Jacques Halb est un Mosellan né en 1924. Le RAD (Reichsarbeitsdienst) et l’incorporation de force dans l’infanterie nazie ont interrompu ses études. Il a connu l’horreur sur le front russe. La cruauté, la faim, le froid, la peur, la vermine. Bref, le substrat de l’être humain!
La retraite devant les Russes fut pour lui un indescriptible ensemble de souffrances tant morales que physiques.
Pour s’éloigner du front, au printemps 1944, il marcha des journées entières, fuyant les troupes soviétiques. Seul, sans alimentation et toujours vers l’ouest, il allait, craignant d’être capturé. Lors du dégel, dans la région où il se trouvait, se forme un limon d’une épaisseur de plusieurs décimètres. Il est très gluant, mais aussi très fertile. Les Russes l’appellent la raspoutitsa. Elle fut plus que néfaste pour les armées d’Hitler.
Tout en risquant maintes et maintes fois de s’enliser, Jacques Halb a parcouru dans cette horrible boue des dizaines et des dizaines de kilomètres. Son courage, sa volonté lui ont permis finalement de trouver un semblant d’hôpital de campagne dans lequel il reçut quelques soins avant d’être mis dans un regroupement.
Il arriva en Roumanie. Son unité fut regroupée et mise dans un train sur de la paille. Jacques dut être débarrassé de la vermine qui le dévorait. Il fut ensuite envoyé en Allemagne, via Vienne.
Jacques pensait bien repartir sur le front russe, mais à son grand étonnement le train continuait vers l’Ouest. Il vit le Rhin, les gares de Haguenau et de Saverne. Il dit aux soldats de son wagon qu’il passerait devant la maison de ses parents à Bouxwiller. Tous à l’endroit précis crièrent : « Halb, Halb, Halb! ». Jacques jeta sur le quai de la gare un bout de papier enveloppant un morceau de ballast. Un cheminot ramassa ce papier sur lequel Jacques signalait son passage vers l’Ouest. Sa maman avait entendu les cris provenant du wagon. Elle alla le dire à son mari, ce dernier crut que son épouse avait des hallucinations. Fort heureusement, le papier fut remis par le cheminot.
L’espoir renaissait, c’était en début mai 1944. Jacques fut affecté à Gisors dans le département de l’Eure. De là, il eut un ordre de mission pour se faire épouiller à Paris. Ils y allèrent à deux et en armes.
C’est à Montigny-en-Vexin (département de l’Oise) que Jacques apprit que le débarquement avait eu lieu. Il resta dans cette garnison, jusqu’à la 3ème semaine de juillet 1944. Il était brancardier. Son unité fit mouvement près d’Avranches où les combats étaient intenses.
L’artillerie américaine tirait de partout, sans objectif précis. Un village voisin était en flammes. Jacques pensa que le moment était propice à l’évasion, dans ces conditions, il serait porté disparu et ses parents ne subiraient pas les représailles programmées par la Sippenhaftgesetz. Dès le retour vers l’arrière des lignes des combats, Jacques se mit en « serre-file » et faussa compagnie. Il jeta son fusil et son équipement. Il avait conservé son brassard de brancardier donné à Gisors. Il le mit. Il emprunta des chemins creux. C’était la nuit, le sol lui parut inégal, il trébuchait : c’étaient des cadavres. Il parvint tout de même à l’arrière du front. Il lut le nom du village Gathemo.
Gathemo fut le théâtre de durs combats entre le 116ème Panzer et la 28ème Division US.
Jacques parvint à Sourdeval. Commune presque totalement détruite où 80 civils furent tués. Le commandant de la 28ème Division US, James E. Wharton, y fut mortellement blessé le 12 août 1944. Jacques s’approcha de l’église et du presbytère, il demanda la protection du curé. Ce dernier le cacha dans la tranchée, abri du presbytère, en attendant d’aller en quête de vêtements civils. Le lendemain, au sortir de la tranchée, Jacques se trouva au milieu de soldats allemands occupés à monter une pièce d’artillerie. Ils ne portèrent aucune attention à lui. Le curé trouva des vêtements civils, Jacques put se débarrasser de son uniforme et le jeta dans un fourré. Le curé cacha, sous le marbre de son bureau, le livret militaire et la plaque d’identité.
Le curé de Sourdeval fut tué par un éclat d’obus quelques jours après. C’est ce que Jacques a appris en voulant, après la guerre, remercier ce prêtre.
Jacques parvint à Chanu. Là, chez un agriculteur où lui fut préparé une « vénérable » omelette, une dame dit que le curé de cette paroisse était très malade. Jacques s’y rendit et c’est donc au presbytère qu’il passa la nuit, bien dissimulé des unités nazies.
Jacques voulait passer les lignes pour aller vers les Alliés, de l’autre côté de la forêt de Halouze dans laquelle étaient au repos des unités allemandes. Cela était très malaisé et surtout dangereux. Après réflexion, un agriculteur, assurément patriote, eut cette audacieuse idée : il lui confia une hache et aussi son fils de 10–11ans. Le garçonnet connaissait parfaitement la forêt. La traversée se fit sans aucun problème. Jacques renvoya le garçon avec la hache.
En s’orientant de son mieux, à l’aide de la carte donnée par le père du garçonnet, Jacques poursuivit son chemin à travers la campagne. Il reçut des aides de la part des Normands et ne tarit pas de louanges à leur endroit. Il mangea, dormit dans le foin et aussi dans un lit. Il a souvenance d’être passé au « Châtelet », à « La Chaud » qui sont des lieux-dits pour arriver à Montmerrei. Avec d’autres réfugiés dans une ferme d’Almenêches, il se rendit utile en participant aux travaux agricoles.
Revenant d’une ferme sur un chemin, des balles sifflèrent très près. Elles provenaient d’une autre ferme. Jacques vit 2 mitrailleuses braquer sur eux. Les Allemands leur firent signe d’avancer. Le très jeune lieutenant voulait fusiller tout le monde. Mais un adjudant, beaucoup plus âgé, l’en dissuada. Jacques simula ne pas comprendre la langue allemande, fit entendre qu’il venait des champs mettre en place des gerbes. Le lendemain, tous les soldats allemands étaient partis.
Les canons se faisaient entendre de plus en plus près. Leur bruit s’éloigna d’Almenêches en direction d’Argentan.
En continuant à participer aux travaux de la ferme, tous virent des half-track venir patrouiller très près. Ils portaient un écusson carte de France et en surimpression une croix de Lorraine. Surprise générale, les soldats se tenant à bord parlaient français. Ils faisaient partie de la 2ème DB. Ce jour- là, Jacques fut libéré.
Ecoutons Jacques, libéré par les Français: « Je ne pus m’empêcher de m’engager dans cette unité. Je suis passé à l’État-Major et j’ai demandé le 2ème Bureau. Le capitaine commandant ce service était de Sarrebourg. Je lui racontai ma situation d’incorporé de force et mon désir de m’engager dans l’armée française. Le chef du bataillon allemand auquel j’appartenais avait été fait prisonnier et avait parlé. Ainsi, l’itinéraire de mon unité était connu. Lorsque je dis à ce capitaine que je venais de Bouxwiller, il me demanda » Que devient Wilsch ? ». C’était le procureur allemand du tribunal de Saverne. Ce nazi était venu pour germaniser toute la contrée. Mon père, juge à Bouxwiller, connaissait Wilsch. Wilsch était intraitable, particulièrement avec les Français qui, pour ne pas aller dans les armées nazies, se mutilaient volontairement. Il les envoyait dans la caserne SS de Sélestat. Personne ne les revoyait. Ils devenaient » Nuit et Brouillard ». Donc ils devaient disparaitre dans le mois. Volontairement, je m’étais ébouillanté les pieds et les jambes jusqu’aux genoux. Si mon père n’avait pas été juge, je serai devenu « Nuit et Brouillard » moi aussi.
La 2ème DB était en ligne devant Ecouché et Argentan. Je pus m’engager et fut mis dans un bataillon de réserve. Là, le hasard me fit rencontrer Aloyse Brenekle, originaire du nord de l’Alsace. Nous sommes restés ensemble jusqu’en janvier 1945. Sept incorporés de force, évadés des armées nazies étaient dans cette unité. Nous avions un uniforme américain, la nourriture et l’armement étaient américains.
Pour notre incorporation dans la 2ème DB, le commandant du bataillon, en lisière de la forêt, rassembla toute son unité. Les Alsaciens-Lorrains furent mis au garde à vous et félicités pour leur patriotisme. Ensuite le commandant, devant chacun de nous, se mit lui aussi au garde-à-vous, et demanda le nom de chacun. Ce commandant avait connu en Algérie un lieutenant du nom de Brenekle, un parent d’Aloyse ».
Le bruit se répandit que les nazis voulaient détruire Paris. Embarquée sur des camions, toute la compagnie fit route vers la capitale. Ce voyage pour tous fut mémorable. Les camions encadrés de half-track devaient parfois s’arrêter. Les civils, étonnés de voir des soldats français, escaladèrent nos véhicules pour nous embrasser, nous offrir à boire et aussi des fleurs. Les femmes étaient beaucoup plus expansives que les hommes. Ce fut véritablement une joie explosive pour tout un peuple, d’être libéré par ses compatriotes.
Paris libéré, le parcours se poursuivit vers l’Est. Les Alsaciens-Lorrains demandaient à être versés dans des unités de combat. C’est ce que firent Aloyse Brenekle et Jacques Halb….! Ils furent mis à Troyes, dans une école maternelle pour y imprimer des plaques de reconnaissance. Cela, parce qu’il aurait été pu être dangereux et cruel pour des évadés des armées nazies, d’être mis en 1ère ligne, peut être en face d’une unité de l’armée allemande d’où ils s’évadèrent.
Bientôt la 2ème DB se trouva dans les Vosges avant la percée sur Strasbourg. Les Alsaciens-Lorrains étaient nombreux. Ils s’étaient évadés de l’armée allemande en Normandie ou alors ils s’étaient constitués prisonniers aux alliés. Ils revenaient d’Angleterre (principalement du camp de Camberley) et portaient l’uniforme anglais.
Lorsque Jacques revint chez lui, en raison des informations reçues, son père lui dit: « Tu étais le dernier porté disparu de Bouxwiller ». Mais en son for intérieur, il pressentait qu’il avait réussi son évasion pourtant Monsieur Halb père, quelques semaines auparavant avait appris par Radio Londres, que la Division dans laquelle était Jacques avait été totalement anéantie en Russie.
Jacques fit des études de médecine. Il y fut déterminé par les cris et hurlements, qui sous la souffrance des blessures, provenaient de soldats. Dans toutes les langues ils appelaient leur maman. Jacques est donc devenu docteur en Médecine.
Pour tirer les enseignements de ce qu’il fit, Jacques dit : « La liberté est une déesse cruelle, qui demande des sacrifices cruels pour être conservée » et ajoute : « J’ai voulu, en m’engageant, me battre pour la France que j’aime tant ». A ses enfants il a écrit : « Vous devez l’aimer encore plus et aimer l’Europe ».
Portrait par Jean BÉZARD, en février 2015. Il rappelle : « Jacques recherchait ce garçonnet, il doit être aujourd’hui octogénaire. Nous avions rédigé un avis de recherche, mais le journal « Ouest France » avait refusé de le publier ».