Marcel Weinum et la Main Noire : le refus de se soumettre – Article des DNA du 14.4.2022 trans­mis par Yves Scheeg

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Alors que l’on célèbre aujourd’­hui les 80 ans de l’exé­cu­tion du jeune héros de la Résis­tance en Alsace, ceux qui veulent hono­rer sa mémoire se battent pour que le collège de sa ville natale soit baptisé Marcel-Weinum. Son sacri­fice mérite selon eux davan­tage qu’un nom de rue à Brumath.

 

 À Stras­bourg, les membres du Souve­nir français lui rendent hommage chaque année au cime­tière du Poly­gone, où il est enterré depuis 1949. Au collège Saint-Etienne, où il étudia, une jour­née spiri­tuelle lui est consa­crée et une plaque est scel­lée sur la façade de l’éta­blis­se­ment. Enfin, une rue de Neudorf, où il vécut avec ses parents, porte son nom.

Et à Brumath, sa ville natale, que reste-t-il du héros alsa­cien de la Résis­tance, fonda­teur du réseau La Main Noire ? Celui qui mourut déca­pité à l’âge de 18 ans pour avoir créé un des premiers réseaux de résis­tance en France et combattu l’oc­cu­pant alle­mand, allant jusqu’à lancer une grenade dégou­pillée dans le véhi­cule de Robert Wagner , haut digni­taire nazi. Peu de choses à vrai dire. Une rue Marcel-Weinum, que « seuls le facteur et les habi­tants qui y vivent connaissent », ironisent certains Bruma­thois. Quelques objets expo­sés dans une vitrine, à la mairie, à l’oc­ca­sion du 80e anni­ver­saire de sa mort. Voilà tout.

Dans la ville qui l’a vu gran­dir, le nom de Weinum reste en effet très discret. « Ça a toujours été un sujet tabou, on n’en parlait pas, parce que c’était doulou­reux et déli­cat. Marcel était dans le colli­ma­teur, fiché à la Gestapo. S’ap­pe­ler Weinum n’était pas facile », confie Marie-Rose Carle, fille de Jules Weinum, cousin de Marcel. Elle est, dit-elle, la dernière Weinum vivant à Brumath. Elle sait peu de choses sur la vie de son loin­tain cousin à Brumath, à part qu’il est né le 5 février 1924 au 65 rue du Géné­ral-Duport, dans la maison mater­nelle, où il vivait avec ses parents, sa grand-mère et son oncle. Que ses grands-parents pater­nels habi­taient une maison proche, rue de la Rivière. « Son papa, Robert, était boucher à Brumath. Ils ont démé­nagé à Stras­bourg en 1936 parce qu’il y a ouvert un commerce », précise-t-elle, livrant enfin une anec­dote : « Un jour, dans les années soixante, oncle Robert m’a dit que si je me perdais à Stras­bourg, je n’avais qu’à dire que je suis une Weinum et on m’ai­dera. Il était fier, très fier d’avoir donné son fils pour la France. »

« Marcel a grandi dans une famille très fran­co­phile. Le cœur n’avait jamais été en Alle­magne mais en France, depuis toujours », confirme Sophie Klein­mann-Quirin, fille de René Klein­mann, ami d’en­fance de Marcel. Sophro­logue de métier, la Bruma­thoise s’est passion­née pour l’his­toire de La Main Noire, dont son papa fit partie, et qu’elle trans­met aujourd’­hui avec son frère, Damien, et d’autres membres de l’As­so­cia­tion pour des études sur la Résis­tance inté­rieure des Alsa­ciens (Aéria). « Marcel a d’abord été gardé en nour­rice dans la famille Lebold. Il a ensuite été scola­risé à l’école catho­lique des garçons de Brumath, où il se lia d’ami­tié avec mon père. Ils étaient bons élèves. Enfants de chœur, ils servaient la messe tous les jours avant d’al­ler à l’école. »

C’est à l’âge de six ans que le petit Marcel prit le nom de Weinum. « Mathilde, sa maman, serait tombée enceinte à Paris, où elle travaillait comme servante dans une grande maison. Robert a adopté l’en­fant après leur mariage en 1930 », raconte, acte d’état civil à l’ap­pui, Maurice Jenner, membre de la Société d’his­toire et d’ar­chéo­lo­gie de Brumath et envi­rons (Shabe), qui consacre un numéro spécial au jeune Bruma­thois. De cette union, sont nés deux enfants : Eugène, décédé d’une mala­die en avril 1935 à l’âge de 8 ans, et Mariette, morte élec­tro­cu­tée après la guerre alors qu’elle travaillait sur sa machine à coudre. Des tragé­dies dont la maman ne se remet­tra jamais.

D’après Sophie Klein­mann-Quirin, c’est à son retour de Dordogne en 1939, où il fut évacué avec sa famille, comme 300 000 Alsa­ciens, que Marcel entra en résis­tance. « Dans le Sud, il inté­gra une école mili­taire et rencon­tra un géné­ral très patriote qui l’au­rait forte­ment influencé ou inspiré. Lorsqu’il rentra à Stras­bourg, il ne recon­nais­sait plus rien, il y avait des drapeaux alle­mands partout, il était inter­dit de parler français et de porter le béret. Ça a suffi à éveiller un senti­ment de révolte, de rejet de l’oc­cu­pant », raconte-t-elle.

L’en­tre­prise où il travaille comme dessi­na­teur indus­triel le renvoie parce qu’il refuse d’in­té­grer l’Op­fer­ring, une orga­ni­sa­tion alsa­cienne qui prépare à l’en­trée au parti nazi. Alors un dimanche après-midi de septembre 1940, le jeune homme de 16 ans se rend à bicy­clette à Brumath. « C’est là qu’a­vec papa et son frère André, âgés de 17 et 15 ans, ils décident de créer la Main Noire », pour­suit Sophie Kein­mann-Quirin. Une ving­taine d’ado­les­cents sont recru­tés : collé­giens, lycéens, appren­tis, fils d’ou­vriers, de Brumath et de l’école de la maîtrise de la cathé­drale héber­gée au collège Saint-Étienne. Tous ont entre 14 et 16 ans, sauf Charles Lebold, son frère de lait, seul majeur, chef moral de l’or­ga­ni­sa­tion.

Dès octobre 1940, l’amour de la patrie et la foi chevillée au corps, ils entament la lutte, de façon symbo­lique d’abord, puis active ( lire par ailleurs ). Jusqu’à l’ul­time coup d’éclat du 8 mai 1941 qui déci­dera les Alle­mands à tran­cher cette sédi­tieuse Main Noire. Un rapport médi­cal recon­naît les brillantes facul­tés intel­lec­tuelles de Marcel Weinum et donc, sa majo­rité morale et la pleine respon­sa­bi­lité de ses actes. Au tribu­nal, son calme, la force de ses convic­tions, sa foi en Dieu et en la France impres­sionnent. Jugé puis condamné, il est trans­féré à la prison de Stutt­gart où il est déca­pité le 14 avril 1942 à 6h15.

« Les Alle­mands ont voulu frap­per fort tout de suite, décou­ra­ger toute forme de résis­tance », souligne Sophie Klein­mann-Quirin. On n’en­ten­dit plus parler de la Main Noire. « Contrai­re­ment aux autres orga­ni­sa­tions, celle-ci a été créée puis écra­sée très tôt dans l’his­toire de la guerre. Elle n’a pas inté­gré les grands réseaux de résis­tance comme le souhai­tait Marcel. » Leurs actions furent quali­fiées de « gami­ne­ries » et le nom de Weinum tomba peu à peu dans l’ou­bli. « C’étaient des adoles­cents qui avaient eu, eux, le courage de se dres­ser contre l’en­nemi. Ils n’étaient pas poli­ti­sés, catho­liques. Beau­coup devinrent des Malgré-Nous. Ça n’a pas aidé à les faire mieux connaître. »

Leur bravoure, leurs valeurs, leur mémoire, Sophie les trans­met, comme son père avant elle, aux élèves du collège Saint-Étienne. « Ils sont capti­vés à chaque fois parce que c’est une histoire forte, avec des person­na­li­tés fortes, des jeunes capables de donner leur vie, d’al­ler jusqu’au bout de leurs convic­tions. Les jeunes d’aujourd’­hui, ça les rassure de voir qu’on peut faire des choses comme ça. »

À Brumath, le nom de Marcel Weinum a resurgi il y a quelques semaines. Le collège, qui achève sa mue, se cherche un nom. Une bataille fait rage entre les parti­sans du héros de la résis­tance (ensei­gnants, parents d’élèves et une grande partie de la popu­la­tion), qui font le lien avec la guerre en Ukraine, et ceux (le maire et son équipe) qui lui préfèrent Bernard Schrei­ner, l’an­cien député-maire qui ensei­gna dans l’éta­blis­se­ment. Celui qui, lors de l’inau­gu­ra­tion de la rue Marcel-Weinum à Brumath, le 2 novembre 1997, invita à « trans­mettre aux jeunes géné­ra­tions le message de tous les Marcel-Weinum afin que notre pays n’opte pas pour des solu­tions que certains préco­nisent aujourd’­hui. » Les parti­sans de chaque camp attendent la déci­sion de la Collec­ti­vité euro­péenne d’Al­sace.

 

 

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