Bernard Rodenstein, président de l’APOGA, estime que, dans le cadre de la cérémonie du 25 août 2012, les orphelins d’incorporés de force ne sont que des « figurants ». Il s’en explique dans la lettre ci-dessous.
Bernard Rodenstein
Président
Chevalier de la Légion d’honneur
Officier de l’Ordre national du Mérite
[/ Colmar, le 19 juillet 2012/] Pourquoi je n’irai pas au Mont National, le 25 Août 2012, à OBERNAI. Sauf si…
Le 25 Août 2012, l’Alsace tout entière devrait se souvenir que 70 ans auparavant, s’est noué un drame sans pareil à travers l’histoire de notre province.
En pleine occupation par le pouvoir nazi, le Gauleiter WAGNER obtient de Adolph Hitler, le feu vert pour procéder à l’incorporation de force de près de 100.000 Alsaciens en pleine force de l’âge, pour les revêtir de l’uniforme vert de gris de la Wehrmacht (voire des SS) et pour les contraindre à combattre contre les leurs, aux côtés de leurs pires ennemis.
De ces 100.000 jeunes gens d’Alsace et des 30.000 Lorrains qui ont subi le même sort, 40.000 ne sont plus revenus.
30.000 sont morts sur les champs de bataille et dans les camps. 10.000 ont été portés disparus. « Verschollen », engloutis par la terre, nul ne sait où.
Un silence assourdissant est tombé sur cette tragédie, dès après 1945. La France du Maréchal Pétain n’avait pas su ou voulu garder l’Alsace et la Moselle en son sein. Des suspicions de collaboration ont été propagées et pour se faire oublier, les victimes de cette barbarie et leurs familles ont choisi de se taire.
Celles et ceux qui avaient eu la chance de revenir, sains et saufs ou blessés, invalides, malades, ont tenté tant bien que mal, de reprendre leur place dans leurs villes et villages sinistrés.
Les familles des 40.000 sacrifiés ont porté leur douleur dans la discrétion. Certaines n’ont jamais pu faire le deuil, par manque d’information sur le sort de l’un ou de plusieurs des leurs. Ma grand’mère paternelle et mon grand père ont perdu leurs deux seuls garçons sur le front de l’Est. Ils étaient tous deux mariés et pères de famille. Nul ne saura jamais imaginer ce que fut le restant de leur existence ainsi amputée.
Ces situations sont très nombreuses en Alsace et en Moselle. Les enfants devenus orphelins ont été confrontés à des réalités épouvantables. Nous avons commencé, il y a à peine quelques années, à nous réunir en associations et à nous raconter mutuellement, par petites bribes, ce qui nous a meurtris à tout jamais.
Forts de ces rencontres, nous nous sommes enhardis et avons demandé, auprès des autorités et du monde des anciens combattants, à être reconnus comme les représentants de nos pères morts ou portés disparus.
Les résistances sont fortes. Que viennent faire, près de 70 ans après le drame, ces nouveaux venus dans un système bien rodé de représentation et de reconnaissance ?
Les orphelins de guerre sont des intrus.
André BORD, président de la FEFA, n’a pas a hésité à nous qualifier de « drackspatza ». Nous avons osé, en effet, prétendre que la « Fondation Entente Franco-Allemande » disposait encore de fonds considérables (6 millions d’euros) et que nous trouverions normal qu’une partie de cette somme revienne aux orphelins de guerre, ne serait-ce que pour contribuer financièrement à un voyage sur les lieux du décès, dès lors que les recherches de tombes entreprises par les allemands, permettent de retrouver aujourd’hui encore les traces de tel ou tel disparu.
Ce grand personnage alsacien nous a pris en grippe. Qu’importe.
Depuis lors les préparatifs de la commémoration du 70ème anniversaire du décret sus mentionné, cafouillent.
Qui est la puissance invitante ? Qui organise quoi ? J’ai été associé, grâce à l’ami Yves Muller, à certains travaux.
J’ai compris que les anciens incorporés de force encore en vie tiennent à être à l’honneur, peut-être pour la dernière fois, vu leur grand âge. J’ai demandé aux collectivités, Région et départements, d’offrir un banquet bien mérité à ces amis. J’ai souhaité cependant que le 25 Août soit une journée de commémoration pour tous les Alsaciens. Je l’ai écrit à qui de droit.
Au moment où je rédige ce courrier j’ai le sentiment de n’avoir été que partiellement entendu.
M. Philippe RICHERT, président du Conseil Régional a bel et bien décidé, il y a peu, de faire piloter l’organisation de la journée par ses services.
Mais j’ai constaté que parmi les personnes influentes qui se pressent pour diriger les opérations et dont certaines ne sont en rien concernées par l’incorporation de force, il en est qui continuent à tenir les orphelins de guerre pour des figurants qu’ils aimeraient bien voir en assez grand nombre au Mont National, craignant que les seuls anciens des ADEIF ne seront pas foule.
Ma personne ne leur revient pas. Tout est fait pour que je n’y prenne pas la parole au nom des 650 orphelins de guerre de la seconde guerre mondiale que compte notre association régionale, l’APOGA (Association des pupilles de la Nation, orphelins de guerre d’Alsace).
Mes propos, jugés trop politiques, tranchent trop avec les discours des anciens combattants. Et pour cause. Nous ne vénérons pas des combattants. En tant qu’orphelins, nous déplorons les guerres et les victimes qu’elles engendrent. Que l’on nous pardonne cette outrecuidance !
S’il devait se confirmer dans les jours à venir que notre rôle d’orphelins de pères morts ou portés disparus, se réduit à venir grossir les rangs des spectateurs à Obernai, le 25 Août prochain, sans être pleinement associés à tous égards au déroulement de la cérémonie, chaque membre de notre association aura le libre choix de s’y rendre ou non, mais pour ce qui me concerne je n’en serai pas.
Nos pères qui sont ensevelis dans les pays de l’Est, de façon on ne peut plus anonyme, ne méritent pas d’être oubliés à nouveau, le jour où nous sommes censés nous souvenir de l’origine de leur disparition.
Que nul ne compte sur moi pour cautionner un tel manque de respect à nos morts.
Cordialement,
Bernard Rodenstein