Du 7 au 10 juin, une délégation de Waldolwisheim s’est rendue à Thaon, petite ville de Normandie proche de Caen. Des formidables retrouvailles entre amis puisqu’en 2018, des Thaonnais étaient venus à Waldolwisheim, joli village proche de Saverne. Un jumelage initié depuis 5 ans grâce à Jean Bézard et Nicole Aubert, ce couple de Normands passionnés par l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale et en particulier celle des évasions d’incorporés de force en Normandie en 1944.
Un de ces incorporés de force alsacien, âgé de 95 ans, habite d’ailleurs à Cabourg avec son épouse depuis 2017. Joseph Maeder, né à Soultz (comme sa femme Alice) en mars 1924, habitait auparavant à Cernay mais voulait se rapprocher de son fils à Caen. Jusqu’ici pas grand chose d’original…Ce qui l’est plus, c’est le parcours de cet Alsacien qui perdit tôt son père et fut mis en pension dans le collège Saint Joseph à Matzenheim : « un style militaire…pas le droit de parler alsacien…on étudiait le latin et le grec, j’étais mieux au labo de physique-chimie… On voyait la famille à Noël et aux grandes vacances » .Une routine qui prend fin brutalement, suite à l’annexion de fait de l’Alsace-Moselle par l’Allemagne en 1940. Le collège ferme ses portes, comme tous les établissements tenus par des congrégations religieuses. Joseph Maeder a 16 ans et il marche sur la route…Vers une extraordinaire coïncidence après de nombreuses épreuves.
« Pétain nous a vendus »
Ce sentiment de trahison lui fait dire, encore aujourd’hui, que « Pétain nous a vendus ». Parce que vite c’est le RAD et mi-septembre 1942, après trois mois, l’armée allemande (Wehrmacht) en Bavière : « On a construit une poste d’atterrissage, j’étais devenu apprenti électricien…Ils ont ensuite cherché un volontaire pour être sous-officier, on m’a désigné. » Il a 18 ans, il est résigné. En 1943, il se retrouve en Belgique, à Anvers et ensuite en Ukraine où il est blessé par les « orgues de Staline », ce terrible lance-roquette multiple. De ses trois semaines en Russie, il se souvient de l’attaque d’un train militaire par les Soviétiques puis des hôpitaux militaires à Kiev et en Pologne. Enfin sa compagnie est mise au repos en France, à Valras plage près de Béziers : « J’étais le seul Alsacien mais il y avait des Polonais incorporés de force comme nous » . Comme il parle français, le voilà commis au ravitaillement « car on recevait des sous mais pas de cantine ». Il se souvient d’une virée en mer, sur le canot de sauvetage de la ville de Valras, lui qui sait où se trouvent les mines, avec des pêcheurs de Valras qui savent où se trouve le poisson. Le 6 juin 1944, il est au poste radio et apprend la nouvelle du Débarquement. Finie le farniente ! Deux jours après, Joseph Maeder, passé par Toulouse, est en Normandie. Des résistants ont fait sauter deux wagons. Il passe la nuit dans les douves du château de Missy, à Grainville sur Odon où la Wehrmacht s’est installée. Le château n’existe plus, il a été bombardé par les Alliés, Anglais et Canadiens lors de l’opération Epson. Un gradé lui demande de former une patrouille de reconnaissance. Et c’est là qu’il prend courageusement un grand risque : « J’avais mon groupe, on était 9, que des Polonais, j’étais le seul Français. Je leur ai dit en allemand « Pour nous, ici c’est fini. Vous êtes d’accord ? ». Pas un n’a refusé ! On a marché et on an vu un feu de camp. C’était des soldats canadiens qui parlaient en anglais. Ils ont envoyé un capitaine qui parlait français. »
Et c’est alors qu’une incroyable coïncidence surgit. Après les premières explications, le Canadien lui demande « D’où venez vous ? » et Joseph répond « de Soultz » . Le Canadien est abasourdi. Car lui aussi vient de cette localité haut-rhinoise ! Bien avant la Guerre, cet homme du nom de Latscha avait émigré au Canada : « Je connaissais sa famille mais pas lui, d’une autre génération que moi… » Alice Maeder confirme : « Je voyais qui c’était, un voisin.. » Deux jours après, Joseph est embarqué avec des Polonais et des Serbes sur un Liberty Ship, un bateau qui va à Southampton. Le voilà en Ecosse. Joseph se porte volontaire pour chercher de la tourbe avec une pelle, un précieux ingrédient pour le whisky…Il envoie une carte postale de prisonnier de guerre à sa mère qui apprend ainsi que son fils est encore en vie ! « Après la vodka et le calvados, voilà le whisky.A 20 ans j’avais appris à boire ! » plaisante Joseph qui a retrouvé en Ecosse d’autres Alsaciens de son âge incorporés de force, notamment de Soultz : « Des officiers français nous ont demandé de nous engager pour la durée de la guerre. » Uniforme anglais, sac marin, septembre 1944. Joseph est à présent dans un camp militaire dans le Surrey, à Kimberley « là où la princesse Elizabeth, celle qui deviendra reine, était chauffeur à 17 ans ! ». De Kimberley, on le rapatrie en France où il faut l’Ecole militaire à Paris.. Mais en janvier 1945, il demande à être démobilisé. Impossible de rentrer en Alsace où les combats de la poche de Colmar font rage. Direction Narbonne où des gens lui ont proposé de l’accueillir. Soultz est libérée le 4 février « On est rentrés le 20 mars 1945 avec un copain de Mulhouse. Au château de Soultz c’était la grande vie. Chaque compagnie donnait sa soirée avant de traverser le Rhin pour achever la guerre. » Joseph rencontre Alice à un bal. Côté professionnel, il devient agent du Trésor puis occupe un poste à responsabilité chez Michelin en Allemagne tout en habitant à Lauterbourg, un choix de frontalier pour vivre en France.
Marie Goerg Lieby
Extrait du livret militaire FFL.
Alice et Joseph Maeder