Les noms de 45 000 victimes alsaciennes et mosellanes de la Seconde Guerre mondiale seront gravés devant le Mémorial de Schirmeck d’ici la fin de l’année, auxquels s’ajouteront plus tard ceux de 6000 à 7000 civils pas encore recensés. Après un travail à la fois titanesque et délicat, le projet de « Mur des noms » prend forme. Il a été présenté hier.
On pourra s’y arrêter, parcourir des yeux la longue liste de noms classés par ordre alphabétique, se laisser surprendre par l’effet de masse, puis se rapprocher des détails, chercher un proche. On pourra aussi y organiser des cérémonies, déployer des drapeaux et déposer des gerbes dans le renfoncement du chemin. Le tout sans gêner l’ascension vers le Mémorial d’Alsace-Moselle, lente montée en zigzag vers le bâtiment installé sur une colline, « un accès en montée qui est aussi une mise en condition mentale pour la visite du Mémorial », soulignait hier Philippe Richert, président de la Région.
« Un lieu de recueillement pour les familles dont les disparus n’ont jamais eu leur nom dans un cimetière »
Le « Mur des noms », a-t-il poursuivi, sera « un lieu de recueillement pour les familles, qui souvent n’ont pas vu le lieu où leur parent est tombé ». « C’est très important pour les familles dont les disparus n’ont jamais eu leur nom dans un cimetière », a acquiescé à côté de lui Gérard Michel, président de l’association des orphelins de pères « Malgré Nous » d’Alsace-Moselle (OPMNAM). Ce lieu de souvenir était la demande d’associations comme la sienne, et dont la cause a toujours eu l’oreille de Philippe Richert. Le projet, il l’avait lancé en 2008, alors qu’il présidait le conseil général du Bas-Rhin, puis il lui a donné forme en tant que président du conseil régional d’Alsace, et c’est en tant que président de la région Grand Est qu’il en verra l’aboutissement.
Près de neuf ans de travail ont été nécessaires pour établir la liste, immense, des Alsaciens concernés par ce travail de mémoire. Un travail titanesque et en même temps minutieux mené par l’équipe de Christophe Heitz, responsable de la mission Mémoire et passé lui aussi, dans les valises de Philippe Richert, du département à la grande région. Recenser, sur la base d’archives, les Alsaciens morts sous l’uniforme allemand après avoir été incorporés de force, ceux tombés sous uniforme français, et les civils victimes de la déportation, d’actes de guerre, de faits de résistance. Et ensuite, il a fallu « peigner » le triste et long fichier. Contacter les communes pour vérifier, éliminer les doublons. Christophe Heitz, il y a un an, dénombrait pas moins de 54 Joseph Muller (notre dossier dans les DNA du 30 décembre 2015) , et parlait hier de 38 Marcel Meyer, façon de mettre un nom, là aussi, sur « un travail excessivement compliqué ».
Ces Alsaciens, nés en Alsace ou personnes de nationalité française domiciliées dans la région au moment de leur décès pour cause de guerre (ce qui inclut donc les Alsaciens ayant quitté la région avant ou pendant la guerre et décédés ailleurs pour ces mêmes raisons), seront tous différenciés sur le mur, homonymie ou non, par l’année de leur naissance. Une base de données complète, avec plus de détails, sera consultable quelques centaines de mètres d’ascension plus haut, au Mémorial.
Sur la liste figurera au final un total de près de 52 000 personnes. 23 700 Alsaciens incorporés de force sous uniforme allemand, 2 800 combattants sous uniforme français et 4 400 déportés pour raisons raciales ou politiques… Ainsi que les victimes du même triste sort du côté mosellan.
Les victimes mosellanes, ajoutées récemment au projet, sont en cours de recensement
Car le monument, voulu au départ comme un mur des noms alsaciens, aura finalement la même envergure que le Mémorial devant lequel il prendra place, et sera lui aussi alsacien-mosellan. La présence des voisins n’était pas prévue dans le projet de départ : la Moselle avait son propre mur en tête, pour les victimes militaires mosellanes des trois guerres (1870, 1914–1918 et 1939–1945) au Musée de l’Annexion à Gravelotte. L’Alsace et la Moselle, victimes d’une Histoire commune, auraient donc fait mémoire à part ? Mais le mur mosellan, trop coûteux, est devenu virtuel, sous la forme d’une colonne numérique à l’entrée du musée. Et surtout, « entre-temps nous sommes devenus membres de la même grande Région, le Grand Est, et j’ai eu l’accord du président du conseil départemental de Moselle pour l’intégration des victimes mosellanes », expliquait hier Philippe Richert.
L’accord est tout récent : il date d’il y a « trois ou quatre mois ». Pas assez, donc, pour permettre au côté mosellan d’accomplir la partie du travail portant sur les victimes civiles : pour le Mémorial de Gravelotte, seules les victimes militaires, au nombre de 9 000 (6 700 tombées sous uniforme allemand et 2 200 sous uniforme français) avaient été recensées. Pour les civils, « ils feront le travail avec la même méthodologie que la nôtre », mais avec quelques années de retard, expliquait Christophe Heitz hier, conscient que même côté alsacien « le travail n’est pas définitif ».
Le mur a été voulu comme évolutif, et pourra accueillir de nouveaux noms par adjonction de plaques gravées. Il verra donc le jour, d’ici la fin de l’année, d’abord sans les victimes mosellanes civiles, au nombre évalué à 6 000 ou 7000, dont les identités seront ajoutées quand leur liste aura été consolidée.
Un geste architectural « humble et sobre »
Tous ces noms seront donc gravés ensemble dans la pierre, ou plutôt le béton. 255 moules différents, chacun portant une série de patronymes et années de naissance de 9 mm de haut, seront imprimés en 3D. Puis on y coulera « un béton avec grande densité de ciment », pour assurer sa solidité et donc sa longévité, expliquait hier Hervé Schneider, cofondateur du cabinet Fluor, basé à Strasbourg et Avignon, choisi suite à un appel à projet. « Nous avons voulu que le geste soit humble et sobre », explique l’architecte, dont le projet est aussi prévu pour être éclairé la nuit « de façon douce et tamisée, pour rendre le mur visible depuis la voie de chemin de fer ». Afin, de jour comme de nuit, de mettre les noms de ces victimes de la guerre en lumière.