HEINIMANN Bernard (* Hegenheim 24.10.1920 + Hegenheim 29.10.2013). Après le Reichsarbeitsdienst, il incorporé dans la 130e division blindée « Panzer-Lehr ». Engagée en Yougoslavie contre les partisans de Tito, il ressort fortement éprouvé de cette guérilla sanglante. La division est ensuite mutée en France, d’abord dans la Meuse, puis dans l’Eure-et-Loir, dans la région de Chartres. Avec le Débarquement, la troupe fait mouvement sur Tilly-sur-Seulles (Calvados), face aux Anglais, puis dans le secteur de la rivière Vire, près de Saint-Fromond et Saint-Jean-de-Daye (Manche). Bernard se trouve au Désert (Manche), à la ferme « Grandmange ». Les combats sont âpres dans cette tête-de-pont. Bernard se replie aux environs immédiats de la ferme de « La Pierrederie », à 800m d bourg du Hommet d’Arthenay. Elle est exploitée par Jean Leharivel et sa famille, soit 9 personnes plus deux employés. Sa fille, Janine Leprieur, se souvient : « En prévision des combats à venir, mon père, ancien de Verdun en 14–18, avait constriot à proximité de la maison d’habitation une tranchée pour abriter sa famille. Conçue pour 10 ou 12 personnes, cette tranchée accueillera jusqu’à 18 personnes, dont 13 réfugiés, accompagnant Alphonse Voydie, maire de Graignes. Effectivement, cet abri se révèlera d’un grand secours face aux duels d’artillerie des armées allemandes et américaines, dont l’intensité augmentera au fur et à mesure de l’avancée des Alliés ». Le 12.7.1944, « à la nuit tombante, alors que nous étions abrités dans la tranchée, je vois, avec peur, un soldat allemand s’y réfugier précipitamment. A priori, il avait le comportement d’un homme poursuivi. Les occupants de la tranchée ont vite compris que ce soldat cherchait à déserter, ce qu’il confirme en disant qu’il était alsacien. L’un d’eux lui a posé la question suivante : « Et si un Allemand vient à la tranchée, que se passe-t-il ? ». Réponse : « Je le tue ! ». Cela ne nous rassure pas du tout. Ensuite, mon père la restauré avec une omelette et lui a fourni des habits civils pour remplacer son uniforme, le transformant ainsi en pseudo-ouvrier agricole lambda. Après réflexion, il quitte la tranchée pour se cacher dans un recoin situé sous un ensemble de cages à lapins ; il estime qu’il mettrait en réel danger les habitants en cas de retour des Allemands.
Le 13 juillet, tôt le matin, surprise et frayeur ! Nous percevons des bruits de moteur, puis des sons de voix gutturales. Pas de doute, les Allemands sont revenus près de la ferme ! Notre Alsacien comprend la situation. Il réendosse en hâte son uniforme et, reconnaissant la voix de son lieutenant, se présente à lui sans tarder. Il lui rend compte qu’il a dû « passer la nuit dehors car, hier, lors du repli de son unité, il était auprès d’un camarade blessé et que le dernier blindé ne l’avait pas attendu ». Le lieutenant ne suspecte rien et lui réponde qu’il le proposerait « pour une citation en raison de son acte de dévouement ». Sans plus tarder, notre Alsacien, muni de sa Panzerfaust, repart au combat avec ses camarades, à travers champs, en direction du Désert. Nous étions tous inquiets pour lui et tristes de le voir partir dans ces conditions, mais aussi soulagés, malgré l’échec de la tentative d’évasion, que cet aléa n’ait pas entrainé de représailles.
Ce même 13 juillet au soir, surprise ! Notre Alsacien revient à la ferme. Il semble moins excité et nous annonce que si le pont de la Terrette, situé à l’entrée du bourg du Hommet sautait, cela signifierait que son unité ne pourrait plus revenir à la ferme. Commence alors une attente, trop longue à notre gré, puis nous entendons nettement la déflagration qui confirme la destruction du pont. Rassuré, notre Alsacien passe le reste de la nuit avec nous.
Le 14 juillet à l’aube, les troupes d’assaut américaines, surarmées, envahissent tous les bâtiments de la ferme et ses issues sans avoir à tirer un seul coup de feu. Bien contents et soulagés d’être enfin libérés, nos manifestations de joie sont restées réservées tant nous étions fatigués. Il fait notre que les GI semblaient également épuisés et restaient discrets, sans chercher le contact. Mon père propose alors à notre Alsacien de rester avec nous jusqu’à la fin des hostilités. A cette proposition, Bernard Heinimann – qui révèle enfin son nom – préfère se constituer prisonnier de guerre et demande à mon père de prendre contact en ce sens avec les autorités américaines. Chose dite, chose faite. Mon père est présenté à un colonel qui, considérant l’âge de mon père et regardant ses décorations au revers de sa veste, lui demande s’il avait fait Verdun en 14–18. Sur la réponse affirmative de mon père, il salue au garde-à-vous et le félicite ; j’ai personnellement assisté à la scène. Cet officier supérieur américain dit connaître l’existence d’incorporés de force dans l’armée du Reich. Il accepte illico d’accueillir Bernard Heinimann comme « prisonnier de guerre spécial » et de le transférer en Angleterre. C’est ainsi que le 14 juillet, jour de fête nationale en France, l’armée allemande perdit un soldat de plus ».
En Angleterre, Bernard s’engage dans l’armée française. Il y sert notamment de chauffeur à des personnalités militaires, dont deux d’origine alsacienne : le général Koenig et le commandant Clostermann. En mars 1945, il est affecté comme convoyeur de matériel à l’Ecole militaire de Paris. En 1947, après son mariage, il parvient à retrouver, grâce à la gendarmerie de Saint-Jean-de-Daye, ses sauveurs dont il ignorait le patronyme. Les deux familles ont tissés de solides liens d’amitiés qui ne se sont jamais distendus depuis (Histoires extraordinaires de « Malgré-Nous » 1, p.193–197).