Le carnet de guerre retrouvé d’un « Malgré-Nous » : Auguste Sche­ckle, article paru dans les DNA-Erstein du 24.10.19 trans­mis par Yves Scheeg

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Valère Sche­ckle a retrouvé le carnet de son père, Auguste, incor­poré de force dans la Wehr­macht en septembre 1944. Missions, combats, empri­son­ne­ment : celui-ci écrit sobre­ment son expé­rience, dont il n’aura jamais voulu parler.

Ce n’est pas qu’un vieux carnet de papier aux pages jaunies par le temps. C’est un précieux et rigou­reux témoi­gnage de guerre d’un Malgré-nous, Auguste Sche­ckle, origi­naire de Nord­house.

Son fils, Valère, 75 ans, a remis la main dessus il y a quelques mois, en fouillant parmi les photos de famille. « C’était écrit en alle­mand et en gothique, raconte-t-il. J’ai dû le faire traduire par une profes­sion­nelle pour tout comprendre. »

Ces écrits lui ont permis de combler les vides lais­sés par le silence de son père. « Il ne parlait jamais de la guerre. Il n’a jamais raconté ce qu’il lui était arrivé pendant cette période. C’est ma mère qui m’a appris son passé, après sa mort. »

Incor­poré de force dans l’ar­mée alle­mande en septembre 1944, Auguste Sche­ckle a consi­gné chaque jour les événe­ments majeurs, ses missions, mais aussi ses repas et moments heureux. Il a traversé l’Al­le­magne accu­lée par les Alliés, ballotté au gré des batailles et des bombar­de­ments.

Né en 1912 à Nord­house, dans une Alsace encore sous la férule de l’em­pire alle­mand, il fait son service mili­taire (français) à Tours. Quand la seconde guerre mondiale éclate, il est employé à la SNCF à Erstein. En août 1944, Auguste Sche­ckle refuse de payer sa rede­vance à l’oc­cu­pant nazi. Les armées alliées déferlent sur la France et ne tarde­ront pas à libé­rer l’Al­sace, pense-t-il. « Tu verras où tu seras demain », l’aver­tit-on.

De fait, le 11 septembre 1944, un ordre de mobi­li­sa­tion l’ar­rache à sa famille et à son village natal. Auguste Sche­ckle est affecté au 5e bataillon d’ar­tille­rie de la Wehr­macht et doit se rendre à Heil­bronn, dans le Bade-Wurtem­berg.

Ce jour-là, il écrit : « Adieux diffi­ciles à mon épouse et mes enfants, mes parents, proches et amis. Grand espoir de retrou­vailles rapides. » Il laisse derrière lui trois garçons : Auguste (du même nom que son père), 4 ans, Jean-Paul, 2 ans, et Valère, à peine un mois. Il ne sait pas que dix mois de combats, de péré­gri­na­tions inter­mi­nables et d’em­pri­son­ne­ment l’at­tendent.

1 600 autres Alsa­ciens stationnent à Heil­bronn. Proba­ble­ment des Malgré-nous. Il note dans son carnet les adresses de certains d’entre eux : « Imbs Charles, Wasse­lone ; Schu­bet­zer Lucien, Biesheim ; Koch Fride­rich, Souf­fel­weyer­sheim. »

En octobre, Auguste Sche­ckle est déta­ché à Ulm, où il occupe le poste d’opé­ra­teur radio­pho­nique. « Service très strict, jeunes instruc­teurs détes­tés », écrit-il. Un congé lui est accordé à Noël, mais à Gingen an der Fils, loin de sa famille. « Tristes jour­nées, toutes mes pensées vont aux êtres chers à la maison. »

Dans l’en­fer des bombar­de­ments de Dresde

Puis direc­tion Franc­fort-sur-l’Oder, dans l’est de l’Al­le­magne. Mais son trajet s’in­ter­rompt à Dresde, au cœur de l’hi­ver 1945. Sous le déluge de bombes déver­sées par l’avia­tion britan­nique, il note sobre­ment : « Pluie de phos­phore, ville en flammes, ciel rouge feu. » Il assiste impuis­sant à la fuite de « centaines de char­rettes de réfu­giés », décrit la détresse et la misère qui règnent sous les décombres.

Chaque jour, il rédige le contenu de ses repas, comme pour échap­per aux horreurs de la guerre : « hari­cots rouges, pommes de terre avec chou gallois », raconte-t-il le 12 mars. Dans les jours sombres, il ne perd ni l’es­poir ni son atta­che­ment à la France. « À nous la V… nous l’au­rons », écrit-il en français.

Les derniers jours d’avril sont d’une terrible inten­sité. À peine le maté­riel de radio est-il monté qu’il faut repar­tir quelques heures plus tard. La fin du Reich est proche, Auguste Sche­ckle le sait. « Combien cela va-t-il durer jusqu’à ce qu’ils nous aient ? » s’in­ter­roge-t-il. Il craint les Russes par-dessus tout. Le 7 mai 1945 au matin, il constate « avec effroi » que tous ses cama­rades sont partis sans lui et ont traversé l’Elbe.

Aban­donné par les siens, il se met en marche « avec un lourd paque­tage et de la nour­ri­ture pour six jours ». « Sur les rives, une confu­sion indes­crip­tible, tous les appa­reils, véhi­cules, vélos, autos, etc. sont là », complète-t-il. Les Améri­cains le font prison­nier et l’em­mènent au camp de Tangermünde. Un « soula­ge­ment ».

L’at­tente inter­mi­nable du rapa­trie­ment

Quelques jours après son arres­ta­tion, des offi­ciers français promettent aux Alsa­ciens-Lorrains du camp qu’il s’agit de leur « dernière nuit parmi les boches ». Mais les jours passent et les pers­pec­tives de libé­ra­tion s’éloignent. L’es­poir de revoir l’Al­sace s’ame­nuise, rongé par la faim et l’en­nui. Et quand il y a de la nour­ri­ture, elle est mauvaise. « C’est presque à en déses­pé­rer », lâche-t-il.

Mais début juin 1945, les Améri­cains plient bagage et confient la gestion du camp aux Britan­niques. La rédac­tion du carnet s’achève là. Valère Sche­ckle raconte la suite : « Ils ont demandé aux Alsa­ciens de sortir du rang. Mon père avait étudié l’an­glais, il compre­nait les ordres. Il a ensuite été évacué au Dane­mark, puis aux Pays-Bas et en Belgique, avant d’être rapa­trié en France en juillet 1945. »

À son retour, le village lui réserve un accueil triom­phal. Sa femme, qui le croyait mort, exulte. Elle n’avait plus de nouvelles de lui depuis décembre 1944. Dans les années qui suivent, Auguste Sche­ckle s’im­plique dans les asso­cia­tions locales, pratique la nata­tion et la gymnas­tique. Il est même élu maire de Nord­house. Mais ces longs mois de guerre ne l’ont pas laissé indemne.

« Il ne le disait pas, mais il a beau­coup souf­fert, même après la guerre », confie son fils. Une visite du camp du Stru­thof boule­verse profon­dé­ment le couple Sche­ckle.

Auguste sera reconnu comme Malgré-nous par l’État alle­mand, qui lui versera une compen­sa­tion finan­cière de 7 000 francs. Néan­moins, jusqu’à sa mort en 1979, il ne pardon­nera jamais à l’Al­le­magne ce qu’il a subi. « Il insis­tait pour qu’on parle français à la maison », raconte Valère Sche­ckle.

Ce dernier a malheu­reu­se­ment peu profité de son père, vite atteint de la mala­die d’Alz­hei­mer. Alors exhu­mer son carnet, « c’est un peu le faire revivre ».

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