Jacqueline Gillette (épouse Thérin)
17ans
Bataille de Normandie
Cahagnes : 6 juin 1944 au 28 juillet 1944
Arrivée à Neuvy-en-Manges – Maine et Loire.
Dès trois heures du matin, dans la nuit du 6 juin, un puissant grondement se fit entendre, d’abord lointain puis effroyable au fur et à mesure qu’il se rapprochait. Confrontés à un bruit de plus en plus assourdissant, beaucoup de personnes réveillées en sursaut, se sont vite retrouvées debout, se demandant ce qui se passait.
Dans le ciel, à la levée du jour, quelque soit l’endroit où se levaient les yeux, on ne voyait plus que des avions. Des centaines ? Leur nombre était tellement impressionnant qu’il eut été impossible de les dénombrer avec exactitude.
Vers sept heures, nous avons appris que les anglais avaient débarqué.
C’est alors que sans discontinuer, nous entendions les bruits sourds de projectiles s’écrasant au sol. Des pièces des canons de marine lançaient des obus sur la terre française, obus qui détruisaient tout au moment de leur impact. Pendant ce temps les avions anglais larguaient leurs bombes sur l’armée allemande qui occupait le sol français.
Depuis le début de cette guerre, mon beau-frère étant prisonnier en Allemagne, (Il devait y rester sept longues années) j’étais toujours chez ma sœur (au village de la Caillerie). Je revenais le soir chez mes parents, mais huit jours après cette offensive, soit le 13 juin, les bruits et les obus se rapprochant dangereusement, les gens avaient creusé des tranchées pour, -croyaient-ils, s’y mettre à l’abri? Nous fûmes obligés de nous y réfugier, car les anglais avaient fait une avancée sur Briquessard-la-Baillerie. N’ayant finalement pas trouvé d’Allemands, ils avaient vite rejoint la côte. Nous occupions » notre » tranchée avec la famille Lebastard, ce qui nous mettait à treize personnes dans un petit réduit.
Le mardi 13 juin, au matin, nous nous sommes à nouveau terrés dans la tranchée, car les tirs arrivaient de partout. Malheureusement le grand-père Lebastard était paralysé et demeurait assis dans un vieux fauteuil. Nous trouvant dans l’impossibilité de le descendre dans la tranchée, nous l’avions disposé dans un renfoncement de la haie voisine où il a demeuré nuit et jour. Nous lui portions à manger, le soir, à la nuit tombante, en rampant tellement c’était dangereux. Mais le temps passant, il nous restait peu à manger et à boire. Dans cette tranchée trop petite, confinés, presque sans air, sans lumière, serrés les uns contre les autres, et toujours debout, nous ne pouvions dormir. Il en était ainsi pour ma nièce qui avait alors six ans. Alternativement, ma sœur et moi, la prenions dans nos bras pour essayer de la faire dormir. Nous vivions ainsi dominés par la peur, et nous étions morts de fatigue.
Le midi du 14 juin, nous mangions tous sur le bord de la tranchée tout en regardant les convois anglais qui passaient sur le pont » des Prix « (Desbissons).
Le maigre repas se terminait, lorsque d’un seul coup, les balles se sont mises à siffler au travers des haies, et les mitrailleuses à cracher leurs rafales destructrices.
Tous effrayés, nous sommes vite rentrés dans notre abri de fortune.
Hélas, ces scènes d’épouvante étaient devenues régulières, et face à ce danger permanent, combien de fois avons-nous cru notre dernière heure arrivée ! ?.
La bataille s’engageait au dessus de nos têtes, dans le ciel, au sol, dans les fourrés, tout autour de nous. C’était une guerre épouvantable, brutale que nous subissions dans notre « trou à rats ».
Combien avons-nous vu passer de militaires armés au bord de » notre « tranchée, venant contrôler que nous étions bien des civils ? De son renfoncement le grand-père Lebastard a tout vu, sans être touché par la mitraille, fort heureusement.
Dans ces moments là, les personnes âgées égrenaient leur chapelet mais personne ne parlait. La peur nous paralysait au point que nous ne pouvions plus émettre un son.
Après avoir vu tant de militaires, allant et venant, nous avions espéré et même cru un moment que nous allions être libérés, mais hélas le moment n’était pas encore venu.
Ne pouvant plus y résister, à 15 heures, nous formions un groupe de sept personnes pour nous rendre chez mes parents à » La Rivière » où nous pensions nous retrouver dans de meilleures conditions.
Les obus pleuvaient tant que plus, et c’est avec beaucoup de difficultés que nous nous sommes extraits de la tranchée. Avec prudence, nous avions réussi à nous rendre jusqu’à la rue dite « Les Valettes « , protégés du regard par des grandes haies de chaque côté. Hélas la haie que nous longions se terminant, nous nous sommes retrouvés à découvert, la vue se dégageant jusqu’à Caumont l’Éventé.
Les canonniers anglais nous ont aperçus et ont sans doute pensé que nous étions des ennemis. C’est alors qu’ils nous ont visé et lancé des obus. Tous en même temps, nous sommes tombés à terre, aveuglés, étourdis, abasourdis par la fumée et la poudre brûlée qui fumait autour de nous.
J’étais tombée avec ma nièce. A quelques mètres ma sœur m’appelait, mais personne ne pouvait s’entendre dans ce tumulte. Le bruit de la canonnade nous rendait sourds. Les brindilles d’herbes brûlées se dispersaient dans nos cheveux. Partout autour de nous c’était la désolation de la terre brûlée.
Près de moi, se trouvait l’employée de Madame Lebastard. La pauvre Madame Godard avait été foudroyée par un obus. Je la voyais là, étendue sur le dos, le sang coulant d’un bras, et aussi de son ventre, les yeux hagards, poussant un cri déchirant, cri ultime avant sa mort devenue inéluctable.
En hâte, la belle-fille de Madame Godard l’avait vite recouverte de quelques branches tombées à terre. Ce n’est que cinq à six jours plus tard, que Monsieur le curé, l’abbé Hom avait pu enlever le corps déjà décomposé, à l’aide d’une brouette. Et comme il n’y avait plus personne dans le pays pour fabriquer un cercueil, ce prêtre prit l’initiative de placer la défunte dans une grande boîte ayant contenu des cierges, en attendant une véritable sépulture qui eut lieu, peut-être deux mois plus tard. Nous nous enfuîmes donc sur cette vision atroce, une vision cauchemardesque représentée par la mort. Comme cela avait été dur de la laisser ainsi, mais il nous fallait vite la quitter pour essayer d’éviter d’autres malheurs.
Nous nous sommes mis à courir, et après nous avons rampé dans une autre vielle rue.
Les obus arrivaient de partout. Je possédais un foulard qui se trouvait dans un « triste sac à main » et ce foulard avait été transpercé d’un coin à l’autre par des éclats de mitraille.
Nous avons ensuite continué notre chemin à l’abri de haies. Bientôt, nous avons aperçu Villiers-Bocage et Aunay sur Odon qui devaient brûler entièrement après avoir été détruites par les bombes. Toutes les 10 minutes, nous nous jetions à plat ventre, ultime recours pour éviter les projectiles que les canons tiraient de tous bords. Dans un vacarme pétrifiant, les obus sortaient de la gueule du canon à une cadence effrénée. Le ciel était en feu.
Nous étions affolés, mais après au moins deux kilomètres parcourus sous la mitraille, nous avons fini par arriver à « La Rivière « .
Mes parents nous croyaient en sécurité à » La Caillerie « .
Aussi en nous voyant arriver, les cheveux en broussaille, les loques qui nous servaient encore d’habits tant ils étaient en lambeaux, déguenillés, les corps d’une saleté repoussante, mes parents au premier abord, ne nous reconnaissaient même pas.
Après avoir connu la faim, la soif, la peur, nous retrouvions là, un semblant de calme après ce que nous venions d’endurer. Nous entendions bien des coups sourds qui retentissaient au loin. Cela se produisait plutôt sur la côte.
Nous sommes restés à « La Rivière » jusqu’au 1 juillet, mais de jour en jour notre très relative sérénité disparaissait au fur à mesure que les canonnades se rapprochaient dangereusement autour de notre maison.
Celle de Marie Catherine fût atteinte par un obus incendiaire qui la brûlât entièrement. Toutes les vaches étaient tuées à tour de rôle. Ma mère, Marie-Louise était partie un matin pour traire les siennes comme d’habitude, mais elle ne put que constater qu’elles étaient sans vie. Seul un petit veau avait survécu au déluge de feu, et le pauvre essayait de téter le pis de sa mère morte, pour avoir sa nourriture.
Devant le nouveau danger qui se précisait, nous avons pris la décision de partir à Saint Vigor-des-Mezerets, ma sœur et moi à bicyclette, et ma nièce dans une voiture à cheval avec Roger Thérin.
Il faut dire aussi que le 14 juin, les allemands avaient réquisitionné la maison de mes parents. La kommandantur s ‘y était installée, le commandant occupant la chambre conjugale, l’adjudant dans la seconde (la mienne) et une ordonnance et deux cuisiniers occupaient la troisième. Ils étaient donc cinq, quatre autrichiens, et un prussien pas du tout commode.
Pour leur laisser la place, il ne nous restait plus qu’à vivre dans une cave. Nous couchions dans de vieux fauteuils pour certains, ou allongés dans des couvertures à même le sol pour d’autres. Il nous était très difficile de dormir, car chaque nuit, sur la route qui longeait la maison, nous devions endurer le bruit occasionné par un flot interrompu de camions militaires, et chenillettes qui faisaient vibrer les murs à chaque passage.
Un soir avant que nous ayons évacué, un allemand parlant le français nous dit discrètement « Demain matin, départ pour Tilly, nous tous kaput »
Prémonitoire en effet, car nous devions apprendre plus tard qu’ils avaient été pris dans la poche de Tilly, et qu’ils avaient été tués.
D’autres allemands avaient pris leur place chez nous, mais mon père Auguste, n’avait pas voulu évacuer. Ayant fait la guerre 14–18, il se croyait un peu privilégié.
Le 8 juillet, à 18h30 ce sont donc quatre allemands qui sont arrivés, armés de leurs fusils mitrailleurs, prêts à tirer. Un chef avait alors pris la parole et d’un air vraiment méchant nous intimait l’ordre de partir immédiatement.
Papa lui répondit que nous partirions le lendemain matin à deux heures.
– « Je vous dis 7h30 (19h30). Si dans une heure, vous n’êtes pas partis, je vous fusille dans votre maison ».
Que restait-il à faire ? Nous n’avions d’autre choix que nous soumettre et partir en laissant tout ce que nous possédions derrière nous.
C’est ainsi qu’au gré des combats, l’exode a commencé.
- 1er juillet : Cahagnes – La Bigne – Coulvain – Ondefontaines – Jurques- St Célerin.
- 3 juillet : Plessis-Grimault – St Jean le Blanc – Senault.
- 11 juillet : St Vigor des Mezerets – Vassy – Viersorx – Bernières le Patry – Tinchebray – Irandes
- 12 juillet : Beauchêne 6 Lonlay- Lablaye – Rouelle – St Mars d’Egrenne.
- 13 juillet : St Franclossq Pesse – Couesnes
- 14 juillet : Le Pas Aubrières – La Haie Traversaire.
- 15 juillet : St Franbosq de Pières – Arons
- 16 juillet : Jublains – Nean – St Christophe de Luat – Luet – St Leger – Varges – La Bazouge du Cheminé – St Denis du Maine – Melay du Maine.
- 19 juillet : Grey en Bouère – St Agnan-Châtelain – Argentan.
- 20 juillet : Daon – Marigné.
- 21 juillet : Champigné.
- 22 juillet : Cantenay-Epinard – Angers – Les Ponts de Cé – Aurs – Denée.
- 25 juillet : Denée – Rochefort – St Aubin du Loire – La Jumellier – St Lezin.
- 28 juillet : Neuvy-en-Mauges ( Maine et Loire)
L’exode était organisé par le prêtre de Cahagnes, l’abbé Hom qui avait réussi à rassembler 382 personnes pour les évacuer à l’aide de chevaux, attelés à des charrettes, des banneaux, étaient remplis du strict nécessaire qui avait pu être sauvé des allemands. L’abbé n’avait qu’une bicyclette. Il parcourait des kilomètres pour que nous les Cahagnais, nous trouvions en arrivant un point de chute. Cela pouvait être une cave, une grange, de la paille pour dormir. Il arrivait qu’il nous trouvât une salle, un préau. Dans chaque commune, nous rencontrions des bénévoles qui nous avez préparé une soupe, voire un lait chaud, car comme il y avait les tickets de rationnement, nous ne pouvions rien acheter.
Heureusement la solidarité n’était pas un vain mot par ces temps de disette.
Et nous avons pu en mesurer l’étendue lorsque notre périple nous a conduits à Neuvy-en Mauges. Cette petite commune nous a reçus d’une façon exemplaire. A notre arrivée, nous avions tous une famille d’accueil pour nous loger, et nous procurer des vivres. Après des semaines dramatiques, nous pouvions enfin dormir et manger de manière convenable, ce qui ne nous était pas beaucoup arrivé depuis le mois de juin. C’était très agréable d’être reçus aussi chaleureusement. Les habitants de cette petite cité avaient tout de suite compris ce que nous venions de subir et ils nous accueillaient avec une extrême gentillesse qui nous allait droit au cœur.
Deux châteaux de Neuvy-en-Mauges allaient nous être ouverts dont celui de la Morosière qui appartenait à la princesse Madame de Rumsbecq, qui très dévouée et charitable a hébergé dans les communs du château plus de quatre vingt personnes de chez nous.
Vers le début de septembre, dans ce petit bourg, nous avons vu un jour des Allemands mal habillés, certains avec de mauvais vélos, ou à pied pour d’autres, et surtout sans armes.
A ce moment là, nous avons compris que pour eux avait sonné l’heure de la défaite.
Le prêtre et quatre personnes se sont rendus à Cahagnes où ils ont retrouvé un bourg en ruines.
Suite à cela, il fut décidé que notre retour se ferait le 4 septembre. Ce fut un travail laborieux pour rassembler ce que nous possédions encore, mais nous étions tout de même heureux de revenir chez nous.
Le périple que nous avions effectué pour venir nous réfugier à Neuvy-en Mauges, pouvait alors s’accomplir dans le sens du retour.
- 4 septembre : départ Neuvy-en Mauges. Les ponts de la Loire étant détruits, nous avons du passer sur un embarcadère en planches au Pont de Cé.
- 5 septembre : Belligné – Condé Chablain-la-Poterie.
- 6 septembre : St Michel et Chaveaux – La Trévière.
- 7 septembre : Pouancé- St Aignan – Brains – – Les Marches.
- 8 septembre : La Guerche – Moutiers – Vitré.
- 9 septembre : Taillis – St Christophe-des- Bois – Fougères.
- 10 septembre : Landeau – St Hilaire – Gothémon – Vire.
- 11 septembre ; Neuville.
- 12 Septembre : Nous rentrons à Cahagnes à 18h30
Anecdotes :
Le 4 juillet, à Viessoix, tout près d’une ligne de chemin de fer, nous couchons dans une étable, dans la paille. A la nuit tombante, alors que nous sommes tous allongés, sans dormir, nous apercevons une dame qui se tient debout devant la porte entrouverte. Elle est restée au moins 10 à 15 mn sans prononcer un mot. Le lendemain, nous reprenons la route. Arrivés plus loin, soit une heure plus tard, la ligne de chemin de fer avait sauté, suite à un acte de résistance.
Le 27 juin , tout le village de Hamars , (soit Thérin, Gaillard, Devy , Aune) était arrivé à Le Plessis Grimoult. L’aînée d’une famille nombreuse plaçait sur des épais buissons d’épines, des draps lavés en hâte pour repartir le lendemain, mais ce 30 juin 1944, un avion allié passe et largue une seule bombe tuant seize personnes d’un coup, la plus âgée avait 70 ans et la plus jeune, une petite fille de deux mois, tuée dans son berceau. Choqués et tristes, les hommes ont creusé une fosse commune pour les ensevelir car il n’y avait pas de cercueil, et en raison des bombardements, il fallait faire vite. Les corps étaient placés les uns près des autres. Certains étaient affreusement mutilés, et beaucoup d’autres étaient méconnaissables. Une bouteille contenant un papier avec le nom de chaque victime était placée près d’elle afin de les relever sans erreur, dès qu’un répit pouvait le permettre. Le retour au cimetière de Cahagnes, a demandé plusieurs mois. Le transfert s’est effectué avec des carrioles à chevaux. Je crois qu’il y en avait quinze. L’abbé Hom ouvrait le funèbre défilé.
Pour nous, il était impératif de continuer la route de l’exode en laissant tous ces morts derrière nous, car au loin les bombardements étaient de plus en plus intensifs. Nous devions aller loin, toujours plus loin, passer la Loire coûte que coûte.
Vers le 15 juin, les alliés ont fait une percée sur Tilly-sur-Seulles, je me trouvais chez mes parents au village de » La Rivière « . Soudain deux allemands arrivaient par le chemin dit « des Fontaines « . Mon père leur offrit un verre de cidre. Assis sur le banc de la cuisine, ils avaient les yeux effarés, le visage empourpré, un regard méchant. Il nous était permis de supposer qu’ils venaient de faire un mauvais coup, car leurs armes blanches suspendues à leur ceinturon étaient tachées de sang. Il en était de même pour leurs pantalons et leurs bottes. Ils ne sont restés que quelques minutes seulement, et après avoir bu, ils sont repartis très vite, comme des fous, sans prononcer le moindre mot, mais en volant tout de même au passage la veste de pompier que mon père avait disposée dehors au soleil. Nous les avons vus détaler à grand pas par le petit chemin d’Acqueville. Nous avons toujours pensé qu’ils avaient tué ceux qui les gênaient pour pouvoir déserter plus facilement.
Mon père Auguste avait une petite chienne de chasse nommée Bobette. Elle a fait l’aller et le retour à pied auprès de la carriole que son maître conduisait, soit environ 500 km. Cahagnes – Nevy-en Mauges. Elle est morte quelques années plus tard.
En septembre 1941, le prêtre avait décidé d’organiser une représentation avec les jeunes de la commune afin de récolter des fonds en vue d’aider à confectionner les colis que l’on destinait aux français prisonniers en Allemagne. N’ayant pas de salle libre, les Allemands étant partout, le maire avait trouvé un grand hangar agricole, au fond de la cour de la ferme de Monsieur Levêque. Les maîtres d’école du moment avaient participé en faisant chanter les enfants de plusieurs classes. C’était simple, mais bien pour la circonstance.
Mais il y avait un magicien qui faisait partie du spectacle. Il présentait tous ses trucs, qui allaient des colombes sortant du chapeau, des mouchoirs qui sortaient par dizaines d’une simple enveloppe, en s’envolant doucement, mais la finale fut compliquée, car il fit sortir une quantité de petits drapeaux dont un qui représentait la bannière anglaise.
Hélas pour lui, il y avait dans la foule quelques allemands qui n’ont pas apprécié. Furieux, ils sont montés sur la scène pour arracher ce drapeau anglais. Ii a fallu que le Maire, le curé, le magicien, les responsables usent de diplomatie pour convaincre l’officier allemand que ce tour de magie n’était pas destiné a provoquer en encensant ostentatoirement les anglais, mais juste pour une bonne cause.
Sur la scène, il ne demeurait plus que les intéressés, car tout le monde avait pris peur, et la foule s’était vite dispersée.
Lorsque les obus sont devenus plus rapprochés sur Cahagnes, une grande partie des vaches furent tuées, les autres demeuraient affolées. Derrière la maison, dans le champ de pommiers, il y avait un taureau. Il était devenu fou, furieux, et il n’était pas question que nous en approchions. Les fusils de tous les français ayant été réquisitionnés et remis en mairie, nous dûmes appeler un allemand pour qu’il le tue avec son arme. Histoire à peine croyable, mais pourtant vraie l’arme de l’officier s’est enrayée, le taureau fou s’est enfui, et l’allemand est reparti très déçu, et surtout furieux.
Avant le 6 juin 1944, les allemands avaient raflé six ou sept résistants de notre région, et les avaient aussitôt enfermés à la prison de Caen. Nous n’avons jamais su s’ils avaient été dénoncés, mais on peut le supposer car dans ces moments là, il y avait des « bons français » assez cupides pour faire cette macabre besogne en échange de monnaie trébuchante. La délation était courante. Combien ont perdu la vie à cause de ces dénonciations ?
Je connaissais Monsieur de St Paul, d’Amayer-sur- Seulles, Monsieur Jean Gaby de Villers -Bocage (une rue de cette petite ville porte son nom). Ce qui est sûr, le 6 juin au matin, ces six ou sept résistants ont été fusillés par les allemands à la prison de Caen, et la presse nous a appris que les corps n’ont jamais été retrouvés.
Malgré mon jeune âge à l’époque des faits, je n’oublierai jamais l’appel du Général de Gaule, lancé d’Angleterre, et diffusé sur la radio le 18 juin. Une voix sévère, imposante, solennelle nous ont permis de croire à notre dernière chance.
Ce fut le cas !
Sur la route entre Cahagnes et Caumont l’Eventé, repose le corps du lieutenant James Marschal Bommevall.
Le 30 juillet 1944, le quatrième bataillon de chars britanniques avait attaqué les positions allemandes dans l’ex bois de Mondant, pour libérer Cahagnes.
Au moment de remettre les prisonniers à son unité d’appui le lieutenant Comvall a été tué d’une balle ennemie.
Son père, Général avait exprimé sa volonté de laisser la dépouille de son fils dans notre terre normande baignée de son sang. Chaque année à la même époque la commune de Cahagnes rend hommage à ce lieutenant martyr, avec célébration de messe et dépôt de gerbe sur sa tombe.
Cahagnes est une petite commune située entre Villers-Bocage et Caumont l’Éventé. Les Allemands étaient partout (plus nombreux que les habitants). Dans le bourg, un commerce : épicerie, bar, restaurant. Mon futur époux jouait au billard. Derrière lui, une petite table où s’assied un Allemand qui lui demande: Voulez-vous vous asseoir là? Après quelques hésitations, mon mari s’assied, et l’Allemand, d’un franc parler et en bon français, lui dit : « Je suis là contre ma volonté. Je suis un vrai Alsacien. Ils m’ont enrôlé de force. Je suis très malheureux : je dois obéir ou je suis fusillé. » A ce moment là, d’autres Allemands sont arrivés. L’Alsacien est mis au garde-à-vous. Il fut obligé de partir avec eux. Mais dans son triste regard, c’était l’obéissance et la douleur. C’était la guerre.