Jacques HALB (+ juillet 2017)

Commentaire (0) Les incorporés de force face à leur destin, Témoignages

 

                                                           

Jacques Halb est un Mosel­lan né en 1924. Le RAD (Reich­sar­beits­dienst) et l’in­cor­po­ra­tion de force dans l’in­fan­te­rie nazie ont inter­rompu ses études. Il a connu l’hor­reur sur le front russe. La cruauté, la faim, le froid, la peur, la vermine. Bref, le substrat de l’être humain!

La retraite devant les Russes fut pour lui un indes­crip­tible ensemble de souf­frances tant morales que physiques.

Pour s’éloi­gner du front, au prin­temps 1944, il marcha des jour­nées entières, fuyant les troupes sovié­tiques. Seul, sans alimen­ta­tion et toujours vers l’ouest, il allait, crai­gnant d’être capturé. Lors du dégel, dans la région où il se trou­vait, se forme un limon d’une épais­seur de plusieurs déci­mètres. Il est très gluant, mais aussi très fertile. Les Russes l’ap­pellent la raspou­titsa. Elle fut plus que néfaste pour les armées d’Hit­ler.

Tout en risquant maintes et maintes fois de s’en­li­ser, Jacques Halb a parcouru dans cette horrible boue des dizaines et des dizaines de kilo­mètres. Son courage, sa volonté lui ont permis fina­le­ment de trou­ver un semblant d’hô­pi­tal de campagne dans lequel il reçut quelques soins avant d’être mis dans un regrou­pe­ment.

Il arriva en Rouma­nie. Son unité fut regrou­pée et mise dans un train sur de la paille. Jacques dut être débar­rassé de la vermine qui le dévo­rait. Il fut ensuite envoyé en Alle­magne, via Vienne.

Jacques pensait bien repar­tir sur le front russe, mais à son grand éton­ne­ment le train conti­nuait vers l’Ouest. Il vit le Rhin, les gares de Hague­nau et de Saverne. Il dit aux soldats de son wagon qu’il passe­rait devant la maison de ses parents à Boux­willer. Tous à l’en­droit précis crièrent : « Halb, Halb, Halb! ». Jacques jeta sur le quai de la gare un bout de papier enve­lop­pant un morceau de ballast. Un chemi­not ramassa ce papier sur lequel Jacques signa­lait son passage vers l’Ouest. Sa maman avait entendu les cris prove­nant du wagon. Elle alla le dire à son mari, ce dernier crut que son épouse avait des hallu­ci­na­tions. Fort heureu­se­ment, le papier fut remis par le chemi­not.

L’es­poir renais­sait, c’était en début mai 1944. Jacques fut affecté à Gisors dans le dépar­te­ment de l’Eure. De là, il eut un ordre de mission pour se faire épouiller à Paris. Ils y allèrent à deux et en armes.

C’est à Monti­gny-en-Vexin (dépar­te­ment de l’Oise) que Jacques apprit que le débarque­ment avait eu lieu. Il resta dans cette garni­son, jusqu’à la 3ème semaine de juillet 1944. Il était bran­car­dier. Son unité fit mouve­ment près d’Avranches où les combats étaient intenses.

L’ar­tille­rie améri­caine tirait de partout, sans objec­tif précis. Un village voisin était en flammes. Jacques pensa que le moment était propice à l’éva­sion, dans ces condi­tions, il serait porté disparu et ses parents ne subi­raient pas les repré­sailles program­mées par la Sippen­haft­ge­setz. Dès le retour vers l’ar­rière des lignes des combats, Jacques se mit en  « serre-file » et faussa compa­gnie. Il jeta son fusil et son équi­pe­ment. Il avait conservé son bras­sard de bran­car­dier donné à Gisors. Il le mit. Il emprunta des chemins creux. C’était la nuit, le sol lui parut inégal, il trébu­chait : c’étaient des cadavres. Il parvint tout de même à l’ar­rière du front. Il lut le nom du village Gathemo.

Gathemo fut le théâtre de durs combats entre le 116ème Panzer et la 28ème Divi­sion US.

Jacques parvint à Sour­de­val. Commune presque tota­le­ment détruite où 80 civils furent tués. Le comman­dant de la 28ème Divi­sion US, James E. Whar­ton, y fut mortel­le­ment blessé le 12 août 1944. Jacques s’ap­pro­cha de l’église et du pres­by­tère, il demanda la protec­tion du curé. Ce dernier le cacha dans la tran­chée, abri du pres­by­tère, en atten­dant d’al­ler en quête de vête­ments civils. Le lende­main, au sortir de la tran­chée, Jacques se trouva au milieu de soldats alle­mands occu­pés à monter une pièce d’ar­tille­rie. Ils ne portèrent aucune atten­tion à lui. Le curé trouva des vête­ments civils, Jacques put se débar­ras­ser de son uniforme et le jeta dans un fourré. Le curé cacha, sous le marbre de son bureau, le livret mili­taire et la plaque d’iden­tité.

Le curé de Sour­de­val fut tué par un éclat d’obus quelques jours après. C’est ce que Jacques a appris en voulant, après la guerre, remer­cier ce prêtre.

Jacques parvint à Chanu. Là, chez un agri­cul­teur où lui fut préparé une « véné­rable » omelette, une dame dit que le curé de cette paroisse était très malade. Jacques s’y rendit et c’est donc au pres­by­tère qu’il passa la nuit, bien dissi­mulé des unités nazies.

Jacques voulait passer les lignes pour aller vers les Alliés, de l’autre côté de la forêt de Halouze dans laquelle étaient au repos des unités alle­mandes. Cela était très malaisé et surtout dange­reux. Après réflexion, un agri­cul­teur, assu­ré­ment patriote, eut cette auda­cieuse idée : il lui confia une hache et aussi son fils de 10–11ans. Le garçon­net connais­sait parfai­te­ment la forêt. La traver­sée se fit sans aucun problème. Jacques renvoya le garçon avec la hache.

En s’orien­tant de son mieux, à l’aide de la carte donnée par le père du garçon­net, Jacques pour­sui­vit son chemin à travers la campagne. Il reçut des aides de la part des Normands et ne tarit pas de louanges à leur endroit. Il mangea, dormit dans le foin et aussi dans un lit. Il a souve­nance d’être passé au « Châte­let », à « La Chaud » qui sont des lieux-dits pour arri­ver à Mont­mer­rei. Avec d’autres réfu­giés dans une ferme d’Al­me­nêches, il se rendit utile en parti­ci­pant aux travaux agri­coles.

Reve­nant d’une ferme sur un chemin, des balles sifflèrent très près. Elles prove­naient d’une autre ferme. Jacques vit 2 mitrailleuses braquer sur eux. Les Alle­mands leur firent signe d’avan­cer. Le très jeune lieu­te­nant voulait fusiller tout le monde. Mais un adju­dant, beau­coup plus âgé, l’en dissuada. Jacques simula ne pas comprendre la langue alle­mande, fit entendre qu’il venait des champs mettre en place des gerbes. Le lende­main, tous les soldats alle­mands étaient partis.

Les canons se faisaient entendre de plus en plus près. Leur bruit s’éloi­gna d’Al­me­nêches en direc­tion d’Ar­gen­tan.

En conti­nuant à parti­ci­per aux travaux de la ferme, tous virent des half-track venir patrouiller très près. Ils portaient un écus­son carte de France et en surim­pres­sion une croix de Lorraine. Surprise géné­rale, les soldats se tenant à bord parlaient français. Ils faisaient partie de la 2ème DB. Ce jour- là, Jacques fut libéré.

Ecou­tons Jacques, libéré par les Français: « Je ne pus m’em­pê­cher de m’en­ga­ger dans cette unité. Je suis passé à l’État-Major et j’ai demandé le 2ème Bureau. Le capi­taine comman­dant ce service était de Sarre­bourg. Je lui racon­tai ma situa­tion d’in­cor­poré de force et mon désir de m’en­ga­ger dans l’ar­mée française. Le chef du bataillon alle­mand auquel j’ap­par­te­nais avait été fait prison­nier et avait parlé. Ainsi, l’iti­né­raire de mon unité était connu. Lorsque je dis à ce capi­taine que je venais de Boux­willer, il me demanda » Que devient Wilsch ? ». C’était le procu­reur alle­mand du tribu­nal de Saverne. Ce nazi était venu pour germa­ni­ser toute la contrée. Mon père, juge à Boux­willer, connais­sait Wilsch. Wilsch était intrai­table, parti­cu­liè­re­ment avec les Français qui, pour ne pas aller dans les armées nazies, se muti­laient volon­tai­re­ment. Il les envoyait dans la caserne SS de Séles­tat. Personne ne les revoyait. Ils deve­naient » Nuit et Brouillard ». Donc ils devaient dispa­raitre dans le mois. Volon­tai­re­ment, je m’étais ébouillanté les pieds et les jambes jusqu’aux genoux. Si mon père n’avait pas été juge, je serai devenu « Nuit et Brouillard » moi aussi.

La 2ème DB était en ligne devant Ecou­ché et Argen­tan. Je pus m’en­ga­ger et fut mis dans un bataillon de réserve. Là, le hasard me fit rencon­trer Aloyse Brenekle, origi­naire du nord de l’Al­sace. Nous sommes restés ensemble jusqu’en janvier 1945. Sept incor­po­rés de force, évadés des armées nazies étaient dans cette unité. Nous avions un uniforme améri­cain, la nour­ri­ture et l’ar­me­ment étaient améri­cains.

Pour notre incor­po­ra­tion dans la 2ème DB, le comman­dant du bataillon, en lisière de la forêt, rassem­bla toute son unité. Les Alsa­ciens-Lorrains furent mis au garde à vous et féli­ci­tés pour leur patrio­tisme. Ensuite le comman­dant, devant chacun de nous, se mit lui aussi au garde-à-vous, et demanda le nom de chacun. Ce comman­dant avait connu en Algé­rie un lieu­te­nant du nom de Brenekle, un parent d’Aloyse ».

Le bruit se répan­dit que les nazis voulaient détruire Paris. Embarquée sur des camions, toute la compa­gnie fit route vers la capi­tale. Ce voyage pour tous fut mémo­rable. Les camions enca­drés de half-track devaient parfois s’ar­rê­ter. Les civils, éton­nés de voir des soldats français, esca­la­dèrent nos véhi­cules pour nous embras­ser, nous offrir à boire et aussi des fleurs. Les femmes étaient beau­coup plus expan­sives que les hommes. Ce fut véri­ta­ble­ment une joie explo­sive pour tout un peuple, d’être libéré par ses compa­triotes.

Paris libéré, le parcours se pour­sui­vit vers l’Est. Les Alsa­ciens-Lorrains deman­daient à être versés dans des unités de combat. C’est ce que firent Aloyse Brenekle et Jacques Halb….! Ils furent mis à Troyes, dans une école mater­nelle pour y impri­mer des plaques de recon­nais­sance. Cela, parce qu’il aurait été pu être dange­reux et cruel pour des évadés des armées nazies, d’être mis en 1ère ligne, peut être en face d’une unité de l’ar­mée alle­mande d’où ils s’éva­dèrent.

Bien­tôt la 2ème DB se trouva dans les Vosges avant la percée sur Stras­bourg. Les Alsa­ciens-Lorrains étaient nombreux. Ils s’étaient évadés de l’ar­mée alle­mande en Norman­die ou alors ils s’étaient consti­tués prison­niers aux alliés. Ils reve­naient d’An­gle­terre (prin­ci­pa­le­ment du camp de Camber­ley) et portaient l’uni­forme anglais.

Lorsque Jacques revint chez lui, en raison des infor­ma­tions reçues, son père lui dit: « Tu étais le dernier porté disparu de Boux­willer ». Mais en son for inté­rieur, il pres­sen­tait qu’il avait réussi son évasion pour­tant Monsieur Halb père, quelques semaines aupa­ra­vant avait appris par Radio Londres, que la Divi­sion dans laquelle était Jacques avait été tota­le­ment anéan­tie en Russie.

Jacques fit des études de méde­cine. Il y fut déter­miné par les cris et hurle­ments, qui sous la souf­france des bles­sures, prove­naient de soldats. Dans toutes les langues ils appe­laient leur maman. Jacques est donc devenu docteur en Méde­cine.

Pour tirer les ensei­gne­ments de ce qu’il fit, Jacques dit : « La liberté est une déesse cruelle, qui demande des sacri­fices cruels pour être conser­vée » et ajoute : « J’ai voulu, en m’en­ga­geant, me battre pour la France que j’aime tant ». A ses enfants il a écrit :  « Vous devez l’ai­mer encore plus et aimer l’Eu­rope ».

 

Portrait par Jean BÉZARD, en février 2015. Il rappelle : « Jacques recher­chait ce garçon­net, il doit être aujourd’­hui octo­gé­naire. Nous avions rédigé un avis de recherche, mais le jour­nal « Ouest France » avait refusé de le publier ».

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