Joseph Schuh­ler, itiné­raire d’un incor­poré de force de Dambach-la-Ville  

Commentaires (3) Les incorporés de force face à leur destin, Témoignages

 

Né en 1920, je suis incor­poré au Reichar­beit­dienst ( RAD ) ou Service Natio­nal du Travail le 15 octobre 1942.

Je rejoins le nord de l’Al­le­magne, ma desti­na­tion est Borkum, une des îles de la Friese Orien­tale en Mer du Nord.

Astreint à une forma­tion para-mili­taire ( la bêche remplaçant le fusil ) et un endoc­tri­ne­ment natio­nal-socia­liste, je parti­cipe à l’amé­na­ge­ment d’une piste d’at­ter­ris­sage.

Je suis démo­bi­lisé le 27 décembre de la même année et regagne mon village pour une courte période. Le 16 janvier 1943, je suis incor­poré dans la Wehr­macht. Affecté à la Stamm Komp.Grena­dier erster Bataillon à Olmuetz ( actuel­le­ment Olomuc en Répu­blique Tchèque ).

J’y subis un entraî­ne­ment mili­taire. A l’is­sue de ma forma­tion, je béné­fi­cie d’une permis­sion d’une huitaine de jours à Dambach.

Le 11 mai 1943, je suis dirigé sur la 177ème divi­sion d’in­fan­te­rie établie à Sankt Poel­ten en Autriche. A la fin de ce mois de mai, je rentre pour une ultime permis­sion en Alsace, notre départ vers les Balkans ayant été reporté à la suite de la destruc­tion par la résis­tance yougo­slave d’un pont de chemin de fer stra­té­gique près de Sarajevo( Bosnie).

 

Je ne rever­rai mon village et ma famille qu’en septembre 1945.

 

Notre divi­sion, à mon retour à Sankt Poel­ten, est dépê­chée à Thèbes en Grèce. Là, je suis muté à la 4ème compa­gnie du Jaeger Regi­ment 737.

De Thèbes, au nord d’Athènes, nous rejoi­gnons par le Canal de Corinthe, à pied, la nuit, la ville de Sparte au sud du Pélo­pon­nèse.

J’y arrive le 20 juillet 1943, nous logeons chez l’ha­bi­tant, moi-même à proxi­mité de l’évê­ché de Sparte. La situa­tion est, alors, rela­ti­ve­ment calme, mais non sans danger. Nous subis­sons peu d’at­taques de la résis­tance grecque.

Le 8 septembre 1944, soit quatorze mois après mon arri­vée à Sparte, notre unité doit se replier de Grèce et se rappro­cher de Belgrade en Yougo­sla­vie. Le voyage s’ef­fec­tue en train et à pied.

Nous subis­sons, durant ce repli, de violentes attaques des parti­sans yougo­slaves et d’uni­tés russes, au sud de Belgrade, notam­ment à Kraguje­vac, Kraj­levo et Cocak. Etre fait prison­nier par la résis­tance yougo­slave signi­fiait pour nous, soldats sous uniforme alle­mand, l’exé­cu­tion systé­ma­tique. Les lois de la guerre, si la guerre dans toute son horreur comporte des lois, n’étaient pas respec­tées.

Le 15 janvier 1945, je suis griè­ve­ment blessé par des éclats d’obus, en pleine forêt à Sotin en Croa­tie. Notre unité est partiel­le­ment déci­mée.

Je ne suis évacué que deux jours plus tard sur un poste de secours situé à Vuko­var ( Croa­tie ), puis à la fin de janvier, je suis rapa­trié dans diffé­rents hôpi­taux de campagne évacués au fur et à mesure de l’avan­cée des troupes russes ( Baden bei Wien, Sankt Poel­ten et Anstet­ten en Autriche ). Les Améri­cains me capturent fina­le­ment, le 4 mai, à l’hô­pi­tal de Furs­ten­zell près de Passau à proxi­mité de la fron­tière autri­chienne, où j’étais soigné depuis la fin mars.

Les Alsa­ciens, Lorrains et Luxem­bour­geois ( ceux qui ont du porter l’uni­forme alle­mand contre leur gré ) sont isolés du reste des prison­niers de la Wehr­macht.

A ce moment, supporté par mes béquilles, je rencontre des dépor­tés libé­rés des camps de concen­tra­tion. Hagards, amai­gris et le regard vide, me voyant dans mon uniforme de soldat alle­mand, ils m’in­vec­tivent et me menacent. Je leur explique que je suis français, alsa­cien et enrôlé de force. Un déporté de natio­na­lité alle­mande vient à ma rescousse, réus­sit à calmer ses compa­gnons de capti­vité et leur confirme l’exac­ti­tude de mes propos.

Le 12 juin 1945, je suis rapa­trié, par avion, de Regens­burg sur un hôpi­tal mili­taire améri­cain à Nancy.

De septembre 1944 à ce mois de juin 1945, ma famille est restée sans nouvelle de moi.

Je rencontre à l’hô­pi­tal de Nancy mon frère Charles en uniforme français venu me rendre visite.

Je quitte cet hôpi­tal le 29 septembre 1945 et suis dirigé sur le Centre Natio­nal de Récep­tion des Alsa­ciens – Lorrains ( un gros centre de triage des enrô­lés de force ) situé à Chalon sur Saône. J’y subis un inter­ro­ga­toire de sécu­rité. Ce centre avait, entre autres, pour mission de détec­ter les enga­gés volon­taires et autres éléments qui avaient pris le parti de l’oc­cu­pant.

Je suis de retour à Dambach la Ville le 30 septembre 1945, mais dois me faire hospi­ta­li­ser à Stras­bourg du 15 octobre au 27 décembre 1945 pour y soigner mes bles­sures de guerre.

 

Charles, mon frère jumeau, quant à lui, est incor­poré dans le RAD en février 1943, puis dans la Wehr­macht en mai 1943 et envoyé en Pologne. Quelques mois plus tard, son unité rejoint l’Ita­lie. Le soir de son arri­vée sur les pentes du Monte Cassino, le 10 janvier 1944, Charles, seul, de faction dans un poste avancé de l’ar­mée alle­mande traverse un champ de mines et se livre au corps expé­di­tion­naire français. Il revêt l’uni­forme français à six heures du matin. La Wehr­macht annonce sa dispa­ri­tion à nos parents le 15 janvier. Il est évacué sur Alger en août 1944 et rejoint Sète en novembre. Il réap­pa­raît à Dambach qu’en mars 1945, au volant d’une jeep de l’ar­mée française.

 

Mon frère Adolphe, de deux ans mon cadet, fit partie des premiers alsa­ciens à devoir porter l’uni­forme alle­mand. Incor­poré au RAD du 13 octobre 1941 au 30 mars 1942, près de Fulda en Hesse, puis dans la Wehr­macht en octobre 1942, il combat sur le front de l’est en Russie. Il est mort le 17 mars 1945 en Prusse Orien­tale près de Koenig­sberg ( actuel­le­ment Kali­nin­grad en Russie ).

 

Mon jeune frère Jean-Paul, né en août 1926, est enrôlé en novembre 1944, à quelques jours de la libé­ra­tion de Dambach la Ville, dans la Wehr­macht dans le Pala­ti­nat. Il est le dernier damba­chois à devoir porter de force l’uni­forme alle­mand.

Il se rend, en mars 1945, aux troupes améri­caines et est évacué sur un camp de prison­niers situé près du Mans . Puis il est dirigé, comme bon nombre d’al­sa­ciens, sur le centre de triage de Chalon sur Saône. Il retrouve sa famille en juin 1945.

 

Joseph SCHUHLER

Novembre 2004

 

3 Responses to Joseph Schuh­ler, itiné­raire d’un incor­poré de force de Dambach-la-Ville  

  1. Riedweg Roland dit :

    Je suis fils d’incorpore de force, et mon père,né en 1917, a été mobilisé en janvier 1944, dans la Kriegsmarine ,a Buxtehude près de Kiel,mais n’ayant plus de navires de surface, il fut versé dans l’infanterie, comme Panzergrenadier. Après sa formation à Belfort,Zuidlaaren en Hollande, son régiment fut affecté sur le front de l’est, a Riga, où il fût gravement blessé, après 3 mois d’hôpital, il fut réaffecté au front, où il fut une deuxième fois blessé. Et là, c’était le Heimatschuss ( les soldats appelait cette blessure de ce nom,parceque pour eux la guerre était finie. Il se rendit aux troupes françaises près du lac de Constance, où il était employé quelques temps comme interprète, avant d’être dirigé dans un hôpital suisse pour être soigné, puis sur Châlons sur Saône avant de rentrer à la maison le 5 Mai 1945. Une petite précision, la Marine de guerre allemande s’est intéressé à lui parcequ »il était de 1936 à 1939 ,volontaire dans la Marine de guerre française. Quand il est arrivé à la maison, il était sale, sentait mauvais, sa blessure pouvait et il avait l’air d’un homme de 50 ans. Il avait 28 ans.

    • Nicolas Mengus dit :

      Bonjour,

      Je vous remercie pour ce témoignage très intéressant sur le vécu de votre père. Si vous souhaitiez le développer, notre site vous est grand ouvert.
      Cordialement,
      Nicolas Mengus

  2. Hinz dit :

    Merci pour ce témoignage poignant, mon grand-père, Benjamin Deutsch malgré n’a jamais témoigné de son vivnat de son parcours. Je crois savoir qu’il a été un survivant de Tambow. Son silence comme bien d’autre laisse un vide dans la mémoire familiale…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *