La Fondation « Entente franco-allemande » ferme ses portes
Pendant trente ans, elle fut au cœur des passions alsaciennes. Créée pour régler la question de l’indemnisation des Malgré-nous, la Fondation entente franco-allemande (Fefa) cesse ses activités. Elle transmet le flambeau, et 2 M€, à l’Office franco-allemand pour la jeunesse.
Les locaux ont vue sur la cathédrale. Ils occupent le premier étage d’un bel immeuble de la Neustadt, rue Saint-Léon, à Strasbourg. Ils sont en train d’être vidés. Des cartons occupent une partie de la salle de réunion ; ils seront bientôt récupérés par les Archives départementales du Bas-Rhin, tandis qu’Emmaüs s’apprête à venir chercher des meubles. Jacques Jolas fait un point rapide avec sa trésorière, Marie-Paule Stintzi, et son président Jean-Claude Klinkert. Mais cette trésorière et ce président ne se définissent déjà plus comme tels : ils se présentent comme des « commissaires chargés de la liquidation ». Jacques Jolas, lui, vit ses derniers jours comme délégué général de la Fondation entente franco-allemande (Fefa). « C’est étrange de travailler à sa fin… », commente-t-il dans un sourire. Ce lundi 30 septembre, il sera licencié en même temps que les deux autres derniers salariés de la fondation.
« Un avare sur son tas d’or…
Tous trois étaient arrivés en même temps, en juillet 1984. Dans ses années fastes, la Fefa a compté une vingtaine de salariés. Dès le départ, tous savaient que cette mission pourrait durer, mais qu’elle n’aurait qu’un temps. « Quand j’ai été embauché, on m’a dit que j’avais un contrat à durée indéterminée… mais aussi à perspective indéterminée ! », se souvient Jacques Jolas. La Fefa a marqué le paysage alsacien pendant trois décennies. Elle s’arrête d’elle-même aujourd’hui, estimant son rôle accompli.
La fondation a été créée le 28 septembre 1981 avec un objet principal : régler la question de l’indemnisation des Malgré-nous (lire notre édition du 16 juillet). L’Allemagne lui avait alors versé un fonds de 250 millions de DM, soit 117,5 M€ d’aujourd’hui. Entre 1984 et 1989, par le jeu des intérêts, 119 M€ ont été versés à plus de 80 000 Malgré-nous et à leurs ayants droit (soit un peu moins de 1 400 € par personne). À partir de 2008, une indemnité a été également été accordée aux personnes qui ont uniquement été contraintes de rejoindre les formations paramilitaires qu’étaient le Reichsarbeitsdienst (RAD) et le Kriegshilfsdienst (KHD), soit essentiellement les Malgré-elles. 4 M€ ont de nouveau été versés à 5 087 bénéficiaires, payés à moitié par la Fefa et l’État français.
Ces indemnisations ont été complétées par un volet mémoriel (publications, documentaires…) et social : dans ce cadre, des « secours ponctuels » ont été versés à plus de 3 000 anciens Malgré-nous et environ 170 établissements pour personnes âgées d’Alsace-Moselle ont bénéficié d’un soutien financier de la Fefa pour des opérations de construction ou de rénovation, moyennant la réservation de places prioritaires.
Œuvrer pour la coopération franco-allemande
Le second objet de la fondation consistait à œuvrer pour la coopération entre la France et l’Allemagne. Ceci est passé par l’aide à des projets très divers : bilinguisme, festivals, rencontres de jeunes, musique, sports, publication de thèses etc. Au total, toujours grâce aux intérêts, à partir de la mise de départ allemande, « environ 139 M€ ont été injectés dans le paysage local », assure Jacques Jolas.
« Une aventure ! »
Pour autant, on ne peut pas dire que la Fefa, longtemps présidée par André Bord (de 2002 à 2013), a toujours bénéficié d’une image d’extrême générosité… Elle a même été très décriée : « La fondation a souvent été perçue comme un avare assis sur son tas d’or, c’est vrai… Ce n’est pas que l’on manquait de transparence, mais on ne communiquait sans doute pas assez. » Parce qu’elle traitait du drame des Malgré-nous, la Fefa s’est trouvée au cœur de l’identité et des passions alsaciennes. « Ce fut une aventure ! »
Le 16 septembre dernier, la Fefa a effectué un virement de 326 050 € à l’État français : cette somme correspond à l’argent qui avait été provisionné pour les Malgré-elles et qui n’a pas été distribué ; la Fefa et l’État avaient tablé sur 5 800 bénéficiaires au lieu des 5 000 qui se sont effectivement manifestées.
Reste à présent un peu plus de 2 M€ dans les caisses de la fondation. La moitié provient de la vente du rez-de-chaussée et du premier étage de l’immeuble de la rue Saint-Léon.
Cette dot a un bénéficiaire désigné depuis toujours : l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj). Il était écrit dans les statuts de la Fefa qu’elle reprendrait son flambeau, ce sera bien le cas. « On a informé tous les bénéficiaires de nos subventions qu’ils devaient s’adresser désormais à l’Ofaj ». L’Office s’est engagé à placer encore le logo de la Fefa sur les projets qu’elle suivait jusqu’à présent : comme si la fondation ne pouvait se résoudre à disparaître totalement…
- Raymond Cronenberger nous informe que cet article est également paru dans L’Alsace du 1.10.2019.