’en auraient certainement plus besoin et les yeux des deux jeunes parents brillèrent de reconnaissance. Les Normands les escortèrent vers la troupe américaine, on les présenta à un officier qui se mit à les interroger sommairement et les fit conduire vers les arrières près de la mer. Incarcérés dans un petit champ à peine encerclé de barbelés, ils y rencontrèrent leurs amis, Raymond Scheeck de Matzenheim, avec Charles Daul et Alfred Roser, quelle joie de se retrouver sains et saufs avec les compagnons d’évasion. Ils s’étaient tous constitués prisonniers et furent envoyés à Colleville pour enterrer les morts dans le futur cimetière militaire des libérateurs. Depuis les impressionnantes montagnes de cadavres, les victimes étaient identifiées et inhumées individuellement sous deux mètres de terre, le tout sous bonne garde d’un soldat américain noir, qui vérifiait soigneusement avec un stick étalon que la profondeur réglementaire fut obtenue.
Après deux ou trois jours ils furent embarqués à l’aube dans un Liberty-Ship pour rejoindre l’Angleterre en débarquant à Southampton. Là ils furent accueillis par un officier anglais qui les interrogeât en allemand, leur histoire compliquée ne percuta pas dans l’esprit du gradé anglais. Il proposa à René de s’engager immédiatement dans l’armée du général de Gaulle pour la durée du conflit, mais celui-ci refusa de repartir dans l’enfer qu’il avait vécu en disant ces mots « vous ne pouvez-vous imaginer d’où je viens, je vous propose d’y aller pendant huit jours et on verra si vous aurez envie d’y retourner ». L’officier lui rétorqua « vous êtes un mauvais Français », ce fut le mot de trop et René explosa de fureur, il lui étala l’enfer qu’il avait subi en élevant la voix, la misère qu’il avait vécu dans une armée ennemie et l’injustice des propos imprudents tenus par un planqué de l’arrière. Cela ne l’empêcha pas quatre semaines plus tard de se porter volontaire à la création d’une compagnie de parachutistes et de s’engager pour la durée de la guerre dans les Forces Françaises Libres du Général de Gaulle.
Manifestement il avait été « trié » car rapidement il fut transféré dans un camp de prisonniers allemands peuplé à sa grande surprise d’officiers haut gradés, un « Sonder Camp ». C’était le jour anniversaire de ses dix-huit ans, mais comme il était arrivé après les heures de repas il fut privé de nourriture ce jour-là, ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Il ne resta pas longtemps dans cette désagréable compagnie on le transféra rapidement dans une villa Londonienne. Fort heureusement les autorités anglaises étaient parfaitement informées de l’incorporation de force de la classe 1926 dans les Waffen SS. C’est là-bas qu’ils apprirent l’horrible massacre du village de Oradour sur Glane perpétré par une autre compagnie du régiment der Führer. Malgré l’insistance des enquêteurs René ne put donner le moindre renseignement sur une action qu’il ne connaissait pas, les informations étaient verrouillées et ne circulaient pas entre les différentes sections et compagnies. Quatre ou cinq officiers dont un français les interrogèrent pendant quatre jours matin et soir sur le massacre d’Oradour dont ils n’avaient pas entendu parler. A la suite des interrogatoires on les transféra dans un très grand hippodrome près de Londres. Ils y rencontrent Azael le gérant du magasin de sport place de la cathédrale à Strasbourg, personnage jovial et débonnaire qui maintenait une ambiance festive dans la grande tente militaire remplie d’Alsaciens et de Mosellans, ainsi que René Zehr le coiffeur de Geispolsheim. Seule la nourriture était à déplorer, on les transféra près d’Edimbourg toujours dans un camp de toiles militaires, où la visite impromptue d’une comtesse française leur fit livrer des biscuits et des rasoirs.
Quelques jours se passent et les voici transférés à Camberley près de Sandhurst où 200 à 300 prisonniers français s’engagent dans les FFL, (Forces Françaises Libres). Après quelques semaines d’instruction militaire française, ils furent affectés aux troupes d’occupation en Allemagne, mais une quinzaine dont René sont restés au camp de Camberley, leur mission sera de remettre en état une série de véhicules endommagés par la guerre. Ils y restèrent pendant un an jusqu’en juillet 1945, pour réembarquer dans un bateau qui les ferait retraverser le chenal et remettre les pieds sur le sol de France.
Puis ce fut le passage du Chanel qui commença par son embarquement raté à Douvres, encaserné avec la troupe anglaise pendant quelques jours et enfin la Manche le Pas de Calais et Paris. Il est rentré dans Paris le 15 juillet 1945 avec un uniforme Anglais applaudi par la foule, alors que quelques mois précédents il portait encore le dresse code des Waffen SS. On lui fit répéter cent fois la triste histoire des Incorporés de Force Alsaciens et Mosellans, son appartenance à la Waffen SS malgré lui, l’ordonnance du Gauleiter Wagner, illégale et immorale, un charabia incompréhensible pour les français de la victoire. Pour finir, le retour au foyer, ses parents auraient pu le croire mort d’après la lettre de son unité. Heureusement le hasard a voulu que sa propre lettre, postée depuis sa captivité à Londres via la Croix Rouge était arrivée avant celle des allemands.
Il avait mûri, parti adolescent, il revenait en homme, à une semaine de ses 19 ans. Seul rescapé parmi les quatre camarades d’Illkirch, partis ensemble le 8 février 1944, affectés tous les quatre à la même onzième compagnie du régiment der Führer.
Au milieu des hourras de la victoire, son histoire à lui ne convenait pas au politiquement correct, les principaux acteurs étaient tous morts et même pas enterrés. Il valait mieux se taire et observer, les résistants de la dernière heure, les héros, les téméraires, ceux qui d’une manière ou d’une autre avait eux aussi échappé à la tempête. On se méfiait aussi de ceux que l’on évitait il y a peu au coin de la rue, leur chemise brune sur le dos et le sourire conquérant aux lèvres . . . Une jeunesse gâchée et beaucoup d’incompréhension devant leur génération sacrifiée, l’amertume aux lèvres ils ont pris la vie à bras le corps, pour oublier qu’ils avaient été les dindons de la farce.
Aujourd’hui la révolte et le dégoût leur donne des nausées, quand ils lisent les « jugements et les sentences » des historiens patentés, qui n’avaient pas vu le jour avant 1950. Rien ni personne ne les autorise à répéter les âneries colportées par quelques fanatiques bleu blanc rouge, avides de vider leur fiel sur les « oubliés de l’histoire ».
Récit ordinaire d’un drame mal expliqué et très mal enseigné, témoignages recueillis par Gérard MICHEL, président de l’OPMNAM (Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace-Moselle)
Epilogue :
La vie ordinaire ayant repris son cours, ce fut un long silence au regard de tout ce qu’il avait subi, sa route ne fut pas celle des vainqueurs, ni celle des résistants. Cette grossière injustice qui allait lui gâcher la vie pendant longtemps, il la refoulerait à l’intérieur de son être. Lui qui avait eu la plus extraordinaire baraqua au milieu du champ de bataille, durant une période où d’autres sont encore des enfants. Cette culpabilité non méritée et le sentiment d’avoir été sacrifié par la mère patrie fut le sentiment collectif des survivants, il les empêcha de se révolter pour clamer non seulement leur innocence mais surtout leur colère. On avait abandonné les jeunes Alsaciens à l’ogre nazi, mais on allait les lapider parce qu’ils avaient revêtu cet uniforme abhorré, pour préserver leur famille. Comble d’arrogance ils eurent le culot de rentrer vivants.
On allait les condamner grâce au procès de Bordeaux, le simulacre de procès qui permit de culpabiliser une région toute entière. Dès l’ouverture des débats, le Président Nussy de Saint Sens donna le ton en s’exclamant : « faites entrer les coupables ». Un frisson d’horreur remonte le long de son échine quand il repense au jour où leur véhicule est passé dans le village de Saint-Junien ; et si les ordres avaient été de prendre la route d’Oradour . . . ?
Ainsi sur un coup de dés on devient un héros ou un assassin, par devant la barre d’un tribunal qui ne convoque même pas les supérieurs et les donneurs d’ordre de la Waffen SS, Lammerding, Weidinger, Oberg et Knochen sont morts dans un lit douillet. La règle du cochon payeur et du bouc émissaire sera encore une fois appliquée aux « lampistes ». Une belle phrase dans la déposition de la sœur de l’instituteur d’Oradour au procès de Bordeaux, « . . et l’on eût exigé d’eux qu’ils fussent des héros . . ».
Quant aux camarades Alsaciens et Mosellans qui ont perdu la vie dans cette boucherie, qui s’est penché sur leurs tombes, qui a réclamé justice pour les jeunes vies sacrifiées ? Un crime contre l’humanité perpétré en toute impunité Qui a réclamé un « mea culpa germanique » ? Le Président allemand Gauck accompagné par François Hollande, sont venus dans les ruines d’Oradour, mais ils ont oublié de se rendre en Alsace Moselle, pour exprimer « la repentance du peuple Allemand ». Dans sa réponse à la lettre d’invitation de l’ADEIF en 2016, le Président allemand Gauck évoque les Alsaciens Mosellans et leurs « Implications » Vervicklungen dans les crimes de guerre ? Un comble d’ironie ; si je te pousse dans la rivière, je ne vais pas avoir le culot de te reprocher d’être mouillé. Chez nous en France qui a pensé aux Alsaciens et aux Mosellans incorporés de Force, qui a pris leur défense ? Le président Chirac sous la pression de forces occultes, n’a pas voulu (ni osé) inaugurer officiellement le Mémorial dédié (si peu) à l’Incorporation de Force en Alsace Moselle.
Schirmeck parlons-en, le camp de rééducation tant redouté par les Alsaciens . . . disparues les baraques en bois, disparue la sinistre « Salle des fêtes et ses cellules du bunker au sous-sol », disparu le camp, disparue la terrible mémoire des tortionnaires, disparus les bâtiments de la torture des expériences médicales et de la mort, effacées les traces de cette barbarie qui avait terrorisé toute une population.
Un peu de respect s’imposerait aux victimes de ce camp de la mort, on ne peut faire disparaître Auschwitz alors pourquoi le camp de Schirmeck – La Broque fut il rasé ?
Même le rouleau compresseur tiré par les bras décharnés des réfractaires de l’Incorporation de Force n’est plus là . . . Il trône aujourd’hui au Struthof, parmi la mémoire des « déportés ».
Mais que fait-il là-bas ? Qui a voulu éradiquer la mémoire de cette torture criminelle, au service d’une idéologie perverse. Les preuves et les effets de la terrible « Sippenhaft » étaient à Schirmeck sous nos yeux. Mais nous avons laissé le pouvoir aux charognards, à ceux qui ne supportent pas d’entendre parler de cette page sombre. Une triste période qui les oblige à se regarder, dans le miroir que leur présentent les enfants d’Alsace et de Moselle.
A Colmar le président Sarkozy s’est fendu d’un discours courageux mais sans suites. Les présidents Mitterrand, Hollande et Macron ne connaissaient que les chemins d’Oradour. Même le Président Gauck en grand humaniste s’est penché sur les ruines du village martyr, en ajoutant un peu de poudre perfide, il évoque l’implication des Alsaciens… ? Circulez, il n’y a rien à voir, sauf le regard perdu au lointain, d’un visiteur assis sur les marches de la petite église de Vésly en Normandie.
Illkirch-Graffenstaden le 25 août 2017
Témoignage recueilli par Gérard MICHEL Président de l’OPMNAM (Orphelins de Pères Malgré-Nous d’Alsace-Moselle)