STECKMEYER Albert Gérard (* Strasbourg 27.10.1922 + 17.1.2015). Son père travaillant aux haras de Strasbourg, il a été, avec sa famille, évacué en 1939 à Saint-Lô pour rejoindre les haras de cette ville. En 1940, alors que les Alsaciens étaient « invités » par le gouvernement français sur ordre de l’Allemagne à retourner chez eux, il se rend à la gendarmerie pour obtenir la possibilité de rester dans la Manche. Etant mineur, cela lui est refusé. En Alsace, il devient monteur d’avion. Civil, il se retrouve ainsi à assurer l’entretien des appareils dans un camp d’entraînement de la Luftwaffe. Un jour, souffrant du dos, Albert a beaucoup de peine pour pénétrer dans une carlingue. Finalement, il refuse d’obtempérer. Séance tenante, il est emmené à la direction du camp. Devant des officiers constituant un tribunal, il ne pense pas à saluer. Il doit ressortir aussitôt et rentrer de nouveau, ce qu’il fait en disant « Bonne journée » au lieu de faire le salut hitlérien. Il est sommé de sortir et il aussitôt arrêté et enfermé dans le bunker. Environ 3 jours après, il est mis seul dans un local sinistre, sale et inoccupé. Tout autour, des fils barbelés, pas de sentinelles, pas de gardes. Mais, parce que civil, il était ainsi à la disposition de la Gestapo à qui, sous la contrainte et la violence, il a dû jurer fidélité à Hitler. Ne voyant pas de garde, animé par l’audace, il prend sa valise et passe au poste de garde dans lequel régnait une réelle agitation. Les Allemands, en ce mois de juin 1941, venaient d’attaquer la Russie. Une très jeune sentinelle s’oppose à la sortie d’Albert qui déclare avec sang-froid : « Mon père est décédé ». Ce mensonge eut valeur de laissez-passer. Il rejoint Strasbourg le 20 juin. Le chanoine Robert Eber, secrétaire de la Ligue catholique d’Alsace, le dissuade d’aller chez ses parents où la Gestapo doit l’attendre. Deux jours plus tard, dans les locaux de La Ligue Catholique, il rencontre Paul Idoux et Paul Weber. Les trois jeunes gens décident de passer la frontière, mais leur attitude, à Plaine, attire l’attention des gardes-frontière. Les douaniers découvrent sur Albert des billes de banques français et une lettre venue de Saint-Lô. Arrêtés, ils sont déportés au camp de sûreté de Schirmeck. A peine arrivé, le commandant du camp Buck exige d’Albert qu’il signe de faux écrits. Face à son refus et suite à une claque magistral, le jeune réfractaire est privé de nourritures pendant quelques jours. Soupçonné de faire partie du groupe de résistance alsacien « La Main Noire », Albert est conduit à la prison civile d’Offenburg. Interrogatoires et brutalités se succèdent. Dans une autre cellule, il est mis avec un détenu qui est très probablement un mouchard. Albert se tait. Après quelques trois semaines, il est renvoyé à Schirmeck, dans le baraquement disciplinaire n°8. Il a été un temps, employé dans le bureau de Buck. Un jour, une sentinelle allemande lui a donné un morceau de pain, et Jeanne Ertenberger, une alsacienne affectée au secrétariat, lui a apporté à plusieurs reprises de la nourriture. Puis Albert est versé au Reichsarbeitsdienst. Contre toute attente, il obtient une permission du 21 au 24 décembre 1941.
A Strasbourg, un de ses bons amis, l’informe qu’il peut fuir en France occupée avec la complicité d’agents des chemins de fer. Pour dissimuler son départ et compliquer les recherches, même à ses parents, il déclare aller chez son oncle à Triembach-au-Val, dans le Val de Villé. Là, son oncle enterre l’uniforme d’Albert. C’est un contrôleur de la Reichsbahn du nom d’Hitler qui cache Albert dans un wagon postal, et ainsi, lui permet d’aller à Nancy. « Au Bar de l’Est » était le lieu de rencontre des Alsaciens-Mosellans parvenus à s’évader de leur région. On lui donne des instructions pour aller en zone libre avec l’aide de cheminots. Il faut être très prudent : la gare de Chalon-sur-Saône est un véritable piège pour évadés. Albert descend du train, côté voie, en gare de Chagny (un peu avant Chalon). Après une longue marche, il trouve la Saône, la frontière entre la zone non occupée et la zone occupée. La nuit tombe et le froid est glacial. Pour traverser la Saône, il se dévêt, roule ses vêtements et les fixa sur son épaule avec la ceinture. Il parvient très péniblement à traverser le cours d’eau. Il y a de la glace sur les berges. Il manque de se noyer. Très profondément écorché par les ronces et les épines, il met pied sur la terre ferme, totalement épuisé. A une très faible distance, il voit une lumière. C’est totalement à bout de forces, frigorifié, et saignant à cause des nombreuses écorchures qu’il frappe à la porte de la maison d’où venait la lumière. Une dame vient ouvrir. Le voyant presque nu, elle comprend très vite et s’inquiète de savoir s’il est poursuivi. Cette maison est celle de la famille Brunold de Chatenay-en-Bresse. Madame Brunold est avec une amie et 3 enfants pour la veillée de Noël. Les dames réchauffent Albert avec des couvertures et du vin chaud devant la cheminée. Elles soignent ses blessures et lui offrent un lit. Le lendemain, Raymond Brunold, qui avait travaillé la nuit de Noël en zone occupée, prend sa barque et va rechercher le manteau et le porte-documents qu’Albert avait abandonnés sur la rive, faisant ainsi disparaître toute trace de son passage. Madame Brunold, dissimulant des lettres dans le cadre de sa bicyclette, alla les poster en zone occupée. Sans donner de précisions, Albert put ainsi rassurer sa famille.
A Chalon, le 28 décembre, il prit un autobus à destination de Bourg-en-Bresse où sa cousine Marie Schilling était employée à Fort-Barreaux. Dans l’autobus, un contrôle d’identité. Les papiers d’Albert ont souffert leur séjour dans l’eau. Il doit aller s’expliquer au commissariat de Bourg-en-Bresse et se rend vite compte que la police, en zone non occupée, applique les instructions en livrant aux autorités nazies les Mosellans et les Alsaciens. C’est peut-être en voyant la détresse d’Albert et aussi en vérifiant que l’adresse du commissaire Wenger, à Fort-Barraux, était vraie que la décision de relâcher Albert est prise.
Le commissaire Wenger, alsacien, conseille Albert qui, début janvier 1942, quitte Fort-Barreaux pour Tarascon où il s’engage dans le 10e Régiment d’Artillerie Coloniale. Il quitte ainsi la France pour Marrakech au Maroc. Le 15 août 1944, Albert débarqua en Provence avec la 1ère Armée. Lors des combats, il a une indicible peur de faire feu : son frère a été incorporé de force dans la Wehrmacht et il est peut-être en face de lui. Après la libération de l’Alsace, c’est l’occupation de l’Allemagne et le départ pour l’Indochine (Le journal de Saône-et-Loire, édition de Chalon-sur Saône du 24.12.2017 ; Histoires extraordinaires de « Malgré-Nous » 2 p.295–301).