Louis Bloch ou le patrio­tisme d’un incor­poré de force en Norman­die

Commentaire (0) Portraits d'incorporés de force/déportés militaires

 

Fin de la première quin­zaine de juillet 1944, les troupes alliées sont stop­pées dans la partie nord du dépar­te­ment de la Manche. L’opé­ra­tion COBRA eut lieu le 25 juillet 1944. Elle écrasa le front nazi et permit la progres­sion des Alliés.
Des armées nazies étaient dans tout le sud du dépar­te­ment de la Manche en réserve ou au repos.

Dans la commune du Mesnil-Tôve, vers la mi-juillet un soldat sous l’uni­forme nazi, en mairie, demanda à Monsieur Jules BAGOT, Maire, et au secré­taire de mairie Monsieur LETOUZEY où il était possible de trou­ver des victuailles. Ce soldat parle français, il n’est pas armé. Il dit être chargé de trou­ver de la nour­ri­ture pour son unité. Très rapi­de­ment, ce soldat de la Wehr­macht dit être Français alsa­cien et incor­poré de force. Il veut des vête­ments civils.
Sa sincé­rité est évidente, Monsieur le Maire emmène le soldat dans sa ferme et lui donne des vête­ments civils. Le fils Marin BAGOT, âgé de 21 ans enterre l’uni­forme et voilà donc un ouvrier de plus sur l’ex­ploi­ta­tion. Ce nouvel ouvrier a pour iden­tité Louis BLOCH, il est né le 2 mai 1915 et est origi­naire de Seppois-le-Haut (68). Il vaque aux travaux de la ferme et se montre très effi­cace.

Fin juillet, le Géné­ral améri­cain PATTON effec­tue la percée d’Avranches. Une impor­tante partie des troupes alliées se dirige vers le sud, la Bretagne.
Des offi­ciers supé­rieurs nazis ont pris posses­sion de la maison d’ha­bi­ta­tion de la ferme. Louis BLOCH travaille si près d’eux qu’il entend leur conver­sa­tion. Conver­sa­tion d’im­por­tance, ces offi­ciers préparent la contre-offen­sive Mortain-Avranches pour isoler la tête de pont de l’ar­mée PATTON. Louis prévient aussi­tôt monsieur Jules BAGOT. Aux aurores, la char­rette char­gée de maté­riel hété­ro­clite, est atte­lée de deux chevaux. Monsieur Jules BAGOT, Louis BLOCH et Marin BAGOT se dirigent avec l’at­te­lage à Juvi­gny–le-Tertre. Ils traversent donc les lignes. Les combats spora­diques ne sont pas très intenses tant du côté allié que du côté ennemi. Ils sont certai­ne­ment pris pour des personnes qui prennent la route de l’exode.

Les Améri­cains sont dans Juvi­gny-le-Tertre. Leur quar­tier géné­ral est situé dans une jolie maison de granit, sur la place face à l’église. Louis et Marin s’y rendent, Monsieur BAGOT, père, reste près de l’at­te­lage.
Les entre­tiens avec les Améri­cains sont diffi­ciles à cause de la langue. Ils durèrent presque deux heures. Louis ne dit pas qu’il était évadé des armées nazies. Fina­le­ment, la compré­hen­sion devient réelle. La contre-offen­sive est déjouée et dura deux jours. Elle fut sanglante, très sanglante, mais en raison du patrio­tisme de Louis BLOCH, elle fut très forte­ment limi­tée et la divi­sion du Géné­ral PATTON conti­nua sa progres­sion : bravo.

Le compor­te­ment patrio­tique de Louis BLOCH n’est pas unique. D’autres incor­po­rés de force eurent des compor­te­ments héroïques sur le front de Norman­die. Ils furent favo­rables à la libé­ra­tion de la France. Cela explique toute la haute consi­dé­ra­tion que nous expri­mons à nos compa­triotes d’Al­sace-Moselle.

Tous les Normands n’étaient pas bien­veillants à l’en­droit des incor­po­rés de force et cela soit par inté­rêt ou par igno­rance. Monsieur LETOUZEY fit en sorte que Louis aille chez des amis dont il était certain. Ils rési­daient peu loin du Mont Saint-Michel. Mais, là encore, trom­pés par une propa­gande contraire aux inté­rêts du peuple de France, de braves gens signa­lèrent la présence d’une personne s’ex­pri­mant avec un accent qui n’était pas le leur. Louis fut arrêté et prison­nier des Améri­cains et interné à Cher­bourg. Les Améri­cains le gardèrent de longs mois. Le fait qu’il soit déser­teur fit oublier les acti­vi­tés majeures qui furent les siennes et effec­tuées en faveur de la France, de la paix et de la liberté.

Des centaines d’in­cor­po­rés de force alsa­ciens et surtout mosel­lans subirent les pires avanies améri­caines, tout simple­ment parce qu’ils refu­saient le combat quelque fut leur ennemi.

Un offi­cier améri­cain fut tué lors de cette contre-attaque, son demi-frère devait venir ce 29 mai 2016 remettre une bannière et des déco­ra­tions à Marin BAGOT. La pénu­rie de carbu­rant a empê­ché cette céré­mo­nie. Elle est repor­tée au mois d’oc­tobre 2016.
Jean BÉZARD

Article paru dans « L’Al­sace » du 3.6.2016:

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