Alors que l’on célèbre aujourd’hui les 80 ans de l’exécution du jeune héros de la Résistance en Alsace, ceux qui veulent honorer sa mémoire se battent pour que le collège de sa ville natale soit baptisé Marcel-Weinum. Son sacrifice mérite selon eux davantage qu’un nom de rue à Brumath.
À Strasbourg, les membres du Souvenir français lui rendent hommage chaque année au cimetière du Polygone, où il est enterré depuis 1949. Au collège Saint-Etienne, où il étudia, une journée spirituelle lui est consacrée et une plaque est scellée sur la façade de l’établissement. Enfin, une rue de Neudorf, où il vécut avec ses parents, porte son nom.
Et à Brumath, sa ville natale, que reste-t-il du héros alsacien de la Résistance, fondateur du réseau La Main Noire ? Celui qui mourut décapité à l’âge de 18 ans pour avoir créé un des premiers réseaux de résistance en France et combattu l’occupant allemand, allant jusqu’à lancer une grenade dégoupillée dans le véhicule de Robert Wagner , haut dignitaire nazi. Peu de choses à vrai dire. Une rue Marcel-Weinum, que « seuls le facteur et les habitants qui y vivent connaissent », ironisent certains Brumathois. Quelques objets exposés dans une vitrine, à la mairie, à l’occasion du 80e anniversaire de sa mort. Voilà tout.
Dans la ville qui l’a vu grandir, le nom de Weinum reste en effet très discret. « Ça a toujours été un sujet tabou, on n’en parlait pas, parce que c’était douloureux et délicat. Marcel était dans le collimateur, fiché à la Gestapo. S’appeler Weinum n’était pas facile », confie Marie-Rose Carle, fille de Jules Weinum, cousin de Marcel. Elle est, dit-elle, la dernière Weinum vivant à Brumath. Elle sait peu de choses sur la vie de son lointain cousin à Brumath, à part qu’il est né le 5 février 1924 au 65 rue du Général-Duport, dans la maison maternelle, où il vivait avec ses parents, sa grand-mère et son oncle. Que ses grands-parents paternels habitaient une maison proche, rue de la Rivière. « Son papa, Robert, était boucher à Brumath. Ils ont déménagé à Strasbourg en 1936 parce qu’il y a ouvert un commerce », précise-t-elle, livrant enfin une anecdote : « Un jour, dans les années soixante, oncle Robert m’a dit que si je me perdais à Strasbourg, je n’avais qu’à dire que je suis une Weinum et on m’aidera. Il était fier, très fier d’avoir donné son fils pour la France. »
« Marcel a grandi dans une famille très francophile. Le cœur n’avait jamais été en Allemagne mais en France, depuis toujours », confirme Sophie Kleinmann-Quirin, fille de René Kleinmann, ami d’enfance de Marcel. Sophrologue de métier, la Brumathoise s’est passionnée pour l’histoire de La Main Noire, dont son papa fit partie, et qu’elle transmet aujourd’hui avec son frère, Damien, et d’autres membres de l’Association pour des études sur la Résistance intérieure des Alsaciens (Aéria). « Marcel a d’abord été gardé en nourrice dans la famille Lebold. Il a ensuite été scolarisé à l’école catholique des garçons de Brumath, où il se lia d’amitié avec mon père. Ils étaient bons élèves. Enfants de chœur, ils servaient la messe tous les jours avant d’aller à l’école. »
C’est à l’âge de six ans que le petit Marcel prit le nom de Weinum. « Mathilde, sa maman, serait tombée enceinte à Paris, où elle travaillait comme servante dans une grande maison. Robert a adopté l’enfant après leur mariage en 1930 », raconte, acte d’état civil à l’appui, Maurice Jenner, membre de la Société d’histoire et d’archéologie de Brumath et environs (Shabe), qui consacre un numéro spécial au jeune Brumathois. De cette union, sont nés deux enfants : Eugène, décédé d’une maladie en avril 1935 à l’âge de 8 ans, et Mariette, morte électrocutée après la guerre alors qu’elle travaillait sur sa machine à coudre. Des tragédies dont la maman ne se remettra jamais.
D’après Sophie Kleinmann-Quirin, c’est à son retour de Dordogne en 1939, où il fut évacué avec sa famille, comme 300 000 Alsaciens, que Marcel entra en résistance. « Dans le Sud, il intégra une école militaire et rencontra un général très patriote qui l’aurait fortement influencé ou inspiré. Lorsqu’il rentra à Strasbourg, il ne reconnaissait plus rien, il y avait des drapeaux allemands partout, il était interdit de parler français et de porter le béret. Ça a suffi à éveiller un sentiment de révolte, de rejet de l’occupant », raconte-t-elle.
L’entreprise où il travaille comme dessinateur industriel le renvoie parce qu’il refuse d’intégrer l’Opferring, une organisation alsacienne qui prépare à l’entrée au parti nazi. Alors un dimanche après-midi de septembre 1940, le jeune homme de 16 ans se rend à bicyclette à Brumath. « C’est là qu’avec papa et son frère André, âgés de 17 et 15 ans, ils décident de créer la Main Noire », poursuit Sophie Keinmann-Quirin. Une vingtaine d’adolescents sont recrutés : collégiens, lycéens, apprentis, fils d’ouvriers, de Brumath et de l’école de la maîtrise de la cathédrale hébergée au collège Saint-Étienne. Tous ont entre 14 et 16 ans, sauf Charles Lebold, son frère de lait, seul majeur, chef moral de l’organisation.
Dès octobre 1940, l’amour de la patrie et la foi chevillée au corps, ils entament la lutte, de façon symbolique d’abord, puis active ( lire par ailleurs ). Jusqu’à l’ultime coup d’éclat du 8 mai 1941 qui décidera les Allemands à trancher cette séditieuse Main Noire. Un rapport médical reconnaît les brillantes facultés intellectuelles de Marcel Weinum et donc, sa majorité morale et la pleine responsabilité de ses actes. Au tribunal, son calme, la force de ses convictions, sa foi en Dieu et en la France impressionnent. Jugé puis condamné, il est transféré à la prison de Stuttgart où il est décapité le 14 avril 1942 à 6h15.
« Les Allemands ont voulu frapper fort tout de suite, décourager toute forme de résistance », souligne Sophie Kleinmann-Quirin. On n’entendit plus parler de la Main Noire. « Contrairement aux autres organisations, celle-ci a été créée puis écrasée très tôt dans l’histoire de la guerre. Elle n’a pas intégré les grands réseaux de résistance comme le souhaitait Marcel. » Leurs actions furent qualifiées de « gamineries » et le nom de Weinum tomba peu à peu dans l’oubli. « C’étaient des adolescents qui avaient eu, eux, le courage de se dresser contre l’ennemi. Ils n’étaient pas politisés, catholiques. Beaucoup devinrent des Malgré-Nous. Ça n’a pas aidé à les faire mieux connaître. »
Leur bravoure, leurs valeurs, leur mémoire, Sophie les transmet, comme son père avant elle, aux élèves du collège Saint-Étienne. « Ils sont captivés à chaque fois parce que c’est une histoire forte, avec des personnalités fortes, des jeunes capables de donner leur vie, d’aller jusqu’au bout de leurs convictions. Les jeunes d’aujourd’hui, ça les rassure de voir qu’on peut faire des choses comme ça. »
À Brumath, le nom de Marcel Weinum a resurgi il y a quelques semaines. Le collège, qui achève sa mue, se cherche un nom. Une bataille fait rage entre les partisans du héros de la résistance (enseignants, parents d’élèves et une grande partie de la population), qui font le lien avec la guerre en Ukraine, et ceux (le maire et son équipe) qui lui préfèrent Bernard Schreiner, l’ancien député-maire qui enseigna dans l’établissement. Celui qui, lors de l’inauguration de la rue Marcel-Weinum à Brumath, le 2 novembre 1997, invita à « transmettre aux jeunes générations le message de tous les Marcel-Weinum afin que notre pays n’opte pas pour des solutions que certains préconisent aujourd’hui. » Les partisans de chaque camp attendent la décision de la Collectivité européenne d’Alsace.