La bataille de Norman­die vécue par Jacque­line Gillette (épouse Thérin)

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Jacque­line Gillette (épouse Thérin)

17ans

Bataille de Norman­die

Cahagnes : 6 juin 1944 au 28 juillet 1944

Arri­vée à Neuvy-en-Manges – Maine et Loire.

 

Dès trois heures du matin, dans la nuit du 6 juin, un puis­sant gron­de­ment se fit entendre, d’abord loin­tain puis effroyable au fur et à mesure qu’il se rappro­chait. Confron­tés à un bruit de plus en plus assour­dis­sant, beau­coup de personnes réveillées en sursaut, se sont vite retrou­vées debout, se deman­dant ce qui se passait.

Dans le ciel, à la levée du jour, quelque soit l’en­droit où se levaient les yeux, on ne voyait plus que des avions. Des centaines ? Leur nombre était telle­ment impres­sion­nant qu’il eut été impos­sible de les dénom­brer avec exac­ti­tude.

Vers sept heures, nous avons appris que les anglais avaient débarqué.

C’est alors que sans discon­ti­nuer, nous enten­dions les bruits sourds de projec­tiles s’écra­sant au sol. Des pièces des canons de marine lançaient des obus sur la terre française, obus qui détrui­saient tout au moment de leur impact. Pendant ce temps les avions anglais larguaient leurs bombes sur l’ar­mée alle­mande qui occu­pait le sol français.

Depuis le début de cette guerre, mon beau-frère étant prison­nier en Alle­magne, (Il devait y rester sept longues années) j’étais toujours chez ma sœur (au village de la Caille­rie). Je reve­nais le soir chez mes parents, mais huit jours après cette offen­sive, soit le 13 juin, les bruits et les obus se rappro­chant dange­reu­se­ment, les gens avaient creusé des tran­chées pour, -croyaient-ils, s’y mettre à l’abri? Nous fûmes obli­gés de nous y réfu­gier, car les anglais avaient fait une avan­cée sur Briques­sard-la-Baille­rie. N’ayant fina­le­ment pas trouvé d’Al­le­mands, ils avaient vite rejoint la côte. Nous occu­pions  » notre  » tran­chée avec la famille Lebas­tard, ce qui nous mettait à treize personnes dans un petit réduit.

Le mardi 13 juin, au matin, nous nous sommes à nouveau terrés dans la tran­chée, car les tirs arri­vaient de partout. Malheu­reu­se­ment le grand-père Lebas­tard était para­lysé et demeu­rait assis dans un vieux fauteuil. Nous trou­vant dans l’im­pos­si­bi­lité de le descendre dans la tran­chée, nous l’avions disposé dans un renfon­ce­ment de la haie voisine où il a demeuré nuit et jour. Nous lui portions à manger, le soir, à la nuit tombante, en rampant telle­ment c’était dange­reux. Mais le temps passant, il nous restait peu à manger et à boire. Dans cette tran­chée trop petite, confi­nés, presque sans air, sans lumière, serrés les uns contre les autres, et toujours debout, nous ne pouvions dormir. Il en était ainsi pour ma nièce qui avait alors six ans. Alter­na­ti­ve­ment, ma sœur et moi, la prenions dans nos bras pour essayer de la faire dormir. Nous vivions ainsi domi­nés par la peur, et nous étions morts de fatigue.

Le midi du 14 juin, nous mangions tous sur le bord de la tran­chée tout en regar­dant les convois anglais qui passaient sur le pont  » des Prix « (Desbis­sons).

Le maigre repas se termi­nait, lorsque d’un seul coup, les balles se sont mises à siffler au travers des haies, et les mitrailleuses à cracher leurs rafales destruc­trices.

Tous effrayés, nous sommes vite rentrés dans notre abri de fortune.

Hélas, ces scènes d’épou­vante étaient deve­nues régu­lières, et face à ce danger perma­nent, combien de fois avons-nous cru notre dernière heure arri­vée ! ?.

La bataille s’en­ga­geait au dessus de nos têtes, dans le ciel, au sol, dans les four­rés, tout autour de nous. C’était une guerre épou­van­table, brutale que nous subis­sions dans notre « trou à rats ».

Combien avons-nous vu passer de mili­taires armés au bord de  » notre « tran­chée, venant contrô­ler que nous étions bien des civils ? De son renfon­ce­ment le grand-père Lebas­tard a tout vu, sans être touché par la mitraille, fort heureu­se­ment.

Dans ces moments là, les personnes âgées égre­naient leur chape­let mais personne ne parlait. La peur nous para­ly­sait au point que nous ne pouvions plus émettre un son.

Après avoir vu tant de mili­taires, allant et venant, nous avions espéré et même cru un moment que nous allions être libé­rés, mais hélas le moment n’était pas encore venu.

Ne pouvant plus y résis­ter, à 15 heures, nous formions un groupe de sept personnes pour nous rendre chez mes parents à  » La Rivière  » où nous pensions nous retrou­ver dans de meilleures condi­tions.

Les obus pleu­vaient tant que plus, et c’est avec beau­coup de diffi­cul­tés que nous nous sommes extraits de la tran­chée. Avec prudence, nous avions réussi à nous rendre jusqu’à la rue dite « Les Valettes « , proté­gés du regard par des grandes haies de chaque côté. Hélas la haie que nous longions se termi­nant, nous nous sommes retrou­vés à décou­vert, la vue se déga­geant jusqu’à Caumont l’Éventé.

Les canon­niers anglais nous ont aperçus et ont sans doute pensé que nous étions des enne­mis. C’est alors qu’ils nous ont visé et lancé des obus. Tous en même temps, nous sommes tombés à terre, aveu­glés, étour­dis, abasour­dis par la fumée et la poudre brûlée qui fumait autour de nous.

J’étais tombée avec ma nièce. A quelques mètres ma sœur m’ap­pe­lait, mais personne ne pouvait s’en­tendre dans ce tumulte. Le bruit de la canon­nade nous rendait sourds. Les brin­dilles d’herbes brûlées se disper­saient dans nos cheveux. Partout autour de nous c’était la déso­la­tion de la terre brûlée.

Près de moi, se trou­vait l’em­ployée de Madame Lebas­tard. La pauvre Madame Godard avait été foudroyée par un obus. Je la voyais là, éten­due sur le dos, le sang coulant d’un bras, et aussi de son ventre, les yeux hagards, pous­sant un cri déchi­rant, cri ultime avant sa mort deve­nue inéluc­table.

En hâte, la belle-fille de Madame Godard l’avait vite recou­verte de quelques branches tombées à terre. Ce n’est que cinq à six jours plus tard, que Monsieur le curé, l’abbé Hom avait pu enle­ver le corps déjà décom­posé, à l’aide d’une brouette. Et comme il n’y avait plus personne dans le pays pour fabriquer un cercueil, ce prêtre prit l’ini­tia­tive de placer la défunte dans une grande boîte ayant contenu des cierges, en atten­dant une véri­table sépul­ture qui eut lieu, peut-être deux mois plus tard.    Nous nous enfuîmes donc sur cette vision atroce, une vision cauche­mar­desque repré­sen­tée par la mort. Comme cela avait été dur de la lais­ser ainsi, mais il nous fallait vite la quit­ter pour essayer d’évi­ter d’autres malheurs.

Nous nous sommes mis à courir, et après nous avons rampé dans une autre vielle rue.

Les obus arri­vaient de partout. Je possé­dais un foulard qui se trou­vait dans un « triste sac à main » et ce foulard avait été trans­percé d’un coin à l’autre par des éclats de mitraille.

Nous avons ensuite conti­nué notre chemin à l’abri de haies. Bien­tôt, nous avons aperçu Villiers-Bocage et Aunay sur Odon qui devaient brûler entiè­re­ment après avoir été détruites par les bombes. Toutes les 10 minutes, nous nous jetions à plat ventre, ultime recours pour éviter les projec­tiles que les canons tiraient de tous bords. Dans un vacarme pétri­fiant, les obus sortaient de la gueule du canon à une cadence effré­née. Le ciel était en feu.

Nous étions affo­lés, mais après au moins deux kilo­mètres parcou­rus sous la mitraille, nous avons fini par arri­ver à « La Rivière « .

Mes parents nous croyaient en sécu­rité à  » La Caille­rie « .

Aussi en nous voyant arri­ver, les cheveux en brous­saille, les loques qui nous servaient encore d’ha­bits tant ils étaient en lambeaux, dégue­nillés, les corps d’une saleté repous­sante, mes parents au premier abord, ne nous recon­nais­saient même pas.

Après avoir connu la faim, la soif, la peur, nous retrou­vions là, un semblant de calme après ce que nous venions d’en­du­rer. Nous enten­dions bien des coups sourds qui reten­tis­saient au loin. Cela se produi­sait plutôt sur la côte.

Nous sommes restés à « La Rivière » jusqu’au 1 juillet, mais de jour en jour notre très rela­tive séré­nité dispa­rais­sait au fur à mesure que les canon­nades se rappro­chaient dange­reu­se­ment autour de notre maison.

Celle de Marie Cathe­rine fût atteinte par un obus incen­diaire qui la brûlât entiè­re­ment. Toutes les vaches étaient tuées à tour de rôle. Ma mère, Marie-Louise était partie un matin pour traire les siennes comme d’ha­bi­tude, mais elle ne put que consta­ter qu’elles étaient sans vie. Seul un petit veau avait survécu au déluge de feu, et le pauvre essayait de téter le pis de sa mère morte, pour avoir sa nour­ri­ture.

Devant le nouveau danger qui se préci­sait, nous avons pris la déci­sion de partir à Saint Vigor-des-Meze­rets, ma sœur et moi à bicy­clette, et ma nièce dans une voiture à cheval avec Roger Thérin.

Il faut dire aussi que le 14 juin, les alle­mands avaient réqui­si­tionné la maison de mes parents. La komman­dan­tur s ‘y était instal­lée, le comman­dant occu­pant la chambre conju­gale, l’adju­dant dans la seconde (la mienne) et une ordon­nance et deux cuisi­niers occu­paient la troi­sième. Ils étaient donc cinq, quatre autri­chiens, et un prus­sien pas du tout commode.

Pour leur lais­ser la place, il ne nous restait plus qu’à vivre dans une cave. Nous couchions dans de vieux fauteuils pour certains, ou allon­gés dans des couver­tures à même le sol pour d’autres. Il nous était très diffi­cile de dormir, car chaque nuit, sur la route qui longeait la maison, nous devions endu­rer le bruit occa­sionné par un flot inter­rompu de camions mili­taires, et chenillettes qui faisaient vibrer les murs à chaque passage.

Un soir avant que nous ayons évacué, un alle­mand parlant le français nous dit discrè­te­ment « Demain matin, départ pour Tilly, nous tous kaput »

Prémo­ni­toire en effet, car nous devions apprendre plus tard qu’ils avaient été pris dans la poche de Tilly, et qu’ils avaient été tués.

D’autres alle­mands avaient pris leur place chez nous, mais mon père Auguste, n’avait pas voulu évacuer. Ayant fait la guerre 14–18, il se croyait un peu privi­lé­gié.

Le 8 juillet, à 18h30 ce sont donc quatre alle­mands qui sont arri­vés, armés de leurs fusils mitrailleurs, prêts à tirer. Un chef avait alors pris la parole et d’un air vrai­ment méchant nous inti­mait l’ordre de partir immé­dia­te­ment.

Papa lui répon­dit que nous parti­rions le lende­main matin à deux heures.

– « Je vous dis 7h30 (19h30). Si dans une heure, vous n’êtes pas partis, je vous fusille dans votre maison ».

Que restait-il à faire ? Nous n’avions d’autre choix que nous soumettre et partir en lais­sant tout ce que nous possé­dions derrière nous.

C’est ainsi qu’au gré des combats, l’exode a commencé.

 

  • 1er juillet : Cahagnes – La Bigne – Coul­vain – Onde­fon­taines – Jurques- St Céle­rin.
  • 3 juillet : Ples­sis-Grimault – St Jean le Blanc – Senault.
  • 11 juillet : St Vigor des Meze­rets – Vassy – Vier­sorx – Bernières le Patry – Tinche­bray – Irandes
  • 12 juillet : Beau­chêne 6 Lonlay- Lablaye – Rouelle – St Mars d’Egrenne.
  • 13 juillet : St Fran­clossq Pesse – Couesnes
  • 14 juillet : Le Pas Aubrières – La Haie Traver­saire.
  • 15 juillet : St Fran­bosq de Pières – Arons
  • 16 juillet : Jublains – Nean – St Chris­tophe de Luat – Luet – St Leger – Varges – La Bazouge du Cheminé – St Denis du Maine – Melay du Maine.
  • 19 juillet : Grey en Bouère – St Agnan-Châte­lain – Argen­tan.
  • 20 juillet : Daon – Mari­gné.
  • 21 juillet : Cham­pi­gné.
  • 22 juillet : Cante­nay-Epinard – Angers – Les Ponts de Cé – Aurs – Denée.
  • 25 juillet : Denée – Roche­fort – St Aubin du Loire – La Jumel­lier – St Lezin.
  • 28 juillet : Neuvy-en-Mauges ( Maine et Loire)

 

L’exode était orga­nisé par le prêtre de Cahagnes, l’abbé Hom qui avait réussi à rassem­bler 382 personnes pour les évacuer à l’aide de chevaux, atte­lés à des char­rettes, des banneaux, étaient remplis du strict néces­saire qui avait pu être sauvé des alle­mands. L’abbé n’avait qu’une bicy­clette. Il parcou­rait des kilo­mètres pour que nous les Caha­gnais, nous trou­vions en arri­vant un point de chute. Cela pouvait être une cave, une grange, de la paille pour dormir. Il arri­vait qu’il nous trou­vât une salle, un préau. Dans chaque commune, nous rencon­trions des béné­voles qui nous avez préparé une soupe, voire un lait chaud, car comme il y avait les tickets de ration­ne­ment, nous ne pouvions rien ache­ter.

Heureu­se­ment la soli­da­rité n’était pas un vain mot par ces temps de disette.

Et nous avons pu en mesu­rer l’éten­due lorsque notre périple nous a conduits à Neuvy-en Mauges. Cette petite commune nous a reçus d’une façon exem­plaire. A notre arri­vée, nous avions tous une famille d’ac­cueil pour nous loger, et nous procu­rer des vivres. Après des semaines drama­tiques, nous pouvions enfin dormir et manger de manière conve­nable, ce qui ne nous était pas beau­coup arrivé depuis le mois de juin. C’était très agréable d’être reçus aussi chaleu­reu­se­ment. Les habi­tants de cette petite cité avaient tout de suite compris ce que nous venions de subir et ils nous accueillaient avec une extrême gentillesse qui nous allait droit au cœur.

Deux châteaux de Neuvy-en-Mauges allaient nous être ouverts dont celui de la Moro­sière qui appar­te­nait à la prin­cesse Madame de Rumsbecq, qui très dévouée et chari­table a hébergé dans les communs du château plus de quatre vingt personnes de chez nous.

Vers le début de septembre, dans ce petit bourg, nous avons vu un jour des Alle­mands mal habillés, certains avec de mauvais vélos, ou à pied pour d’autres, et surtout sans armes.

A ce moment là, nous avons compris que pour eux avait sonné l’heure de la défaite.

Le prêtre et quatre personnes se sont rendus à Cahagnes où ils ont retrouvé un bourg en ruines.

Suite à cela, il fut décidé que notre retour se ferait le 4 septembre. Ce fut un travail labo­rieux pour rassem­bler ce que nous possé­dions encore, mais nous étions tout de même heureux de reve­nir chez nous.

Le périple que nous avions effec­tué pour venir nous réfu­gier à Neuvy-en Mauges, pouvait alors s’ac­com­plir dans le sens du retour.

 

  • 4 septembre : départ Neuvy-en Mauges. Les ponts de la Loire étant détruits, nous avons du passer sur un embar­ca­dère en planches au Pont de Cé.
  • 5 septembre : Belli­gné – Condé Chablain-la-Pote­rie.
  • 6 septembre : St Michel et Chaveaux – La Trévière.
  • 7 septembre : Pouancé- St Aignan – Brains – – Les Marches.
  • 8 septembre : La Guerche – Moutiers – Vitré.
  • 9 septembre : Taillis – St Chris­tophe-des- Bois – Fougères.
  • 10 septembre : Landeau – St Hilaire – Gothé­mon – Vire.
  • 11 septembre ; Neuville.
  • 12 Septembre : Nous rentrons à Cahagnes à 18h30

 

Anec­dotes :

 

Le 4 juillet, à Vies­soix, tout près d’une ligne de chemin de fer, nous couchons dans une étable, dans la paille. A la nuit tombante, alors que nous sommes tous allon­gés, sans dormir, nous aper­ce­vons une dame qui se tient debout devant la porte entrou­verte. Elle est restée au moins 10 à 15 mn sans pronon­cer un mot. Le lende­main, nous repre­nons la route. Arri­vés plus loin, soit une heure plus tard, la ligne de chemin de fer avait sauté, suite à un acte de résis­tance.

Le 27 juin , tout le village de Hamars , (soit Thérin, Gaillard, Devy , Aune) était arrivé à Le Ples­sis Grimoult. L’aî­née d’une famille nombreuse plaçait sur des épais buis­sons d’épines, des draps lavés en hâte pour repar­tir le lende­main, mais ce 30 juin 1944, un avion allié passe et largue une seule bombe tuant seize personnes d’un coup, la plus âgée avait 70 ans et la plus jeune, une petite fille de deux mois, tuée dans son berceau. Choqués et tristes, les hommes ont creusé une fosse commune pour les ense­ve­lir car il n’y avait pas de cercueil, et en raison des bombar­de­ments, il fallait faire vite. Les corps étaient placés les uns près des autres. Certains étaient affreu­se­ment muti­lés, et beau­coup d’autres étaient mécon­nais­sables. Une bouteille conte­nant un papier avec le nom de chaque victime était placée près d’elle afin de les rele­ver sans erreur, dès qu’un répit pouvait le permettre. Le retour au cime­tière de Cahagnes, a demandé plusieurs mois. Le trans­fert s’est effec­tué avec des carrioles à chevaux. Je crois qu’il y en avait quinze. L’abbé Hom ouvrait le funèbre défilé.

Pour nous, il était impé­ra­tif de conti­nuer la route de l’exode en lais­sant tous ces morts derrière nous, car au loin les bombar­de­ments étaient de plus en plus inten­sifs. Nous devions aller loin, toujours plus loin, passer la Loire coûte que coûte.

 

 

Vers le 15 juin, les alliés ont fait une percée sur Tilly-sur-Seulles, je me trou­vais chez mes parents au village de  » La Rivière « . Soudain deux alle­mands arri­vaient par le chemin dit « des Fontaines « . Mon père leur offrit un verre de cidre. Assis sur le banc de la cuisine, ils avaient les yeux effa­rés, le visage empour­pré, un regard méchant. Il nous était permis de suppo­ser qu’ils venaient de faire un mauvais coup, car leurs armes blanches suspen­dues à leur cein­tu­ron étaient tachées de sang. Il en était de même pour leurs panta­lons et leurs bottes. Ils ne sont restés que quelques minutes seule­ment, et après avoir bu, ils sont repar­tis très vite, comme des fous, sans pronon­cer le moindre mot, mais en volant tout de même au passage la veste de pompier que mon père avait dispo­sée dehors au soleil.   Nous les avons vus déta­ler à grand pas par le petit chemin d’Acque­ville. Nous avons toujours pensé qu’ils avaient tué ceux qui les gênaient pour pouvoir déser­ter plus faci­le­ment.

 

 

Mon père Auguste avait une petite chienne de chasse nommée Bobette. Elle a fait l’al­ler et le retour à pied auprès de la carriole que son maître condui­sait, soit envi­ron 500 km. Cahagnes – Nevy-en Mauges. Elle est morte quelques années plus tard.

 

 

En septembre 1941, le prêtre avait décidé d’or­ga­ni­ser une repré­sen­ta­tion avec les jeunes de la commune afin de récol­ter des fonds en vue d’ai­der à confec­tion­ner les colis que l’on desti­nait aux français prison­niers en Alle­magne. N’ayant pas de salle libre, les Alle­mands étant partout, le maire avait trouvé un grand hangar agri­cole, au fond de la cour de la ferme de Monsieur Levêque. Les maîtres d’école du moment avaient parti­cipé en faisant chan­ter les enfants de plusieurs classes. C’était simple, mais bien pour la circons­tance.

Mais il y avait un magi­cien qui faisait partie du spec­tacle. Il présen­tait tous ses trucs, qui allaient des colombes sortant du chapeau, des mouchoirs qui sortaient par dizaines d’une simple enve­loppe, en s’en­vo­lant douce­ment, mais la finale fut compliquée, car il fit sortir une quan­tité de petits drapeaux dont un qui repré­sen­tait la bannière anglaise.

Hélas pour lui, il y avait dans la foule quelques alle­mands qui n’ont pas appré­cié. Furieux, ils sont montés sur la scène pour arra­cher ce drapeau anglais. Ii a fallu que le Maire, le curé, le magi­cien, les respon­sables usent de diplo­ma­tie pour convaincre l’of­fi­cier alle­mand que ce tour de magie n’était pas destiné a provoquer en encen­sant osten­ta­toi­re­ment les anglais, mais juste pour une bonne cause.

Sur la scène, il ne demeu­rait plus que les inté­res­sés, car tout le monde avait pris peur, et la foule s’était vite disper­sée.

 

 

Lorsque les obus sont deve­nus plus rappro­chés sur Cahagnes, une grande partie des vaches furent tuées, les autres demeu­raient affo­lées. Derrière la maison, dans le champ de pommiers, il y avait un taureau. Il était devenu fou, furieux, et il n’était pas ques­tion que nous en appro­chions. Les fusils de tous les français ayant été réqui­si­tion­nés et remis en mairie, nous dûmes appe­ler un alle­mand pour qu’il le tue avec son arme. Histoire à peine croyable, mais pour­tant vraie l’arme de l’of­fi­cier s’est enrayée, le taureau fou s’est enfui, et l’al­le­mand est reparti très déçu, et surtout furieux.

 

 

Avant le 6 juin 1944, les alle­mands avaient raflé six ou sept résis­tants de notre région, et les avaient aussi­tôt enfer­més à la prison de Caen. Nous n’avons jamais su s’ils avaient été dénon­cés, mais on peut le suppo­ser car dans ces moments là, il y avait des « bons français » assez cupides pour faire cette macabre besogne en échange de monnaie trébu­chante. La déla­tion était courante. Combien ont perdu la vie à cause de ces dénon­cia­tions ?

Je connais­sais Monsieur de St Paul, d’Amayer-sur- Seulles, Monsieur Jean Gaby de Villers -Bocage (une rue de cette petite ville porte son nom). Ce qui est sûr, le 6 juin au matin, ces six ou sept résis­tants ont été fusillés par les alle­mands à la prison de Caen, et la presse nous a appris que les corps n’ont jamais été retrou­vés.

 

 

Malgré mon jeune âge à l’époque des faits, je n’ou­blie­rai jamais l’ap­pel du Géné­ral de Gaule, lancé d’An­gle­terre, et diffusé sur la radio le 18 juin. Une voix sévère, impo­sante, solen­nelle nous ont permis de croire à notre dernière chance.

Ce fut le cas !

 

 

Sur la route entre Cahagnes et Caumont l’Eventé, repose le corps du lieu­te­nant James Marschal Bomme­vall.

Le 30 juillet 1944, le quatrième bataillon de chars britan­niques avait attaqué les posi­tions alle­mandes dans l’ex bois de Mondant, pour libé­rer Cahagnes.

Au moment de remettre les prison­niers à son unité d’ap­pui le lieu­te­nant Comvall a été tué d’une balle enne­mie.

Son père, Géné­ral avait exprimé sa volonté de lais­ser la dépouille de son fils dans notre terre normande baignée de son sang. Chaque année à la même époque la commune de Cahagnes rend hommage à ce lieu­te­nant martyr, avec célé­bra­tion de messe et dépôt de gerbe sur sa tombe.

 

 

 

Cahagnes est une petite commune située entre Villers-Bocage et Caumont l’Éventé. Les Alle­mands étaient partout (plus nombreux que les habi­tants). Dans le bourg, un commerce : épice­rie, bar, restau­rant. Mon futur époux jouait au billard. Derrière lui, une petite table où s’as­sied un Alle­mand qui lui demande: Voulez-vous vous asseoir là? Après quelques hési­ta­tions, mon mari s’as­sied, et l’Al­le­mand, d’un franc parler et en bon français, lui dit : « Je suis là contre ma volonté. Je suis un vrai Alsa­cien. Ils m’ont enrôlé de force. Je suis très malheu­reux : je dois obéir ou je suis fusillé. » A ce moment là, d’autres Alle­mands sont arri­vés. L’Al­sa­cien est mis au garde-à-vous. Il fut obligé de partir avec eux. Mais dans son triste regard, c’était l’obéis­sance et la douleur. C’était la guerre.

 

 

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