La divi­sion « Das Reich » : le point de vue de Patrick Char­ron

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M. Michael Prazan,

Je vous écris suite à la diffu­sion le 02 mars 2015 sur FR3 de votre docu­men­taire « Une divi­sion SS en France, Das Reich ». J’ai contri­bué au livre de Michel Baury « Pourquoi Oradour-sur-Glane » qui lève quelques tabous autour d’évè­ne­ments qui ont entouré ce massacre. Ayant aidé à la recherche de docu­ments, photos et films la docu­men­ta­liste Morgane Barrier, je me fais un devoir de corri­ger certaines erreurs rele­vées dans les commen­taires.

En effet, j’ai pu entendre que sur les 9000 recrues de début 1944, « le gros des troupes est composé d’Al­sa­ciens » et encore, « En 1944, 6000 Alsa­ciens enrô­lés dans la divi­sion Das Reich ». Le chiffre d’en­vi­rons 800 Alsa­ciens-Lorrains versés en 1944 dans la Das Reich est plus proche de la vérité. L’un des problèmes majeurs du procès de Bordeaux de 1953 était bien la surre­pré­sen­ta­tion des Alsa­ciens-Lorrains avec 13 préve­nus incor­po­rés de force et un volon­taire, pour 7 Alle­mands dont aucun offi­cier. Dans la 3ème compa­gnie qui a perpé­tré le massacre d’Ora­dour-sur-Glane, ils étaient une ving­taine de Malgré-nous. Il s’agis­sait de jeunes de la classe 1926 ayant entre 17 et 18 ans qui n’avaient pas le choix. Le refus était puni par l’en­voi en camp de concen­tra­tion ou la peine de mort et pour les familles la dépor­ta­tion. Boris Cyrul­nik a dit de l’in­cor­po­ra­tion de force « Il y a là un système coer­ci­tif très diffi­cile à vaincre ». L’Al­sace et la Lorraine étaient annexées au Reich, ce qui était fonda­men­ta­le­ment diffé­rent du statut de la France occu­pée. A partir de 1942, les Alsa­ciens et les Lorrains sont mobi­li­sés dans l’ar­mée alle­mande.

Je pense aussi que le choix d’Eli­mar Schnei­der était pour le moins douteux pour servir d’exemple de malgré-nous du fait de l’am­bi­guïté du person­nage. Il y a d’autres Alsa­ciens encore vivants qui auraient donné une image plus proche de la réalité de ce qu’é­taient la majo­rité des « malgré-nous ».

Il est dit que ce sont 15000 hommes qui prennent la route de la Norman­die. En fait ils sont autour de 12000, car le reste de la divi­sion sous les ordres du Lt-Colo­nel Wisli­ceny envi­rons 8000 hommes reste dans la région de Toulouse. Le 3ème bataillon du régi­ment « Deut­schland » sous les ordres du Comman­dant Schrei­ber sera respon­sable du massacre de Marsou­las le 10/06/1944 et de plusieurs autres exac­tions dans la région de Bagnères-de-Bigorre. C’est le manque de maté­riel roulant et de forma­tion qui justi­fiait le main­tien de ces troupes dans le Sud-ouest.

S’il est vrai que la divi­sion est mise en alerte et en mouve­ment suite au débarque­ment en Norman­die, la première mission qui lui est confiée est de nettoyer le Massif Central des « Bandes ». Ce n’est qu’à partir du 12/06/1944 qu’elle prend la route du front de Norman­die. Elle sera placée ensuite en réserve et enga­gée seule­ment fin Juin. Donc, son enga­ge­ment tardif n’est pas dû à l’ac­tion de la Résis­tance, ni à ce qui est dit dans le film : « sans les exac­tions et les massacres sur sa route, elle aurait pu faire la diffé­rence ». Ce qui est vrai est que du fait du long parcours routier, les véhi­cules ont souf­fert et qu’elle manquait de pièces déta­chées. Le film montre bien une carte d’état-major qui indique « Berei­ni­gung abges­chlos­sen » nettoyage terminé, ce qui confirme bien la mission donnée à cette divi­sion.

Si le carac­tère crimi­nel de Diek­mann n’est pas à démon­trer, (voir sa biogra­phie dans le livre de Michel Baury), dire de lui, « Diek­mann a commis de nombreux massacres à l’est », est plau­sible mais ceci n’est avéré par aucun témoi­gnage ou docu­ment. Par contre, il est vrai qu’il était blan­chi par le juge de la divi­sion Okrent dans son rapport de janvier 1945. Le même Okrent qui dans une dépo­si­tion après guerre, chan­gera de version et acca­blera Diek­mann, confor­tant ainsi la thèse des Lammer­ding, Stad­ler et Weidin­ger disant qu’il avait outre­passé les ordres.

Le parcours de Erich Kahn, le chef de la 3ème compa­gnie qui a fait toute la guerre dans la Feld­gen­dar­me­rie de la divi­sion n’est pas évoqué, alors qu’il est un acteur majeur du massacre d’Ora­dour.

Par ailleurs, sur les évène­ments de Tulle, il semble que ce ne soit pas deux résis­tants qui étaient parmi les pendus, mais une ving­taine, selon le meilleur histo­rien de cette tragé­die, Bruno Kartheu­ser. Les pertes alle­mandes étaient de 68 morts, dont une dizaine de SD fusillés et huit soldats de la Das Reich, plus une soixan­taine de prison­niers qui seront exécu­tés par la suite par les résis­tants.

Les attaques de Tulle, Argen­ton-sur-Creuse, Guéret, de même que l’en­lè­ve­ment de Kämpfe et de Gerlach, l’exé­cu­tion du chauf­feur de ce dernier, les évène­ments de St Junien et la mort d’un soldat alle­mand, l’em­bus­cade de La Betoulle avec onze soldats alle­mands tués, ont amené Lammer­ding à donner l’ordre de faire un exemple à Oradour-sur-Glane. Il était couvert en cela par les ordres de sa hiérar­chie, Keitel, Rund­stedt, Sperrle pour l’Ar­mée et Himm­ler pour la SS.

Il aurait été judi­cieux de rappe­ler ces évène­ments majeurs qui permettent de contex­tua­li­ser le massacre d’Ora­dour.

Faire un paral­lèle avec un massacre dans un village en Biélo­rus­sie était un bon exemple, mais on aurait pu citer aussi l’Ukraine, la Yougo­sla­vie et la Grèce.
En Italie, le massacre de Sant’Anna di Staz­zema, n’est pas le fait de Walter Reder (le bour­reau de Marza­botto), mais du comman­dant Anton Galler chef du 2ème bataillon du 35 régi­ment SS 16ème divi­sion « Reichsfüh­rer SS ». Le procès a eu lieu à La Spez­zia dans les années 2000.

Une autre remarque, le choix de films en couleur d’uni­tés de la Wehr­macht en 1940 ou pendant l’oc­cu­pa­tion n’était peut être pas appro­prié, il aurait mieux valu pour illus­trer le passage de cette divi­sion en France, privi­lé­gier des photos de la Das Reich et parler d’autres exac­tions comme les exécu­tions de Marsou­las, Ste Sixte, Dunes, St Pierre de Clai­rac, Castel­mau­rou.

Cela fait quarante ans que je m’in­té­resse à ces évène­ments tragiques, et je sais qu’il est très diffi­cile d’abor­der ce sujet sans toucher à la sensi­bi­lité des parties concer­nées, que ce soit les Alsa­ciens-Lorrains, les gens du Limou­sin ou les anciens Résis­tants. Le procès de Bordeaux a été un déni de justice pour les familles des victimes et pour les Alsa­ciens-Lorrains et a provoqué une crise profonde entre les deux régions. Les poli­tiques ont eu peur d’une scis­sion de l’Al­sace-Lorraine et ont voté l’am­nis­tie qui a provoqué la colère des Limou­sins.

La partie non encore écrite de cette histoire est la protec­tion des Alliés dont ont béné­fi­cié les Lammer­ding, Stad­ler et Kahn.

Malheu­reu­se­ment, 70 ans après ces tragiques évène­ments, et malgré de nombreux ouvrages publiés sur les exac­tions commises par la divi­sion Das Reich et de nombreuses archives à présent dispo­nibles, il manque à ce docu­men­taire la rigueur et l’objec­ti­vité. Il aurait pu deve­nir une réfé­rence, mais le choix rédac­tion­nel ne me permet pas d’ar­ri­ver à cette conclu­sion. Cepen­dant, j’ap­pré­cie que vous ayez eu le courage de trai­ter ce sujet toujours si sensible.

Je vous prie de rece­voir mes sincères salu­ta­tions.

Patrick Char­ron

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