HINAUS !… RETOUR SUR UNE AFFICHE MONDIALEMENT CELEBRE

Commentaire (1) La vie quotidienne dans les provinces annexées

 

« Hinaus mit dem Schwowe Plun­der », « Dehors, le fatras boche ». Ces deux affiches signées P. Sain­tu­rat et Jacques van Ee, éditées en 1945 à l’oc­ca­sion de la libé­ra­tion de l’Al­sace, reprennent l’af­fiche bien connue « Hinaus mit dem welschen Plun­der », « Dehors, le fatras français » publiée en 1941. C’est cette dernière affiche qui va nous inté­res­ser ici.

Après la défaite française, la vie repre­nait en Alsace illé­ga­le­ment annexée au IIIe Reich natio­nal-socia­liste. Elèves et étudiants reprennent leurs études désor­mais dispen­sées en alle­mand. Notre artiste en herbe retour­nait à l’Ecole des Maîtres, la Meis­ter­schule, autre­fois école des Beaux Arts. Fin septembre 1940, les profes­seurs distri­buèrent un devoir qui semblait anodin : ils devaient, comme à l’ac­cou­tu­mée, trai­ter un sujet précis et c’était à chacun de le déve­lop­per, à l’image d’un sujet de philo­so­phie. Ce jour-là, le sujet était « Hinaus mit dem welschen Plun­der », « Dehors, le fatras français ».

Un devoir…

Aucun délai n’ayant été fixé pour rendre ce devoir, l’en­semble des élèves de la classe des Arts Graphiques se mit au travail dans une atmo­sphère bon enfant, d’au­tant plus qu’au­cun tabou ou restric­tion ne leur avait été imposé. Rien ne permet­tait aux élèves de suppo­ser que ce devoir pouvait servir à autre chose qu’à évaluer la créa­ti­vité des garçons et des filles de la classe. Ce devoir, pas plus qu’un autre, ne fit l’objet de discus­sions en famille.

Les jours passaient et personne n’ar­ri­vait à réali­ser quoique ce soit de satis­fai­sant. La plupart des projets montraient l’Al­sace sépa­rée de la France par des falaises ou alors mettaient en scène des person­nages folk­lo­riques. Il est vrai que le sujet n’était pas évident à trai­ter.

Notre élève-artiste se souvient : « J’avais beau réflé­chir, rien ne me venait à l’es­prit. Je lève la tête : trois tables à dessin devant moi, je vois une élève dessi­ner un coq empaillé posé devant elle… Euréka !! La solu­tion était là, devant moi, d’une évidence à vous faire crier coco­rico ! Le grand Guten­berg, du haut de son socle, m’au­rait tendu son parche­min, sur lequel est inscrit « Et la lumière fut », qu’il n’au­rait pas mieux trouvé ». C’est à cet instant précis que sa vie a commencé à bascu­ler vers l’en­fer. Mais il ne pouvait pas encore le perce­voir…

Une affi­che…

Excité par sa trou­vaille, il jette, d’un air amusé, quelques traits de crayons sur sa feuille de papier. Adorant réali­ser des cari­ca­tures, c’est dans cet esprit qu’il commence à dessi­ner. Avec des gestes vifs, il esquisse un coq, quelques plumes qui volent, et un aigle qui fond sur lui, toutes serres dehors. Dans sa fuite, le galli­nacé entraîne des jour­naux, des livres et diffé­rents papiers. Ses cama­rades, pouf­fant de rire, approuvent ou suggèrent de lui enle­ver encore quelques plumes. Le lende­main, c’est dans une ambiance bon enfant que chacun rendit sa créa­tion.

« Cela ne devait être qu’un devoir, un simple devoir à l’école des Beaux-Arts. Si j’avais pu me douter qu’il avait déjà été exécuté par des milliers d’élèves des écoles primaires et secon­daires sur l’en­semble de l’Al­sace et qu’au­cun n’avait été consi­déré comme satis­fai­sant. Si j’avais pu voir ce que je verrais par la suite, c’est-à-dire une chambre entière remplie d’esquisses et détudes, alors j’au­rais compris. Mais j’étais déjà pris dans un engre­nage, un étau qui s’était refermé sur moi, qui avait pris en otage ce qui m’était le plus précieux …mon don, ma passion… le dessin. A vouloir bien faire, à vouloir trop bien faire, à être trop doué, j’al­lais le payer, et le payer au prix fort. J’al­lais entraî­ner avec moi, à coups de crayons et de pinceaux, ceux que j’ai­mais. Si j’avais pu le savoir ? Mais comment l’au­rais-je su ? ».

Quinze jours plus tard, le direc­teur vint leur annon­cer, très fière­ment, qu’une maquette de leur section avait été rete­nue pour un projet de l’ad­mi­nis­tra­tion. Les élèves étaient très éton­nés. « Abasourdi, j’en­tends monsieur le direc­teur me dire : « Ils étaient tous très satis­faits de votre maquette. Il faudrait juste y appor­ter quelques modi­fi­ca­tions. En voici une liste ». Je prends la feuille ; plusieurs points y sont mention­nés : 1) ce n’est pas l’Al­le­magne qui doit être repré­sen­tée, mais l’Al­sace. Il y a lieu d’en­le­ver l’aigle et de trou­ver un autre sujet. 2) doivent appa­raître les textes et objets suivants : les livres et jour­naux – Les Oberlé, L’œuvre, La Répu­blique, Hansi Mon village –, les objets – buste de Marianne, casque et képi mili­taire, clai­ron, tour Eiffel ».

A ce moment-là, la réali­sa­tion d’une affiche n’est toujours pas évoquée. « Je pensais naïve­ment que j’exé­cu­tais un dessin destiné à un bureau », se souvient-il. « Pendant toute une semaine, je crayonne, mais rien n’est vrai­ment valable pour repré­sen­ter l’Al­sace. Un soir, penché sur le rebord de ma fenêtre de ma chambre, je regarde le ciel. Au moment de rentrer, j’aperçois, un étage plus bas, le proprié­taire qui balaye sa terrasse. Tout en le voyant faire, une pensée me traverse l’es­prit : et si la solu­tion était un balai ? ». A cet instant, son regard accroche la silhouette de la cathé­drale dans le loin­tain. Il savait enfin ce qu’il fallait qu’il dessine. Il se mit à l’ou­vrage dès le lende­main et son croquis fut unani­me­ment accepté deux jours plus tard. « Début mai 1941, on me le retourna en me deman­dant de le réali­ser en couleur sur papier format 1 m x 0,71 m. Quelques jours plus tard, le dessin en couleur terminé, je m’ap­prê­tais à le rendre lorsque l’on me pria d’y ajou­ter un béret. Cela m’agaça prodi­gieu­se­ment, je consi­dé­rais ce dessin terminé et je voulais passer à autre chose. Je l’ins­tal­lais donc telle une crêpe sur un côté du dessin et je rendais mon projet quelques jours plus tard ».

Le format demandé lui fit alors penser qu’il s’agis­sait d’une affiche, mais rien n’avait été offi­ciel­le­ment annoncé. Il pensait donc que, si affiche il y avait, elle reste­rait un docu­ment unique, peut-être destiné à figu­rer à l’en­trée d’un immeuble admi­nis­tra­tif. Dans la nuit du 17 mai 1941, sous les rota­tives des « Strass­bur­ger Neueste Nachrich­ten », des milliers d’af­fiches repré­sen­tant son dessin étaient impri­mées.
« Le matin du 18 mai, j’étais stupé­fait, éber­lué et je ne savais pas si c’était un rêve ou un cauche­mar. Partout, mais vrai­ment partout où mon regard se posait, la même affiche se répé­tait à l’in­fini. J’ap­pris que, dans le moindre esta­mi­net, sur tous les murs des villes et villages d’Al­sace, la même affiche, avec le même coq perdant ses plumes pour­suivi par un balai et, en toile de fond, la cathé­drale de Stras­bourg, avait été collée. Je n’étais pas le seul à être esto­maqué par l’am­pleur que ce petit dessin, devenu une grande affiche, avait pris. Aucun profes­seur des Beaux-Arts ne connais­sait le but final de ce devoir ».

Pour toute récom­pense, ce devoir empoi­sonné lui a valu la première affiche impri­mée, un coffret de crayons et quelques pinceaux.

« Les élèves, qui suivirent le même cursus que moi et qui se firent un nom après guerre, ont apposé, comme beau­coup d’autres anonymes, leur signa­ture sur l’af­fiche. Ce fut une très brève période pendant laquelle j’eus le droit d’être fier, non d’avoir exécuté une affiche de propa­gande, mais un dessin humo­ris­tique qui amusait beau­coup de monde.

Cette affiche reste collée à moi comme si je me l’étais tatouée à même la peau. Elle va me pour­suivre toute ma vie. Elle est, et reste encore aujourd’­hui, l’une des affiches la plus repré­sen­tée et la plus plagiée ».

Elève alors âgé de 17 ans, il ne connaî­tra jamais la gloire dont il avait rêvé. Son devoir fit et fait encore couler beau­coup d’encre, mais une encre noire comme le déses­poir.

hinaus_affiche.jpg Ci-dessus : La 1ère maquette et le devoir défi­ni­tif. Une version avec la cathé­drale de Metz fut deman­dée au jeune étudiant, mais elle ne fut jamais impri­mée. (DR)

Un enfer…

A la Libé­ra­tion, son père fut arrêté à cause de cette affiche. En effet, les auto­ri­tés françaises ne pouvaient admettre qu’un gamin de 17 ans ait pu réali­ser tout seul ce dessin. Il fut d’abords incar­céré à la prison de la rue du Fil, à Stras­bourg, puis dans l’an­cien camp nazi de Schir­meck (1944–1945). Un comble, car il n’avait entendu parler de cette future affiche que quelques jours avant la mise sous presse.
Quant à notre jeune artiste, il fut incor­poré de force au Reich­sar­beits­dienst (1941), puis dans la Wehr­macht sur le front sovié­tique dès 1943. En permis­sion depuis le 17 novembre 1944, il est à Stras­bourg quand la ville est libé­rée. Il est aussi­tôt arrêté, suite à une dénon­cia­tion, le 23 novembre et enfermé, lui aussi, rue du Fil. Il est trans­féré à l’an­cien camp de concen­tra­tion nazi du Stru­thof le 27 janvier 1945, puis au camp de Schir­meck au début du mois de mars. Il en est fina­le­ment libéré le 30 septembre 1945, après 10 mois d’in­car­cé­ra­tion… pour avoir simple­ment été un élève doué.

Mais sa famille et lui n’ont pas fini de payer le prix fort : à cause de cette affiche, sa sœur perd son travail en 1946, son père en 1947 et lui-même à trois reprises.
« Je me demande, encore aujourd’­hui, comment on a pu en arri­ver là, aucun dossier sur les raisons de mon arres­ta­tion n’a été ouvert à cette période. Aucune expli­ca­tion sur la réali­sa­tion de l’af­fiche ne m’a été deman­dée. Si, au moins, j’avais pu m’ex­pliquer, mais non : ils nous ont simple­ment enfermé sans autre forme de procès », constate-il. « Ce ne sera qu’en 2004 qu’un profes­seur de l’école des Arts Déco­ra­tifs de Stras­bourg, qui dési­rait retra­cer l’his­toire de l’école, décou­vrira la vérité sur son exécu­tion. Je lui dois aujourd’­hui que l’his­toire recon­naisse qu’elle fut exécu­tée non par convic­tion poli­tique, mais simple­ment comme un élément dans le cadre de mes études ».

Ainsi, le fait d’avoir été un étudiant talen­tueux lui valut l’op­probre de la France, cette France qui avait rassuré les Alsa­ciens annexés en leur disant qu’ils pouvaient signer tout ce que les nazis leur feraient signer, car, du fait que c’était sous la contrainte d’une dicta­ture, il ne leur serait pas tenu rigueur à la Libé­ra­tion. C’est ainsi qu’un artiste fut déporté mili­taire dans l’ar­mée alle­mande et subit l ‘épu­ra­tion de la Mère Patrie. Une belle illus­tra­tion du para­doxe alsa­cien…

Nico­las Mengus

One Response to HINAUS !… RETOUR SUR UNE AFFICHE MONDIALEMENT CELEBRE

  1. Nicolas Mengus dit :

    J’en ai publié un résumé dans « Trésors des bibliothèques et archives d’Alsace » édité par La Nuée Bleue en 2017.

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