Louis MUTSCHLER, rescapé de Tambov – Article paru dans les DNA-Erstein du 9.7.2017 trans­mis par Yves Scheeg

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Louis Mutschler fait partie des 13 Hindi­she­mois incor­po­rés de force dans l’ar­mée alle­mande lors de la Deuxième Guerre mondiale puis empri­son­nés au camp de Tambov. Il raconte son parcours, consi­gné par le maire Pascal Nothi­sen et son adjoint Jacky Eber.

 

Depuis quelques années, Louis Mutschler, origi­naire de Nord­house, arrivé à Hindi­sheim avec ses parents et ses trois sœurs en 1938, livre ses souve­nirs de guerre. « Pour les géné­ra­tions futures, pour que la paix soit préser­vée et pour que personne ne revive ce que nous avons vécu ! »
« Je suis le dernier des treize Hindi­shei­mois à avoir été incor­po­rés de force et à être passés par Tambov. Nous n’avions pas d’autre choix. Nous étions obli­gés de rejoindre l’ar­mée alle­mande, car dans le cas contraire, il pouvait y avoir des repré­sailles à l’en­contre de nos familles, qui pouvaient être dépor­tées. Tout ce que je raconte est la stricte vérité », déclare ce chan­teur et spor­tif hors pair au mental d’acier. Autant de quali­tés qui lui permet­tront de s’en sortir à plusieurs reprises.
Sa mémoire est intacte. Il se souvient de tout ! Des dates, des jours, de la retraite des soldats français à laquelle il a assisté du haut d’un ceri­sier sur la route entre Nord­house et Hindi­sheim. De l’ar­ri­vée des troupes alle­mandes au village, de la nazi­fi­ca­tion et des livres du pres­by­tère de Hindi­sheim brûlés, de l’ex­pul­sion des sœurs de l’école, de son père contraint de recons­truire les ponts pour le compte d’une société alle­man­de…

Le champ sanglant

Son premier acte de résis­tance : chômer le 14 juillet 1943, afin de célé­brer comme il se doit la Fête Natio­nale. À l’époque, il était apprenti ébéniste chez Bolen­der, rue de la Krute­nau, à Stras­bourg. Bien que furieux, son patron ne l’a pas dénoncé. Le 6 octobre 1943, il reçoit sa convo­ca­tion au Reich­sar­beits­dienst , service natio­nal du travail, à Bamlach, près de Frei­bourg-en-Brig­sau. « C’était une struc­ture très mili­taire où la pelle remplaçait le fusil. Quand je suis arrivé, un offi­cier m’a inter­pellé en me disant que je devais me repré­sen­ter dans dix minutes, les cheveux coupés de la longueur d’une allu­mette. Un cama­rade s’est attelé à la tâche. Je revois encore mes boucles tomber au sol. »
Le 11 novembre, « nous sommes partis en train à Duis­bourg. On devait creu­ser des cana­li­sa­tions dans la forêt. Il fallait aussi garder les troupes de Bado­glio, maré­chal italien qui a signé la capi­tu­la­tion de l’Ita­lie en 1943. En plus des cinq jours de travail, le sixième était réservé au champ d’en­traî­ne­ment mili­taire, le champ “sanglant”. Là, nous avons été dres­sés comme des chiens, ils nous faisaient souf­frir, courir, sauter, ramper jusqu’à épui­se­ment… »
Vient ensuite la convo­ca­tion pour la Wehr­macht , le 22 janvier 1944, au Wacken. « Ils m’ont sélec­tionné pour aller dans la SS. Moi je ne voulais surtout pas y aller. Alors, quand les poli­ciers avaient le dos tourné, j’ai fran­chi le cordon qui sépa­rait les deux files pour passer dans celle desti­née à la Wehr­macht. Ça a marché ! Ils n’ont rien remarqué… »
Direc­tion ensuite le camp de rassem­ble­ment de Schwe­rin-an-der Warthe, Pologne. « Je me souviens très bien de ce soir du 20 juillet 1944, le jour de l’at­ten­tat contre Hitler. Nous étions rassem­blés dans la cour de la caserne, prêts à marcher sur Berlin parce qu’en cas de réus­site nous devions arrê­ter les SS. Mais le dicta­teur n’a pas crevé ! »
Avant d’en­voyer son régi­ment faire face à l’in­sur­rec­tion de Varso­vie menée par la résis­tance polo­naise, « les Alsa­ciens ont été mélan­gés aux Alle­mands pour éviter que des noyaux de dissi­dence ne se forment. C’était le 1er août. Quand nous sommes rentrés dans Varso­vie, j’ai vu ce que les SS avaient fait… Comment un peuple civi­lisé a pu en arri­ver là et commettre une telle tuerie ? Nous avions l’ordre de tirer sur tout ce qui bouge. L’un des offi­ciers m’a demandé pourquoi je ne tirais pas, je lui ai répondu que moi, je ne tuais pas les femmes et les enfants ! »
Pour ne pas retour­ner au front, il simule une crise d’ap­pen­di­cite dont il se fait opérer. Arguant une fausse adresse en Alle­magne pour se rappro­cher du Rhin, il brave l’in­ter­dit et se rend en permis­sion en Alsace, où il retrou­vera sa mère, malade. Pour ne pas mettre en danger sa famille, il décide de repar­tir le soir du 13 novembre 1944, après s’être auto­mu­tilé les pieds avec de l’es­sence de vinaigre. « Je devais être de retour le 11 novembre à Thorn en Pologne. Ils m’ont attrapé près de Leip­zig, m’ont trans­féré à la prison de Thorn, où j’ai subi de nombreux inter­ro­ga­toires menés par le tribu­nal mili­taire, pour déser­tion. »

« Contre nos bottes, ils nous ont donné des claquettes en bois »

Béné­fi­ciant d’une amnis­tie géné­rale, il est renvoyé sur le front Est, mi-janvier 1945. Il y sera fait prison­niers par les soldats russes. « Ils nous ont pris nos vête­ments chauds et nos bottes. Ils nous ont donné des claquettes en bois. C’était l’hi­ver, il faisait si froid. » Débute alors la longue marche vers les camps de tran­sit. Puis le trans­fert en wagons à bestiaux, en juin 1945 et sous une chaleur cani­cu­laire, au camp de Tambov, alors qu’à l’Ouest, la guerre était finie. « Quand on est sorti du train, il n’y avait pas âme qui vive, que de la forêt. Tambov, c’était la misère. Il y avait une quaran­taine de bâti­ments semi-enter­rés. Seuls les toits de bois, recou­verts d’herbe, dépas­saient du sol. J’étais dans la baraque n° 34, avec 150 autres prison­niers, il y avait des Alsa­ciens et des Roumains aussi. Le matin, il y avait le comp­tage. Il durait deux à trois heures car les morts de la nuit n’étaient pas décla­rés de suite pour pouvoir béné­fi­cier de leur ration de pain. Il y avait plein de bestioles, des puces, des punaises, des poux. »

« Dans la fameuse baraque 22, ils entas­saient des centaines de morts durant l’hi­ver »

Atteint du typhus, « j’ai été admis au laza­ret du camp. Un jour de pluie, une partie du toit s’est effon­drée. Heureu­se­ment que ma fièvre était tombée. Il y avait aussi la fameuse baraque 22, où ils entas­saient des centaines et des centaines de morts durant l’hi­ver. En juin, on a dû creu­ser les fosses… Nous étions là, alors que la Russie était l’al­liée de la Fran­ce… La France nous a lâchés en 40, en 42 avec l’in­cor­po­ra­tion de force et en 45 aussi parce qu’a­près le 8 mai, ils ne nous ont pas rapa­triés ! »
Louis Mutschler est rentré chez lui le 29 octobre 1945, six mois après la signa­ture de l’Ar­mis­tice. Un long chemin en train via Brest-Litovsk, le camp de tran­sit de Frank­furt-Oder, Berlin, Madge­bourg, Wolf­sburg, puis la Hollande, la Belgique, Paris puis l’Al­sace. Un retour en train qui a duré presque deux mois car d’autres convois étaient prio­ri­taires. De ce fait, le sien était parfois bloqué plusieurs jours. « Les plus faibles n’y ont pas survécu. »
Durant tout ce temps, chaque arrêt était l’oc­ca­sion de chapar­der de la nour­ri­ture – hari­cots cueillis dans le pota­ger d’un chef de gare, pommes de terre – que Louis cuisi­nait pour ses cama­rades dans un étui d’obus. Une marmite de fortune pour laquelle ils devaient aussi trou­ver du bois. « Pour survivre, il fallait vivre au jour le jour. Je dis toujours, destin, destin, il faut te prendre comme tu viens, car on ne chan­gera quand même rien ! »
Ce récit, le maire Pascal Nothi­sen et son adjoint Jacky Eber l’ont enre­gis­tré, « parce que l’his­toire des Malgrés-Nous doit être réha­bi­li­tée ! C’est notre mémoire collec­tive ! » confie le premier magis­trat hindi­shei­mois.

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